Accélération de Coriolis et inertie

De Jacques Lavau
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Etat des lieux, un naufrage pédagogique en standard

Un échec pédagogique sanglant : comment les autres professions, utilisatrices de mécanique, et les vulgarisateurs enseignent Coriolis et ses effets en océanographie et en météorologie.

Voyons un exemple éduqué, par quelqu'un qui a fait des études supérieures :
http://archimer.ifremer.fr/doc/1960/publication-4282.pdf
Citation de: Charles ALLAIN

   Nous savons en effet que d'une façon générale, un courant qui passe sur un haut fond 
augmente de vitesse en s'infléchissant vers la droite sous l'effet de l'accélération de
Coriolis, tandis que sa vitesse diminue au-dessus des plus grands fonds, le mouvement
étant alors dévié vers la gauche.


Si ça c'est ce qu'écrit un scientifique formé, mais pas à la mécanique, alors mieux vaut vous passer sous silence les torrents d'insultes et d'inepties que nous lancent les populistes ignorants, c'est à vomir. Revenons aux affirmations de ce Charles Allain.

Précisons qu'il s'agit des courants en Méditerranée, donc il est acquis que c'est entièrement dans l'hémisphère Nord.
L'affirmation "le courant est dévié vers la gauche en passant sur les grandes profondeurs" est fausse, contrafactuelle.
Mais l'affirmation précédente, qu'un courant s'infléchisse vers la droite sous l'effet de l'accélération de Coriolis est contradictoire avec les définitions, et est caractéristique d'un enseignement de la mécanique sous monopole de matheux, qui crassussent (recopient) bovinement les errements du plus ancien dans le grade le plus élevé, qui lui-même les tenait de, etc.

L'accélération de Coriolis, c'est celle qu'une liaison de guidage impose à un mobile pour qu'il ne suive pas une trajectoire inertielle, mais demeure sur une trajectoire orthodromique, celle qui semblait irréprochable à l'observateur qui ignore que la Terre tourne, et n'est donc pas un repère galiléen.
Tandis qu'une trajectoire inertielle échappe au contraire à l'accélération de Coriolis, et s'infléchit par rapport à l'orthodromie terrestre : elle s'infléchit en tournant non pas comme la Terre par rapport au ciel, mais comme la voûte céleste par rapport à la Terre. Tel est le cas d'une chute libre à l'équateur : il y a conservation de la composante Est de la quantité de mouvement, mais diminution du rayon de giration, donc augmentation de la vitesse angulaire et déviation vers l'Est, à l'Est de la verticale locale statique. La courbure de la trajectoire apparente (terrestre) du mobile est conforme à celle de la trajectoire apparente des étoiles pour l'observateur terrestre.

Les matheux n'aident pas quand ils donnent la formule avec deux produits "vectoriels", où par deux fois intervient une convention arbitraire et anti-physique, genre :

   l'accélération de Coriolis :   LaTeX: 2\vec{\Omega}\wedge\frac{\delta\vec{r}}{\delta t} 

Le grand public sait dans quel sens tourne la Terre par rapport au ciel, mais ignore si les matheux qui remplacent cet être de rotation par un être vectoriel, font pointer le dit vecteur vers le pôle Nord ou vers le pôle Sud, et ignorent aussi dans quel sens orienter l'accélération qui résulte de ce produit aberrant. Pile ou face, c'est aussi sûr.


Réécriture en notations cohérentes (tensorielles, donc).

Telles qu'on les trouve dans tout manuel, les définitions et notations usuelles sont fort critiquables, et pédagogiquement manquent leur but. De plus la notation franco-française LaTeX: \wedge squatte la notation du produit extérieur pour dénoter en réalité le produit "vectoriel", ou "cross-product" des anglo-saxons. Au grand dam de la clarté et de la rigueur.

Pour le grand public, il est inextricable de deviner dans quel sens va agir l'accélération de Coriolis (pile ou face est aussi fiable) ni ce qu'elle est au juste, et dans la littérature de vulgarisation les erreurs sont fréquentes.

Or ces mathématiques obscures - de surcroît sur bases incohérentes - sont assez superflues puisque dans quatre cas sur six le principe général de conservation du moment angulaire suffit à prédire les trajectoires inertielles réelles, par rapport au repère terrestre. Pour les deux cas non couverts par la conservation du moment angulaire, c'est la composition des vitesses angulaires qui donne la réaction d'inertie centrifuge corrigée. Il va suffire de prendre le référentiel terrestre, d'examiner deux situations, l'une à l'équateur, l'autre près du pôle Nord, et les trois directions de vitesse : vers le bas, vers le Sud, vers l'Est. Puis il ne restera plus qu'à résumer cela mathématiquement.

A l'équateur

Chute verticale, donc diminution du rayon, augmentation inversement proportionnelle de la vitesse angulaire totale pour maintenir le moment angulaire constant, si la chute est non contrainte ==> déviation vers l'Est.
Vitesse vers le Sud : effet nul.
Vitesse vers l'Est : augmentation de la vitesse angulaire totale ==> déviation vers le haut (par inertie centrifuge accrue).
A la limite, regarder les satellites géostationnaires.


Près du pôle Nord

Chute verticale : effet nul.
Vitesse vers le Sud : augmentation du rayon, donc ralentissement de la rotation pour maintenir le moment angulaire constant, déviation vers l'Ouest.
Vitesse vers l'Est : augmentation de la vitesse angulaire totale ==> déviation vers le Sud (par inertie centrifuge accrue).

Conclusion : seules comptent les composantes tangentielle et radiale de la vitesse du mobile. L'effet de la composante axiale est nul. Il reste à quantifier cela.

Calcul quantitatif

Il semble que des lecteurs aient des difficultés avec ce coefficient 2, en provenance du développement du carré d'une somme, d'où la période de parcours de cercle inertiel de 11 h 58 mn à la limite des hautes latitudes et basses vitesses, soit la moitié de la période stellaire de la Terre, ce qui ne manque pas de surprendre.

Vitesse tangentielle

Commençons par le cas facile, de la vitesse Est-Ouest, où les vitesses angulaires, de la Terre et du mobile par rapport à la Terre sont coplanaires, donc s'ajoutent algébriquement. On va les noter par une seule lettre chacune, LaTeX: \Omega et LaTeX: \omega, et en module seulement.
Vers l'Ouest :
LaTeX: \Omega_{total}^2 = (\Omega - \omega)^2 = \Omega^2 - 2.\Omega.\omega + \omega^2.
Vers l'Est :
LaTeX: \Omega_{total}^2 = (\Omega + \omega)^2 = \Omega^2 + 2.\Omega.\omega + \omega^2.
Donc ne considérer que le premier terme du développement limité, en LaTeX: 2.\Omega.\omega, n'est valide que jusqu'à LaTeX: \omega valant 8 à 10 % de LaTeX: \Omega. C'est donc très vite invalide pour un missile, un obus, une balle de mousquetterie, et d'autant plus que la latitude est élevée.


Vitesse radiale

A la distance r de l'axe polaire, une vitesse radiale de dr/dt modifie le moment angulaire, ce qui non seulement modifie l'accélération centripète imposée par la liaison, mais aussi exige une intervention tangentielle par le système de guidage, pour augmenter (dr/dt > 0) ou diminuer (dr/dt < 0) le moment angulaire et l'énergie cinétique du mobile.
Notons A le quotient du moment angulaire initial par la masse du mobile : r².LaTeX: \Omega.
A' le moment angulaire massique final = (r+dr)².LaTeX: \Omega,
A'-A = LaTeX: \Omega.(2.dr +dr²) =2.LaTeX: \Omega.dr.
Cette différence a été obtenue par le moment moyen de l'accélération de Coriolis, durant le temps dt : LaTeX: \gamma_C.r.dt
D'où LaTeX: \gamma_C = 2.\Omega.\frac{\delta{r}}{\delta t}, avec le signe + vers l'Est pour dr/dt > 0.


Mise en forme mathématique tensorielle

Accélération de Coriolis imposée par les liaisons (de guidage) avec le repère non galiléen en rotation : LaTeX: \vec{\gamma_C}= 2\breve{\Omega}.\frac{\delta\vec{r}}{\delta t}
(où LaTeX: \breve{\Omega} désigne la vitesse angulaire de la Terre par rapport aux étoiles fixes, et LaTeX: \vec{r} désigne la position dans le repère terrestre, donc LaTeX: \frac{\delta\vec{r}}{\delta t} désigne sa vitesse dans le repère terrestre)
et elle est mesurée avec un accéléromètre qui soit assez sensible pour les conditions expérimentales choisies.
Pourquoi le coefficient 2 ? Parce qu'on développe le carré d'une somme de vitesses angulaires, et que l'accélération centripète en mouvement circulaire (à trajectoire contrainte, donc) est proportionnelle au carré de la vitesse (totale).

Alors qu'au contraire le mouvement inertiel libre tourne par rapport au repère terrestre comme la voûte du ciel par rapport à la Terre, et il se constate avec des bouées dérivantes dans la mer, ou des ballons-sondes dérivants, dans l'atmosphère.


Calculs explicites en coordonnées cartésiennes

Choisir un système d'axes.

Il semble naturel de prendre pour axe z un zénith à un pôle. Quel pôle, Sud ou Nord ? Aucune espèce d'importance : les coordonnées du gyreur vitesse angulaire de la Terre n'en seront pas affectées. Prenons le zénith Nord, puisque la majeure partie de la population est dans l'hémisphère Nord.
Pour axe x, évidemment la direction du méridien zéro de Greenwitch.
Pour axe y, 90° Est ou 90° Ouest ? Plouf-plouf !
Choisissons y dans les fuseaux horaires croissants, le fuseau + 6 qui passe par le Bengla Desh, donc 90° Est.
Ce trièdre Oxyz est-il direct ou pas ? On s'en fout, on n'est plus dirigés par Oliver Heaviside.


Coordonnées dans ce système d'axes

Quel est le module du tenseur (= ici "gyreur") vitesse angulaire de la Terre ?
LaTeX: \Omega = 1 tour par jour sidéral = 1 tour / 86164,09 secondes = 72,92 micro-radian/seconde, de nos jours.
Ses coordonnées dans ce repère : LaTeX: \Omega.\begin{bmatrix}0 &1 &0\\-1 &0 &0\\0 &0 &0 \end{bmatrix}

Application à une vitesse de 1 m/s en direction y :

Coordonnées de LaTeX: \vec{\gamma_C} dans cette base = LaTeX: 2.\Omega.\begin{bmatrix}0 &1 &0\\-1 &0 &0\\0 &0 &0 \end{bmatrix}. \begin{bmatrix}0 \\1 \\ 0 \end{bmatrix} m.s^{-1} = 145,84. 10^{-6}.\begin{bmatrix}-1 \\0 \\ 0 \end{bmatrix} m.s^{-2}

Et pour une vitesse de 1 m/s en direction x :

Coordonnées de LaTeX: \vec{\gamma_C} dans cette base = LaTeX: 2.\Omega.\begin{bmatrix}0 &1 &0\\-1 &0 &0\\0 &0 &0 \end{bmatrix}. \begin{bmatrix}1 \\0 \\ 0 \end{bmatrix} m.s^{-1} = 145,84. 10^{-6}.\begin{bmatrix}0 \\1 \\ 0 \end{bmatrix} m.s^{-2}

Telles sont les accélérations de Coriolis imposées par les liaisons de guidage liées à la Terre, pour imposer au mobile une trajectoire non inertielle. On aura remarqué qu'elles sont indépendantes de la position du mobile.

On aura remarqué que l'unité physique "radian" a disparu des notations tensorielles, puisque sa signification "quotient de deux longueurs perpendiculaires, ou de deux grandeurs en quadrature de phase" est directement prise en compte par l'écriture complète des coordonnées.

On aura remarqué aussi que les coordonnées selon z ne sont jamais intervenues. Seule intervient la projection du vecteur vitesse dans la direction de plan équatorial xy. Le gyreur LaTeX: \breve\Omega et l'accélération LaTeX: \vec{\gamma_C} sont toujours dans la direction du plan équatorial.


Application aux courants de la Méditerranée

Lien pour les documents : http://e-cours.univ-paris1.fr/modules/uved/envcal/html/oceans/2-exemples-phenomenes-physiques/tsm-courants-marins-surface/2-2-circulation-oceanique-mediterranee.html

La grande complexité se réduit à trois principes simples :
a. Le moteur est Gibraltar : entrée d'eaux Atlantiques de surface pour compenser l'évaporation méditerranéenne.
b. Le jet ENE (Est-Nord-Est) imposé par la côte de Ceuta et la pointe Almina, s'infléchit vers le Sud, en partie par inertie, dite "Coriolis" par le discours dominant, en partie aussi par rencontre avec le courant côtier SW qui revient par la côte de Murcie. Il bute alors sur la côte marocaine, et est contraint par la côte du Maghreb d'une part, puis par la côte Levantine, puis par la côte turque, d'autre part par les côtes siciliennes, puis italiennes, puis françaises et espagnoles à subir l'accélération de Coriolis, à longer les côtes.
c. Dans le détail interviennent les lois ordinaires de la circulation turbulente, avec contre-courants dans les criques et les golfes ; ce que connaissent tout kayakiste et tout canoéiste pratiquant l'eau vive, et que les marins connaissent aussi dans le golfe du Morbihan, et dans les rias et abers bretons.


http://e-cours.univ-paris1.fr/modules/uved/envcal/html/oceans/2-exemples-phenomenes-physiques/tsm-courants-marins-surface/ressources/images/carte_courants.jpg

Le rayon de courbure de ces trajectoires inertielles.

On aura remarqué que le ratio entre l'accélération transverse de Coriolis et la vitesse est une constante.
Ce qui implique, au moins pour les hautes latitudes où la surface terrestre diffère peu d'un disque tournant, que la trajectoire inertielle (échappant à Coriolis donc, et semblant à l'observateur terrestre obéir à une accélération opposée à celle de Coriolis) est circulaire. De quel rayon ?
La formule ne nous donne d'abord que la période de bouclage de ce cercle ou quasi-cercle, dans l'approximation circumpolaire, et limité au cas des vitesses angulaires ajoutées faibles devant la vitesse angulaire de la Terre :
T = LaTeX: \frac 1 \nu = \frac {2.\pi} \omega = \frac \pi \Omega = 11 heures 58 minutes.
Il est remarquable que cette période ne dépend pas de la vitesse. Autrement dit des masses d'air ou d'eau auront sous cet effet d'inertie, dit Coriolis, des déplacements similaires à des rotations de solides : tout le monde a la même vitesse angulaire, donc la même période de révolution. Aux limites près, évidemment.

Sachant la vitesse v, on en déduit le rayon :
R = LaTeX: \frac v {2\Omega}


Extension à toutes latitudes, dans un cadre météorologique.

On admettra qu'en météorologie, et presque aussi bien en océanographie, la liaison au sol par la gravité est holonome, ne travaille pas, ne frotte pas... Les déplacement ne se font que parallèlement au sol, que nous idéaliserons comme sphérique, voire géoïdal. Seule la projection des accélérations de Coriolis sur l'horizontale locale est efficace, de module LaTeX: 2.\Omega.v.sin(\phi), où LaTeX: \phi est la latitude.

A toute vitesse, ce rayon de courbure devient infini à l'équateur :
LaTeX: R(\phi) = \frac v {2\Omega.sin(\phi)}

La période aussi augmente comme la cosécante de la latitude :
LaTeX: T(\phi) = \frac {11 h 58'}{sin(\phi)}

Exercice :

Si l'on vous dit que la veine de courant jaillissant du détroit de Gibraltar a une vitesse de 1 noeud, calculer le rayon de courbure que l'inertie seule lui ferait prendre dans la mer d'Alboran, sans autres contraintes aux limites, pour le ramener à longer les côtes marocaines. Ce sera de toutes façon un ordre de grandeur valide.
Approximation : 1 noeud = 0,514 m/s.
Latitude : 36° N.