La guerre perdue, par Michèle Ouimethttp://www.cyberpresse.ca/article/20070926/CPOPINIONS05/709260521/-1/CPOPINIONS05Le mercredi 26 sept 2007
La guerre perdue
Michèle Ouimet
La Presse
Un mort et cinq blessés. Cette fois-ci, les soldats canadiens n'ont pas sauté sur une mine, ils se sont battus contre les talibans.
Il y aura d'autres morts, d'autres blessés. Les 2300 soldats canadiens sont déployés dans le sud de l'Afghanistan, à Kandahar, la province de tous les dangers.
Huit militaires canadiens sont morts entre 2002 et 2005, 36 en 2006, 27 en 2007. Et il reste trois mois avant de boucler l'année.
Lundi, le chef d'état-major de l'OTAN, Dick Berlijn, a dit que les talibans étaient de plus en plus efficaces: «Nous remarquons qu'ils commettent moins d'erreurs. Ils deviennent plus précis, meilleurs.»
Pas étonnant. Les talibans se radicalisent et copient Al-Qaeda: attentats suicide, prises d'otages, bombes. Ils ont de l'argent, des hommes prêts à mourir et une base arrière où se ravitailler et s'entraîner, le Pakistan.
Commençons par l'argent. Première source: l'opium. Lorsque les talibans ont pris le pouvoir en 1996, ils ont tout fait pour éliminer le commerce de la drogue. À l'époque, ils se vantaient d'être des intégristes purs et durs et la drogue heurtait de plein fouet leurs convictions religieuses.
En 2001, après six ans de pouvoir taliban, l'Afghanistan ne fournissait plus que 5% de l'opium mondial. Aujourd'hui, ce chiffre a explosé: le pays produit 95% de l'opium de la planète. L'argent de la drogue finance les activités des talibans. Leur rectitude religieuse est drôlement élastique.
Autre source de financement: les otages. Selon le journaliste pakistanais Ahmed Rashid, les 21 otages sud-coréens kidnappés par les talibans cet été leur ont rapporté 21 millions. Le gouvernement sud-coréen aurait craché un million par otage. Assez payant, merci.
Les militants talibans sont faciles à recruter. Les conditions de vie des Afghans restent misérables, même si la communauté internationale a injecté des milliards dans le pays. Plus de filles vont à l'école et moins d'enfants meurent chaque jour, mais ces progrès ne changent rien au quotidien des gens qui continuent à manquer d'électricité et d'eau et à souffrir du froid et de la faim. Rien de mieux que la pauvreté pour grossir les rangs des extrémistes.
Les talibans se réfugient au Pakistan. Selon Barnett Rubin, expert de la question afghane, ils «contrôlent davantage de territoire au Pakistan qu'en Afghanistan». Rubin a visité l'Afghanistan 30 fois depuis 1989, dont 20 fois depuis 2001. Il sait de quoi il parle.
Le gouvernement pakistanais jure qu'il appuie les États-Unis dans leur lutte contre le terrorisme et qu'il fait tout pour chasser les talibans. Laissez-moi rire.
Le Pakistan et l'Afghanistan partagent une frontière commune de 2500 kilomètres. Le gouvernement pakistanais ne contrôle ni la zone frontière ni ses deux villes stratégiques, Peshawar à l'est et Quetta à l'ouest. C'est là que les talibans ont installé leur quartier général, là qu'ils s'entraînent et recrutent leurs hommes. Au nez et à la barbe des Pakistanais qui n'osent pas intervenir.
J'essaie d'aller à Peshawar et à Quetta, mais le consulat pakistanais à Montréal ne veut rien savoir. Il m'a accordé un visa restrictif qui m'interdit d'aller vers la frontière. J'ai besoin d'un permis spécial, un «No objection certificate», pour mettre les pieds à Peshawar et à Quetta. Difficile en diable à obtenir.
Le consulat s'en lave les mains. Je dois aller à Islamabad, au Pakistan, pour obtenir le fameux permis, comme si c'était la porte d'à côté. Mais deux équipes de Radio-Canada ont déjà tenté l'expérience. Ils n'ont jamais vu la couleur de ce foutu certificat.
Je veux aussi retourner en Afghanistan. Plus simple que d'aller au Pakistan. J'ai ressorti ma burqa et mes voiles, roulés en boule dans le fond d'un placard.
Je ne veux pas être pessimiste, mais je ne crois pas que l'OTAN va gagner cette guerre. Les soldats sont noyés dans cet immense pays qu'ils ne comprennent pas et qu'ils ne comprendront jamais. Aucune force étrangère n'a réussi à dominer les Afghans, je ne vois pas pourquoi l'OTAN réussirait.