"C'est l'acharnement en de mauvaises solutions, qui devient le problème" : on pourrait résumer en cette seule phrase le livre de Richard Fisch et Karin Schlanger, au Seuil : "Traiter les cas difficiles ; les réussites de la thérapie brève".
On développe un peu ?
Pas de plainte, pas de problème, au sens de la thérapie brève (mais pas forcément au sens des enfants, parfois muselés afin que leur plainte n'aboutisse pas).
La tentative de solution fait partie du problème.
L'interaction est au coeur du problème.
Tout changement entraîne un changement plus grand.
Nous devons penser en termes de description, et non de diagnostic.
Il en résulte quelques principes d'action qui semblent simplistes :
On travaille avec la personne qui se plaint, qui est demandeuse. Même si elle accuse un autre d'être le problème (alcoolisme, anorexie, voire dépression grave). Souvent, c'est cette personne demandeuse qui est celle qui perpétue le problème, par sa façon inadéquate de tenter de le résoudre.
On évite de perpétuer les injonctions en "Ne pas", qui échouent presque toujours, mais on propose un "à la place, plutôt faire ceci, puisque c'est positif pour vous". A une mère de famille devenue alcoolique, ils l'amènent à se suggérer d'aller courir ou trottiner, pour se faire un corps plus fort, au lieu de plus faible en s'alcoolisant. Cela à partir du moment où ils savent que la position de cette personne, est de se voir en une personne "forte".
Ils encouragent des parents d'anorexique à tenter distraitement d'affamer leur fille... Et elle se nourrit...
Ce proverbe, sur l'inadéquation des tentatives de solutions, qui deviennent le problème, est-il appliquable ? Passons par un cas décrit en TD de conduite de l'entretien clinique, en Licence de Psychologie.
Si j'ai le courage de chercher et réécouter la cassette, le compte-rendu sera plus détaillé et plus exact. Pour le moment, on se contentera de ma restitution faite de mémoire.
Une femme prend rendez-vous avec HJ, et lui expose comment les disputes avec son mari ont abouti à ce qu'elle reçoive un coup de poing. Divorce à son profit. Elle se remarie. Même résultat. Elle se dit que les hommes, c'est tous des salauds. Hétérosexuelle, aimant bien les hommes, elle a maintenant un troisième compagnon, et elle commence à sentir que lors de leurs disputes, le coup n'est pas loin. Alors elle consulte, commençant à se douter qu'elle porte bien là quelque part de responsabilité.
- Hé bien madame, je vous propose de revenir la semaine prochaine, même jour même heure, pour reparler de tout ça. Propose HJ.
Au bout de quelques séances, voilà HJ qui sent monter en lui une de ces envies de lui foutre une beigne, à cette sale gosse : elle le trouvait mal coiffé, mal habillé, son bureau mal rangé, etc... Cette femme n'avait d'autre façon de se conduire dans la vie qu'en bouffant du mâle...
Et voilà votre énigme qui se résout d'elle-même, conclut l'enseignant à ses étudiants.
Réexaminons cette anecdote de clinicien, à la lumière de l'enseignement de Fisch et Schlanger :
La solution apprise comme universelle par cette femme, et elle l'avait probablement apprise de sa môman, était que chaque fois qu'on a un stress en travers de la tête, il faut reprocher pis que pendre à l'homme que l'on a sous la main, pour le faire exploser.
Voilà comment on aboutir à conclure que "les hommes, c'est tous des salauds" : en n'ayant à son répertoire que des conduites de despote perverse, et en passant le reste de sa vie à refaire toujours plus de la même chose.
A contrario, dans un scénario d'Ingmar Bergman, mais porté à l'écran par Bille August, "Les Meilleures Intentions" (Den Goda viljan en suédois), le couple déclenche une brève scène de ménage, leur première, violente en paroles. Puis un silence, et la femme dit : "Je te prie d'excuser toutes les horreurs que je viens de te dire". Et d'ailleurs les griefs qui étaient sortis étaient tous dérisoires.
Voilà une personne qui mettait la relation et la préservation du "Nous", au dessus du reste. On peut trouver que le presbytérianisme de la Scandinavie a commis des abus, mais reconnaissons-lui au moins ses mérites. Autres mérites de ce presbytérianisme vivant, et de son constant souci d'humanisme : en 1886, ce fut la loge de tempérance du port d'Arendal, en Norvège du Sud, qui décida qu'on ne pouvait plus rester les bras croisés devant la misère des dockers, ouvriers et artisans ruinés et par la récession économique, et par la faillite des banquiers spéculateurs (Arendals Privatbank, puis la banque d'épargne), qui avaient perdu toutes les économies des petites gens, et ils créèrent la base du mouvement ouvrier norvégien : l'association Solidarité (Samhold), devenue ensuite le parti travailliste. Le civisme et la solidarité pouvaient prendre le pas sur les égoïsmes, en ce temps là.
De nos jours, le culte de l'intolérance et de la cruauté l'emporte sur tout souci de préserver une relation ou un "nous". Le triomphe de l'idéologie de misandrie victimaire a permis de désigner un bouc émissaire universel, un coupable universel : c'est le mâle, il faut s'acharner sur lui, il faut un vaincu.
La seule ressource qui reste à celui qui est la cible de l'intolérance et de la cruauté, est de mettre fin à la relation, de prier le petit monstre de méchanceté de reprendre immédiatement toutes ses affaires, et de rentrer immédiatement chez elle, de ne plus jamais remettre les pieds ici. Une ressource dont certains n'ont jamais pu disposer, hélas.