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http://pagesperso-orange.fr/retorica/Dossier_Retorica_info/RET_RETORICA/RET_Deux_cents_mots_08_05_19_panorama.pdfLa suite en est la citation.
1. Historique
L’histoire du deux-cents mots commence d’une manière très
lointaine avec Mellerio, le professeur de français de Roger
Martin du Gard qui lui apprit à écrire : “(...) renonçant à
m'imposer chaque semaine la traditionnelle dissertation à
rédiger, il me proposait chaque jour un sujet nouveau , dont
j'avais seulement à établir le plan : un plan bref, un
sommaire en quinze ou vingt lignes, rédigé sous une forme
schématique , et divisé en paragraphes numérotés et bien
distincts. Cela fait, j'étais dispensé de tout développement.”
Ce romancier prestigieux, prix Nobel de littérature (1937)
attribue à son professeur les bases de sa réussite. Voir RET
Dissertation 07_11_21 Mellerio.
J’ai eu, à Rennes, dans les années 1958 - 1961, un
professeur de littérature, Jean Thoraval, singulièrement
habile. A la faculté de Lettres il présidait aux destinées de la
section de français. Il avait enseigné au prestigieux lycée
Chateaubriand de Rennes et avait connu des ennuis avec
les parents d’élèves parce qu’il demandait aux lycéens non
des dissertations formelles mais des paragraphes
soigneusement rédigés et corrigés. Ses élèves réussissaient
fort bien mais ses détracteurs trouvaient que leur professeur
s’économisait beaucoup. En fait, j’ai compris, plusieurs
dizaines d’années plus tard, qu’il appliquait à fond la
méthode Mellerio. De ce point de vue sa thèse de doctorat
(“L’art de Maupassant à travers ses variantes”) était un chefd’oeuvre
pour le rapport qualité / temps passé. Rappelons
qu’à l’époque ses collègues passaient dix ans de leur belle
jeunesse sur des thèses monstrueuses.
Sans le savoir, j’ai retrouvé la méthode Mellerio - Thoraval
quand, voulant reproduire les textes de mes élèves à l’aide
du limographe a5, je leur demandais de rédiger en
expression personnelle des textes
ne dépassant pas une vingtaine de lignes. C’était aux
environ de 1968. J’ai rapidement codifié l’exercice en deux
cents mots. Bien plus tard, j’ai découvert que la revue
“ Ecrire” conseillait cette longueur pour les apprentis
écrivains. J’ajoute que, en bon disciple de Jean Thoraval,
j’avais appris à m’économiser.
2. Consignes de base
L’expression personnelle en 200 mots ou plus brièvement le
“deux-cents-mots” me paraît une forme majeure qui gagne à
être travaillée au même titre que le “quarante-mots” ou les
“pp3” (prise de parole en 3 minutes). Voir les fichiers traitant
de ces notions. L’intérêt fondamental est, qu’après la
pratique du 40 mots, le 200 mots permet à un élève faible de
rédiger un texte correct. Ce qui est très encourageant pour
lui et son professeur. Les corrections demandent peu de
temps. Les consignes données concernaient un
enseignement collectif (de la seconde aux bts et même audelà
: formation négoce pour chefs de rayon). Elles
conviennent parfaitement avec des ajustements à
l’enseignement individualisé par correspondance tel que le
pratique Auxilia (formation par correspondance des
personnes en grande difficulté). Il ne s’agit pas simplement
de création littéraire. Quand il s’agit de rédiger une lettre de
réclamation, le corps de la lettre tient en un texte de 200
mots que l’on insère dans une forme normalisée (avec entête
et formules finales). Donc pratiquer le deux-cents c’est
acquérir un début d’autonomie sociale.
Voici où j’en suis des consignes pour le “deux-cents-mots”
:
“- rédiger un texte en 200 mots (essai, récit, poème ou
dialogue)
- thème libre, à votre choix.
- vous faites deux versions de ce texte à trois jours
d’intervalle.
- première version : vous faites un brouillon et vous recopiez.
Vous faites des paragraphes. Vous les numérotez. Vous
comptez le nombre de mots, vous le notez en fin de copie
avec le temps passé.
- Trois jours après vous passez à la seconde version. Vous
améliorez la première dans la construction, la précision de
votre pensée, le style l’orthographe. Vous comptez le
nombre de mots, vous le notez en fin de copie avec le temps
passé.
- Vous m’envoyez le texte final avec le nombre de mots et le
temps total approximatif passé (première version, temps de
méditation, seconde version)
Dans un premier temps tout au moins je ne donne pas
d’autres consignes et surtout pas la fiche qui suit. Elle
constitue en fait une présentation des potentialités offertes
par cette forme.
3. Les consignes en octobre 1994
Ouvrir la page 9xx. Expression personnelle.(Temps 2 heures
au moins). Texte personnel littéraire non pompé ! d’environ
200 mots. Donner un titre dynamique, faire des § de 5-8
lignes, Indiquer en tête le temps passé, le nombre de mots
employés, le genre traité : récit, poème, essai, dialogue ou
mixte. Soigner le style (au moins deux brouillons) Marge de
7 cm à droite. Soigner l’écriture pour édition éventuelle.
Pourquoi ces consignes singulières ? Parce que la littérature
est faite pour être créée par vous et pas seulement lue. Il est
relativement facile de faire un beau texte de 40 mots en
atelier d’écriture. En 200 mots c’est plus difficile et pourtant
c’est la bonne longueur pour traduire une émotion, un
sentiment, une vision, un rêve etc... Le matériau premier de
cette expression personnelle en 200 mots c’est le monde tel
qu’il vous parvient, tel que vous le ressentez, tel qu’il vous
fait souffrir quelquefois, tel que vous l’aimez aussi, tel aussi
qu’il vous pose question. Vous avez le droit de parler de
tout, de tout dire. L’expression en 200 mots n’est pas la
rédaction telle que vous l’avez connue autrefois. C’est
quelque chose de très sérieux, qui vous engage et que vous
signez.
3. Explication des consignes
- texte littéraire : utiliser les ressources de la rhétorique et
des figures de style : figures de sonorités (allitérations), de
passions (ex : ironie), de mots (ex : métonymie),
d’imagination (ex : métaphore) de grammaire (ex :
répétitions), de syntaxe (ex : chiasme)
- texte personnel, non pompé : un texte pompé, fausse le jeu
; si le texte est édité, il l’est avec le nom de l’auteur... d’où
malaise : à quoi servirait de vous donner la parole si elle
n’est pas authentique ? A l’extérieur, notamment près des
profs de la classe qui liront les textes retenus, cela fait
désordre.
- 200 mots : c’est court pour s’exprimer Cette longueur
réduite entraîne un coup de projecteur aigu comme un laser.
C’est la longueur du texte du sujet II (Commentaire
composé). Un beau texte de 200 mots, bien écrit, est une
sorte d’hologramme : on peut y découvrir des foules de
choses.
- titre dynamique : très important pour l’énergie.
- § de 5-8 lignes : incitent à une construction originale ;
permettent une mise en page claire et agréable.
- temps passé : permet au prof. de comprendre vos
difficultés et de vous aider.
- nombre de mots employés : ± 10 %, pour bien cadrer le
texte fini.
- genre : quelquefois des erreurs, certains confondent essai
et récit ; un genre mixte sera par ex. un essai poétique, un
récit-dialogue... nombreuses combinaisons possibles.
- au moins deux brouillons : c’est un minimum mais on peut
préparer des brouillons à l’avance (esquisses) pour les
retravailler plus tard puisque c’est la même forme littéraire
qui est proposée de période en période.
- 7 cm à droite : pour le prof. qui est droitier
- édition éventuelle : à chaque période le prof. retient de
quatre à six textes pour édition ; il les retient parce qu’ils sont
bien écrits (peu de corrections finales) et qu’ils apportent une
énergie au groupe, qu’ils aident à vivre, qu’ils sont donc des
“ textes de pouvoir” pour reprendre une expression
empruntée au chamanisme. Ces meilleurs textes signés sont
communiqués à l’extérieur, profs de la classe, autres classes
etc. et même concours littéraires.
4. Difficultés pour écrire
- Il est quelquefois difficile d’entrer en soi-même pour trouver
quelque chose à dire. C’est le syndrome de Mallarmé :
Mallarmé, poète symboliste de la fin du XIX°s était terrrorisé
par la page blanche et sa propre apparente incapacité à
écrire... Vous pouvez décrire en 200 mots cette incapacité...
La difficulté d’écrire (pourquoi écrire ?) est un thème
important en littérature.
- Certains font un texte long et le réduisent ou en font un
texte à épisodes. Textes à 3 épisodes, bien rédigés oui, très
utiles pour certains concours littéraires qui demandent des
textes un peu étoffés ; réduction de texte ? non, C’est le
champ qui est trop vaste : il faut le limiter et bien le cadrer
pour le faire entrer dans les 200 mots : un sujet limité et
concret a beaucoup plus d’énergie et de dynamisme. Donc
repérer dans l’histoire ou le thème le noyau fondamental sur
lequel on veut insister et réécrire ou remodeler l’ensemble
pour arriver très rapidement en gros plan sur ce noyau.
- Certains écrivent correctement mais d’une manière
abstraite et froide. Il faut s’imaginer comme un camescope
qui disposerait de cinq sens ! Donc soigner les sensations du
vakog (visuel, auditif, kinesthésique, olfactif, gustatif), notion
empruntée à une discipline de la psychologie moderne (la
p.n.l programmation neuro-linguistique) :
“Il y a, dans un quartier des environs, une maison située
dans une rue tranquille. A toute heure du jour, on entend
chanter les oiseaux dans son jardin. Son intérieur, qui
ressemble à celui d’un livre de contes, vous parle avec une
telle éloquence qu’il est difficile de ne pas se demander
comment oon pourrait ne pas avoir envie d’y entrer. Et
lorsque, au crépuscule, les oiseaux se taisent, le vent fait
bruire doucement les branches des arbres.
Je vais vous parler maintenant d’une autre maison qui est
incroyablement pittoresque. On peur la regarder pendant des
heures, tant elle est étonnante, avec sa grande véranda
blanche, ses murs ocre recouverts de lambris et ses
innombrables fenêtres qui répandent à l’intérieur une lumière
magnifique. Son escalier en colimaçon, les moulures de ses
portes, tout y est intéressant. On aimerait en explorer
chaque coin et recoin.
La troisième des maisons que je veux évoquer ici est plus
difficile à décrire. Il faut y aller pour sentir ce qui s’en
dégage. Elle est solidement bâtie et rassurante, dans ses
pièces règne une atmosphère chaleureuse. D’une manière
totalement indéfinissable, elle touche quelque chose de
fondamental en vous. C’est un lieu nourricier. On a envie de
s’y asseoir dans un coin et de s’imprégner de son air,
comme pour y puiser une certaine sérénité.
Il s’agit, vous l’avez peut-être deviné, à chaque fois de la
même maison, décrite d’un point de vue auditif, puis visuel,
puis kinesthésique. Si vous deviez la faire visiter, il faudrait
pour mettre en évidence toutes ses qualités, utiliser vous
aussi ces trois modes. Le système de représentation de
chaque individu déterminera ensuite laquelle de ces
descriptions l’attire le plus. Mais n’oubliez pas que nous
utilisons tous les trois systèmes. La communication la plus
élégante puise donc à ces trois sources tout en faisant plus
particulièrement appel à celle qui correspond au système
fondamental de l’interlocuteur.”
(Anthony Robbins Pouvoir illimité 1990)
- Justement qui est l’interlocuteur, le lecteur ? Le professeur
n’est qu’un lecteur possible et de la place où vous êtes
(l’écrivain), il faut que vous posiez des questions sur le
quatuor :
écrivain narrateur
personnages lecteur.
- Songez aux techniques du cinéma : du plan général au
gros plan, lravellings et zooms, plongée et contre-plongée
etc...
5. Difficultés pour corriger
Dans le cas des exercices scolaires habituels le
professeur ne s’implique pas. Il note dans la marge ce qui ne
va pas sans forcément faire des propositions de réécriture.
Or dans le 40 mots et le 200 mots le correcteur s’implique au
point de proposer des corrections qui seront validées ou
pas. Dans le mouvement Freinet j’ai vu évidemment des
mises au point collectives du texte libre choisi par la classe
et cette dernière essaie de respecter la pensée et le style de
l’auteur du texte retenu. Quand on passe à une mise au
point individuelle, indispensable du point de vue de la
correction car le texte a pour vocation de circuler, c’est
autrement plus gênant.
Des collègues refusent l’expression libre, par peur du
plagiat (voir RHE plagiat) et aussi par le refus de faire des
propositions de réécriture, ceci au nom du respect de la
pensée et du style d’autrui. Ce n’est pas simplement une
objection de principe mais une paralysie personnelle pour le
faire. Pour surmonter cet obstacle philosophique et
stylistique il faut beaucoup pratiquer le 40 mots d’une
manière individuelle et collective car cette forme est
tellement brève que la correction n’engage à rien. Mais on
se rode ainsi à un travail intériorisé sur le langage. Ensuite
on voit mieux ce qu’il est possible de proposer pour
améliorer un deux-cents mots sans trahir la pensée de
l’auteur qui validera ou pas la correction proposée. Je n’ai
jamais vu un adolescent contester une proposition pour un
40 mots car on est dans l’expérimentation amusante de
formes différentes. Pour un 200 mots c’est très différent car
cette longueur implique un investissement affectif personnel.
Le respect de la pensée et du style d’autrui suppose tout un
apprentissage.
5. Des pistes de travail
- Vous pouvez écrire pour répondre au texte d’un copain ou
d’une copine. Faire un essai sur la classe, reprendre une
conversation, en faire un dialogue farfelu. Exploiter cet
espace de liberté pour exprimer ses préoccupations (extrait
de journal intime). Rêves et cauchemars. Préparer une lettre
de lecteur pour la télévision ou un journal. Ou préparer
concrètement son avenir (C.V, lettre de candidature,
réflexion sur une stratégie de recrutement...)
- Vous choisissez plusieurs mots qui vous plaisent dans la
liste “ Symboles et archétypes” et à partir d’eux vous rédigez
un texte.
- Vous relisez attentivement tout le classeur : vous
rapprochez des informations, vous créez ainsi une synergie
(1+1 = 3) donc un dynamisme.
- Ne cherchez pas forcément un bon sujet : “ Ce ne sont pas
l’intrigue ni le thème qui font la littérature mais l’écriture”
(Claude Bonnefoy). Donc travailler le style pour dépasser
les lieux communs, c’est-à- dire les banalités qui s’expriment
et ne nous expriment pas.
6. Conseils de base
1. Remplacer sj possible les mots abstraits par des
mots concrets, faisant image, donc concrétiser.
2. Faire entendre certaines idées sans les exprimer, donc
économiser.
3. Surveiller le rythme, donc musicaliser.
"Trop de mots. Ne laisse se lever de leur place que les chefs
de file.
Ne laisse sortir qu'un mot d'élite, un débrouillard, bien nourri,
bien équipé. Tu l'arrêtes longtemps à la grille, et s'il est fin
prêt, tu l'envoies faire les commissions pour tout le monde.
L'ouvrage ne doit pas être trop vaste. Il faut qu'il soit
circoncrit dans le champ d'une vision nette et que l'esprit s'y
puisse rassembler. Mieux tu diaphragmes, meilleure est
l'image".
(Léon-Paul Fargue 1929)
On peut traduire ces conseils sous une autre forme :
dégraisser - précision - concret
cohérence
rythmes
Prendre du recul et de la hauteur : “Le journalisme est
horizontal et la littérature est verticale” (Jean-Claude
Guillebaud).
- Enfin il faut un langage en mouvement pour un être en
mouvement. Ce langage en mouvement est à l’opposé de
l’idéologie (langue de bois), de la répétition (ce que disent
les parents, l’extérieur) : la parole parlée (passive) n’est pas
la parole parlante (active). Il y a des noeuds à dénouer au
niveau du langage. On parle quand on dit “je”. La créativité
c’est la bonne santé. La maladie, dit Jacques Lacan, c’est le
mal à dire. D’où les questionnements interactifs quand les
textes se répondent les uns aux autres. Casser les mots
pour les disposer autrement, par le rêve, par l’inconscient,
par l’énergie personnelle qui se déploie enfin en des textes
de pouvoir (d’après Marc-Alain Ouaknin 1994 et autres
sources).
7. Grammaire : quelques rappels
Le verbe est le maître, le roi de la phrase. C’est pourquoi il a
un ou plusieurs sujets et aussi des compléments.
Bien connaître les modes et les conjugaisons. Posséder un
guide de conjugaisons.
On distingue la morphologie ( = étude des formes) des
différents mots et la syntaxe ( = mettre ensemble), c’est à
dire la manière de les combiner.
Comprendre le lien profond entre la morphologie et la
syntaxe : un adjectif peut être remplacé par une proposition
relative et inversement ! La relative peut jouer le rôle de
périphrase. Ex :
L’homme innocent s’avança
L’homme qu’on accusait faussement s’avança
L’homme dont je niais la culpabilité s’avança
(le dont s’explique par une différence de construction :
accuser quelqu’un / nier la culpabilité de quelqu’un).
La proposition infinitive : J’entends siffler le train (“siffler le
train” est complément d’objet direct de “j’entends” et train est
sujet de l’infinitif “siffler”
Les verbes factitifs : “ Je me suis fait faire une robe” ou “suis”
est un vrai-faux auxiliaire “avoir” : j’ai demandé à quelqu’un
de me faire une robe (et non pas je me suis faite faire une
robe !)
Respecter la ponctuation :
Le maire dit : “L’instituteur est un imbécile” ..
Le maire, dit l’instituteur, est un imbécile.
Le maire dit l’Instituteur est un imbécile. (c’est le narrateur qui
parle)
Pour toutes difficultés consulter : Adolphe D. Thomas :
Dictionnaire des difficultés de la langue française (Larousse)
ou un ouvrage similaire...
Et là-dessus : bon courage ! L’aventure commence...
(17.300 signes)