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Auteur Sujet: La guerre en Afghanistan implique un risque d'effondrement indo-pakistanais.  (Lu 1243 fois)

JacquesL

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"Avec la guerre en Afghanistan, il existe un risque d'effondrement indo-pakistanais"

http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3216,50-1098445,0.html
Extraits :
Citer
Bertrand Badie : De l'avis presque général, cette "guerre" ne peut pas être gagnée. Encore faudrait-il, d'ailleurs, s'entendre sur les mots : le mot "guerre" est employé avec prudence, précaution, et souvent rejeté, au profit d'autres formules bien plus obscures. Nous ne sommes pas dans une logique de guerre dans la mesure où ne s'affrontent pas deux coalitions d'Etat, où le caractère asymétrique de son conflit tient au fait que, de plus en plus, la coalition de l'OTAN a face à elle, sinon une société, du moins des acteurs sociaux profondément enracinés dans le tissu social afghan. Ce type de situation, qui rappelle, mais seulement en partie, les guerres coloniales, s'est durablement installé dans la mémoire comme forme de conflit qui ne donne jamais le dernier mot à la puissance. On peut même redouter l'inverse : un renforcement mal contrôlé des moyens militaires de la coalition alimente ce conflit ainsi que la force même des talibans et de tous ceux qui leur sont associés.

On n'a pas été assez attentif à la volonté des talibans et de leurs associés d'entraîner la coalition dans une guerre qui se fait de plus en plus sous le drapeau de l'Occident, de la coalition atlantique, voire du "monde chrétien". Tout ce qu'il faut pour rapprocher les combattants d'une société anomique, faiblement construite et qui, paradoxalement, est en train de retrouver son identité dans une adversité qui se construit de plus en plus à ses dépens.
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Bertrand Badie : D'abord, nous le savons hélas aujourd'hui, l'Afghanistan n'est pas un cas à part. Ce pays est adossé au Pakistan, mais aussi à l'ensemble du sous-continent indien et au Moyen-Orient, qui souffrent globalement des mêmes maux, du même défaut de construction stato-national et d'entrée dans la mondialisation, et surtout de la même pathologie d'exclusion que l'usage massif des moyens militaires venus du nord ne fait que renforcer et accuser. C'est pour cela que la solution est moins militaire que jamais : au contraire, comme instrument d'exclusion et de coercition, l'usage de la force ne fait que renforcer ces pathologies, avec des dégâts d'autant plus grands qu'on pénètre, avec le Pakistan, dans des sociétés d'une très forte densité.

Il faut non seulement se tourner vers des solutions de type politique (on n'ose plus dire aujourd'hui de type préventif, mais l'occasion a été perdue), mais placer au centre même de la réflexion mondiale un mode cohérent de réintégration d'urgence de ces sociétés dans le concert mondial. La crispation otanesque de ceux qui, parmi les puissances dominantes, veulent par la force arrêter l'hémorragie risque bien évidemment de renforcer le mal.
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 Maxhymne : La guerre en Afghanistan va-t-elle se jouer chez certains de ses voisins en situation précaire ?

Bertrand Badie : Peut-être s'est-on trompé en montrant du doigt l'Afghanistan alors qu'il n'était que l'épiphénomène d'un malaise plus global dont le centre de gravité se situe très probablement dans l'ensemble du subcontinent indien.

Si le Pakistan est entraîné dans cette tourmente, peut-être passerons-nous alors à une étape nouvelle et combien tragique de cette histoire. Là où l'Afghanistan ne compte que 20 millions d'habitants, le Pakistan en compte plus de 150. Là où l'Afghanistan a une densité de 40 habitants au km², le Pakistan atteint et dépasse les 200. Avec d'énormes conurbations (Karachi, Lahore...), avec des problèmes sociaux énormes, gigantesques, avec l'absence complète de construction nationale, un Etat qui n'en est pas un, une armée qui est plurale et coupée de l'Etat, des milices de toute nature, des conflits intra-nationaux, et des litiges frontaliers tout autour de lui.

Le Pakistan me paraît être le foyer naturel de toute cette violence que nous avons vue s'exercer en Afghanistan, et même au-delà. Il faut donc complètement revoir les relations internationales, enfin mettre les sociétés au premier rang de nos préoccupations, enfin comprendre et admettre que la violence n'est pas prioritairement produite par des Etats ni endigable par d'autres Etats. Enfin considérer que la construction étatique bâclée et confisquée dans la plupart des pays du Sud a des effets éminemment belligènes qui se répandent comme des traînées de poudre dans le monde entier.
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 lamane : Le Pakistan n'est-il pas prisonnier de son propre piège, lui qui a toujours vu dans l'Afghanistan une pénétration stratégique. Désormais, cela se retourne contre lui et soulève la question de son intégrité, voire de son existence ?

Bertrand Badie : Oui, d'un certain point de vue, mais tout ceci tient au fait que le Pakistan est un total artifice, à l'intérieur de lui-même et dans ses rapports avec ses voisins. Les Pachtounes, dominants en Afghanistan, sont une composante nationale importante au Pakistan. L'intégration de ces deux pays au-delà de la frontière pakistano-afghane est évidente. Celle-ci ("ligne Durand") n'a jamais d'ailleurs été reconnue, ni par le Pakistan, ni par l'Afghanistan. Depuis bien longtemps, les problèmes intérieurs de l'Afghanistan sont ceux du Pakistan, et ceux du Pakistan se répercutent sur le quotidien politique à Kaboul. Ajoutez à cela que la fin de la bipolarité a aggravé sensiblement les choses : l'Afghanistan est devenu un allié, voire un protégé, de l'ennemi indien ; et Delhi, qui, sous la guerre froide, était proche de Moscou, s'est très sensiblement rapproché de Washington, qui était jusque-là le protecteur exclusif du Pakistan. Ce dernier pays ne peut donc voir l'évolution dans la région que comme un paramètre négatif précipitant son isolement et l'obligeant en tout cas à garder un œil vigilant sur son petit voisin afghan, qu'il rêve de contrôler directement ou indirectement.

L'Iran non plus n'est pas loin, qui a beaucoup calmé ses ardeurs anti-talibans jusqu'à s'en rapprocher de façon significative. Le Pakistan n'a jamais voulu rompre avec Téhéran, et c'est donc tout un jeu d'alliances en pointillé qui se dessine et qui, de toute manière, ne conduira certainement pas Islamabad à renoncer à une politique régionale et à se désintéresser de ce qui se passe chez son voisin du Nord-Ouest.

Lezo : Le président Zardari demande l'appui des Etats-Unis et de l'Europe. Faut-il le lui accorder ? C'est un homme qui paraît pourtant discrédité et qui creuse les fossés plutôt que de les combler...

Bertrand Badie : Méfions-nous, ne nous précipitons pas dans ces lectures faciles. L'un des travers les plus courants est de se hâter, de prononcer des alignements et de les présenter comme solides et définitifs. C'est devenu un lieu commun dès qu'il y a un conflit quelque part de distinguer les pro-Américains, les pro-Russes, les pro-Occidentaux, les pro-Syriens, ou je ne sais quoi. Les jeux politiques nationaux sont infiniment plus complexes : surtout dans des pays affectés par de graves conflits, ce serait une erreur majeure de penser que les protagonistes n'existent qu'à travers leurs alignements proclamés ou prêtés.

Les acteurs politiques pakistanais ont d'ailleurs su jouer d'un habile pragmatisme, instrumentalisant leur protecteur. Musharraf a su manipuler à cette fin l'allié américain, Benazir Bhutto semblait soutenue par Washington dont elle paraissait réclamer le soutien, mais son héritier, Ali Asif Zardari, a mené plus loin que les autres la négociation avec les talibans. Il n'y a donc pas de clans pro-Occidentaux ou anti-Occidentaux. Les Occidentaux doivent avoir au contraire la modestie de s'adapter à la complexité du jeu conflictuel au lieu de croire que celui-ci viendra s'adapter à leur propre diplomatie.
...
Pensez-vous qu'un échec militaire pourrait favoriser une recherche d'autonomie politique de ces régions tribales et, in fine, la désintégration géostratégique de la région ?

Bertrand Badie : Oui, il s'agit là d'un paramètre important qui n'a pas été suffisamment mis en évidence. Mais pour se faire une idée de l'extrême complexité de la situation, il faut regarder plus loin. D'abord, les talibans sont loin d'être les seuls acteurs de la "guerre afghane" : aux talibans se joignent quantités d'autres combattants venus d'un peu partout et expression des multiples crises de la région. Au-delà encore, les solidarités entre les combattants afghans et la population pakistanaise sont extrêmement nombreuses et diversifiées. Elles sont certes de nature ethnique, comme vous le rappelez, mais elles sont aussi de nature religieuse. La flambée de l'islamisme radical au Pakistan dépasse la seule population pachtoune, et a fortiori le monde des talibans. Elle irrigue toute la zone baloutche, et notamment sa capitale, Quetta, mais aussi les grandes métropoles comme Karachi au sud et les villes du Nord (d'Islamabad à Lahore).

Il faut y ajouter des connexions de nature stratégique : quantité de minorités çà et là trouvent dans leurs liens avec le conflit afghan des moyens d'exister. De ce point de vue, le mouvement cachmiri ou le séparatisme baloutche ont de bonnes raisons de se rattacher à cette mobilisation. Plus loin encore, l'obsession anti-indienne s'actualise dans l'armée pakistanaise à travers des réseaux fondamentalistes qui sont évidemment proches de ces "néo-talibans".
...
Il faudrait à tout prix et d'abord revenir à l'essentiel : la société afghane. En son temps, Lakhdar Brahimi, premier représentant spécial du secrétaire général des Nations unies dans l'Afghanistan post-taliban, voulait reconstituer le tissu social afghan, le contrat social entre toutes les parties ; il insistait pour dire que l'empreinte étrangère ne serait efficace que si elle était très limitée ("light footprints"). Il indiquait à juste titre qu'il fallait d'abord construire un Etat afghan performant, capable de sortir de ce pays de la mesure, du sous-développement, apte à susciter de véritables allégeances citoyennes.

Non seulement rien de tout cela n'a été réellement fait, mais la situation s'est aggravée (un Afghan sur quatre ne mange pas à sa faim), le pseudo-Etat qui s'est construit est corrompu, inefficace, incapable de pénétrer la société en profondeur. Le narcotrafic a repris de plus belle. Et les populations vivent plus que jamais dans une ambiance de menace permanente. Tout ceci va produire des violences nouvelles, va un peu plus antagoniser la coalition de l'OTAN qui risque de s'enfoncer dans l'identité dangereuse d'"envahisseur". Si la coalition choisit une stratégie défensive, elle va se trouver marginalisée dans l'accomplissement même de ses fonctions. Si, au contraire, elle s'oriente vers l'offensive, elle va se mettre à dos des populations civiles qui craignent plus que jamais d'être bombardées, maltraitées, soumises à la loi de l'occupation. Il est urgent de retourner vers les Nations unies, qui sont seules aptes à faire leur travail de médiateur et à penser ainsi le mode à venir d'endiguement de toutes ces violences.

J'ai coupé la critique sur l'irréalité du débat au parlement : la majorité manifeste son alignement atlantique. Le PS s'oppose pour exister. L'analyse sociologique des mondes afghan, pakistanais et indien reste au point nul.