« Les souffre-douleurs sont des masochistes qui recherchent les coups… »
Déjà publié le Mer 26 nov 2003 14:20, sur le groupe Usenet fr.sci.sociologie.
Quoique sans doute décédé depuis, il est un psy que je verrais avec joie se balancer au bout d’une corde, au moins en effigie, c’est celui-ci. Je n’ai pas pu encore en retrouver le nom : il faudrait accéder aux archives de l’Express des années 1955-56 environ, ou de son concurrent à l’époque « France-Observateur », devenu depuis le Nobs – certains disent le Snobs. J’avais donc onze ou douze ans et étais en cinquième, voire début de quatrième, quand j’ai lu l’interview de ce psy, dans l’un ou l’autre de ces deux hebdomadaires progressistes pour l’époque, car ils étaient opposés aux guerres coloniales, et en particulier à la guerre en Algérie. Il déclarait qu’il ne fallait en aucun cas interrompre les rossées que les caïds de cours de récréation infligeaient aux souffre-douleurs, à quatre ou cinq contre un. D’une part parce que cela pourrait traumatiser les petits tortionnaires, d’autre part parce que, je le cite avec précision : « Ces souffre-douleurs que vous voulez défendre, sont en réalité des masochistes qui recherchent inconsciemment les coups… »
Il ne devait pas en être à son coup d’essai, et ce ne fut pas non plus son dernier coup. Six ans plus tard, vers mars 1961, la professeure de philosophie nous fit part de son ébahissement en lisant une thèse très similaire qu’elle venait de lire, aussi dans un magazine.
Il ne devait pas en être à son coup d’essai, à en juger par les réactions d’institutrices de maternelle-CP (c’était comme cela à l’époque rue Jean Bocq, actuellement annexe du Rectorat), et l’idéologie qui les sous-tend. « Ah non non non, on n’a jamais vu de harcèlement ni de persécution des nouveaux dans la cour de notre école. Non non non ! Il ne serait pas paranoïaque ce petit ? Vous savez, c’est fréquent à cinq ans ! Il n’y aurait pas des paranoïaques dans votre famille ? »
Dans la littérature savante, je n’ai trouvé que deux auteurs savants qui mentionnent le sujet tabou des pratiques persécutrices dans les cours des petites écoles. Il ne faut point s’ébahir si aucun des deux n’est freudien – loin s’en faut.
L’un est Paul Donald MacLean. Dans l’ouvrage en français co-écrit avec Roland Guyot « Les trois cerveaux de l’homme » (Robert Laffont, 1990 PARIS), il donne la liste des vingt-cinq compétences que nous héritons de nos ancêtres pélycosaures, et que nous partageons avec tous leurs descendants, dont les lézards.
Il remarque que la compétence « assister le lézard dominant à chasser un intrus » est active dans les bagarres et persécutions qu’on voit pratiquer dans les cours des écoles maternelles.
L’autre est Boris Cyrulnik. Alors que dans la lignée de leur exigence standard « M’enfin ! Qu’attendez-vous pour me présenter un bon oedipe papa-maman, sinon je vais devenir très méchant ! » les psychanalystes revendiquent que pour devenir schizophrène, il faut que le problème soit 100% familial, Cyrulnik objecte que quand on veut bien écouter les schizophrènes, eux disent en priorité la cruauté qu’ils ont rencontrée de la part des autres enfants, à l’école.
La cruauté régnant à l’école n’exclut nullement, du reste, un encouragement familial à l’exercice de la cruauté et des sévices sur ses contemporains les plus faciles à torturer. Ceci pour les familles des tortionnaires. Ni dans les familles des souffre-douleurs, une certaine complaisance des parents à voir leur fils ou leur fille maltraité(e) dès que les enfants sont assez loin pour qu’on puisse aisément fermer les yeux. Mais on va encore pousser des hourvaris, que l’auteur est forcément disqualifié, et ne saurait être « objectif », puisqu’il y était, et qu’il est un témoin direct des faits. Voyons ! La jalousie du parent de même sexe, cela ne saurait être que de l’imaginature d’un malade enfiévré !
Concernant les conditionnements culturels à la férocité dans les familles françaises riches, on trouve le témoignage suivant, dans « Courrier International » :
Les tares psychiques des élites françaises.
Dès l'âge de 2 ans, les enfants des beaux quartiers apprennent à marcher sur les autres. Plus tard, ils seront incapables de travailler en équipe.
INDEPENDENT ON SUNDAY Londres
La scène se passe dans un petit square du XVIe arrondissement. Ce quartier jadis le plus bourgeois et le plus recherché de Paris, a moins la cote aujourd'hui, mais c'est toujours le fief des conservateurs, des gens de bonne famille, des nantis et des m'as tu-vu. Autour de l'aire de jeux, de mères et des nurses, assises sur de bancs, lisent des magazines à scandale ou des hebdomadaires d'actualité. Elles ne prêtent pas attention aux enfants joliment habillés qui, comme d'habitude, se donnent des coups, se volent leurs jouets et essaient de repousser les plus petits de l'échelle du toboggan : l'horreur de faire la queue se manifeste très tôt en France.
Un petit garçon de 3 ans se fâche contre un autre enfant de son âge et le frappe sauvagement sur le bras. La victime hurle. La maman du fautif ne lève même pas les yeux de son magazine. L'enfant qui vient d'être frappé se plaint à sa mère. Au début, celle-ci ne veut pas s'en mêler, puis elle se met à crier, non pas contre l'agresseur mais contre son propre fils, qui ne s'est pas bien défendu. La seule chose intelligente à faire, lui dit-elle, est de rendre les coups. Et elle se replonge dans L'Express. Les enfants français en particulier ceux qui sont issus de la haute bourgeoisie, ne savent pas jouer avec leurs camarades. On ne les encourage pas à se conduire de façon civilisée, mais, au contraire, on les pousse à s'affirmer et à se montrer farouchement indépendants, sauf bien sûr à la maison.
La seconde scène a pour cadre le siège de l'OTAN, à Bruxelles. Durant la guerre du Kosovo, l'un de mes amis, diplomate d'un des pays membres de l'Organisation, a été temporairement détaché dans ce curieux bâtiment, où il a été amené à travailler en étroite collaboration avec des fonctionnaires de tous les pays de l'OTAN. Francophile comme moi, il a été surpris de constater, parmi ses collègues, un sentiment unanime de méfiance, voire de crainte, vis-à-vis des Français. Sur un plan politique, cela peut se comprendre. La France, en tant que membre relativement autonome de l'OTAN, n’œuvre pas toujours à ce que les autres pays considèrent comme l'intérêt général de l'Alliance. Toutefois, durant la guerre du Kosovo, son attitude n'a pas posé de problème.
"OCCUPEZ-VOUS DE VOUS, L'ÉTAT S'OCCUPERA DU RESTE".
Si les fonctionnaires français de l'OTAN étaient regardés avec méfiance, c'était parce qu'ils agissaient toujours secrètement et en dessous. Ils cherchaient à faire trébucher leurs collègues pour se mettre eux-mêmes en valeur, plaçaient leur bien-être et leur intérêt avant ceux de l'équipe, et n'étaient serviables que s'ils pouvaient en attendre un profit pour eux-mêmes ou pour leur département.
Il faut bien sûr se garder de généraliser. En travaillant en France, il m'est souvent arrivé de rencontrer des gens qui se donnaient du mal pour me venir en aide alors qu'ils n'avaient rien à espérer en retour. Il est vrai que, presque invariablement, c'étaient des personnes qui vivaient en province ou en étaient originaires. Mais il est vain d'attendre la même gentillesse de la classe des décideurs, cette élite restreinte qui ne pense qu'à se perpétuer et à défendre ses intérêts, et qui occupe les couches supérieures de l'administration, du monde politique et, jusqu'à une date récente, des milieux d'affaires. Dès l'âge de 2 ans, ses membres sont formés aux règles de l'avancement, de l'affirmation de soi et de la compétitivité. Les grandes écoles, d'où ils sortent et où ils ambitionnent d'envoyer leurs enfants, rendent public le classement de leurs diplômés. Une de mes connaissances qui a travaillé à l'ENA s'est aperçue, à sa grande surprise, que les étudiants jugeaient tout à fait normal - comme une sorte de principe d'éducation - d'imaginer des coups tordus pour faire perdre des places à leurs camarades et s'assurer ainsi un meilleur rang.
Les deux scènes mentionnées plus haut sont caractéristiques du grand paradoxe français, qui exaspère et fascine en même temps les étrangers.
La France est un pays farouchement attaché à la fraternité, à la solidarité, et souvent plus enclin à défendre les droits de l'Etat que ceux de l'individu. Mais c'est aussi un pays où abondent les comportements antisociaux et les incorrections, telle l'habitude de brûler les feux rouges ou de laisser les chiens souiller les trottoirs.
André Midol, un Parisien qui se bat pour développer l'esprit civique et qui conseille des entreprises et des collectivités locales sur les comportements à adopter en groupe, estime qu'il n'y a peut-être pas de paradoxe : c'est précisément parce que la France est une société relativement autoritaire et possessive (au niveau de l'Etat, de l'école, de l'Eglise et de la famille) que les gens sont moins portés à assumer la responsabilité de leurs actes. C'est comme s'il y avait une règle tacite disant: "Occupez-vous de vous et de votre proche entourage ; l'État s'occupera du reste." M. Midol admet que les enfants français ne savent pas jouer avec leurs petits camarades. On leur apprend, dit-il, à essayer de sortir du lot, à rivaliser, à dénigrer les autres plutôt qu'à les apprécier. Cela rend les Français moins aptes à répondre aux demandes du monde postmoderne en ligne : un monde non hiérarchisé, un monde qui privilégie l'ouverture, la coopération et le travail en équipe.
John Lichfield
Le syndrome du chef
Analysant la culture d'entreprise en France, la Süddeutsche Zeitung écrit: "La vénération aveugle de l'autorité, inculquée dès l'école, se retrouve dans les structures des entreprises, strictement hiérarchiques. On ne délègue que très rarement les prises de décision."
Parus dans Courrier International n° 471, du 10 novembre 1999, page 12,
avec un dessin de Riddell, paru dans The Observer, Londres.
Fin de citation.
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Le contrat social du scientifique inclut le mandat de se piloter en exactitude : le système de production des connaissances, il est présumé le piloter en exactitude et non en traditions, ni en stratégies de pouvoir, ni en narcissisme, ni en corruption.