Je vois que tu as rapatrié ce long débat, et en le relisant, je suis ému par cette intervention de François :
François a écrit :
Thomas a écrit :
Citation :
Pourquoi éprouver ce besoin de croire qu'il n'est pas possible de
faire avancer une classe sur un établissement très difficile dans une
approche constructiviste ?
En ce qui me concerne, c'est sans doute lié à mon vécu de prof. Ça fait presque 10 ans que j'enseigne dans un collège très difficile, entendez par là que tout y est très au-dessous de la moyenne. Les résultats scolaires (réunion d'harmonisation hier avec les écoles du secteur : à la maternelle on s'arrache les cheveux pour faire apprendre les animaux de la ferme et les couleurs - surcharge cognitive), les évaluations CE2, 6ème et le DNB sont catastrophiques (59% au DNB cette année, qui dit mieux ?), avec souvent des scores en-dessous des moyennes de ZEP.
Socialement aussi c'est très défavorisé (2ème collège le plus défavorisé de l'académie), et tous les enseignants du secteur, de la maternelle au collège, sont d'accord sur le fait que ce qu'on appelle pudiquement "l'appétence scolaire" y est extrêmement faible. L'avis des collègues qui enseignent en même temps sur d'autres établissements est encore plus négatif. Bref, dans leur majorité nos élèves sont très peu curieux (vraiment très peu), très peu cultivés (forcément), et surtout très fiers de l'être.
Nous, à vouloir leur apporter un peu d'ouverture sur l'extérieur, comme un voyage en Espagne, sommes des emmerdeurs, on les empêche de regarder la Starac et d'aller à la chasse.
Au quotidien c'est toute une galère de faire construire un phrase correcte, déjà à l'oral, mais alors à l'écrit c'est la panique ! Dans ces conditions, organiser un travail de groupe où il faut réfléchir, chercher, argumenter et présenter une synthèse à la fin, je suis désolé mais je ne peux même pas le concevoir. Déjà si mes 6èmes étaient tous capable de relire ce qu'ils ont écrit eux-même je serais super content.
J'ai des scan de productions d'élèves pour ceux qui croient que j'exagère...
Mais bon, même sans aller chercher ce genre de bahuts (et pourtant les constructivistes prétendent s'adresser à des publics en difficulté), les activités proposées sont toujours basées sur des compétences de haut niveau que très peu d'élèves maîtrisent (comprendre, argumenter, analyser, synthétiser). Quelques rappels sur les évaluations nationales de 6ème en français cette année :
- Prélever des informations ponctuelles et explicites dans un texte littéraire un manuel, un document historique : selon les items ça descend jusqu'à 18% de réussite. Informations EXPLICITES.
- Repérer la chronologie des événements dans un texte : 43% de réussite !
- Justifier : 30 à 55%
- À quoi se réfère "sa route" dans "Ces eaux usées vont être acheminées vers un fleuve qui finira sa route dans la mer ou l’océan." ? 24% de réussite.
- Qui est désigné par « nous » dans le texte ? 34%
Comment dans ces conditions organiser une activité en autonomie ? On voit déjà ce que donnent les recherches et exposés dans la plupart des cas : une recherche rapide sur internet, lancer l'imprimante sans rien avoir lu, et hop on donne ça au prof. Même qu'avec certains ça marche, ils ne s'en rendent pas compte.
Bref, tous les ingrédients sont là pour qu'a priori on ait des doutes sur l'efficacité de ce genre de pratiques. Les études expérimentales a posteriori déjà citées ne font que renforcer ces doutes. (petit rappel : elles ne disent pas que ces pratiques ne font pas progresser les élèves, elles disent qu'elles les font moins progresser que d'autres, nuance).
Maintenant, avec certaines personnalités de prof, certains types de publics, ou sur certains thèmes, il est très possible qu'on obtienne de bons résultats. Et puis, même si ça ne servait qu'au prof pour se changer de la routine et se remotiver lui-même, ce serait toujours ça de bon à prendre.
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François
Pendant ce temps, à la faveur du grand ménage dans la bibli de m'Amie, j'ouvre et je parcours les deux pamphlets de Maurice T. Maschino :
Vos enfants ne m'intéressent plus, et
Voulez-vous vraiment des enfants idiots ?Là mes deux réactions se rejoignent.
Au fil des plaintes de
Vos enfants ne m'intéressent plus, j'étais frappé par l'obsolescence de la notion même de philosophie dans la tête du prof. En marketing industriel, on nous a appris à faire tout partir des besoins du client, et de l'analyse de ces besoins. Il n'y a de notion de qualité qu'à partir d'une mesure de la satisfaction de ces besoins, côté clients.
Or là, zéro analyse des besoins des clients imposés : ces élèves.
Les profs de philo passent leur plumeau sur leurs auteurs favoris, mais n'ont jamais été formés à une collaboration interprofessionnelle, dans la vie économique réelle. Ils ne soupçonnent pas les besoins non satisfaits.
Ci-dessus, François enfonce le clou, en précisant le désespoir existentiel de ces ados puis jeunes gens, promis à un avenir professionnel très sombre et très précaire.
Dans le second livre cité, Maschino précise : réformer l'école dans une pensée d'autonomie n'aboutit jamais. L'école n'est qu'une colonie, territoire colonial définitif, dirigée de fait par des forces sociales extérieures, et qui ne peut rêver à une indépendance.
Par contraste, Selma Lagerlöf décrivait l'enthousiasme des enfant des écoles (en Suède, début 20e siècle) qui reboisaient la colline dévastée par un incendie. Voilà une activité économique sensée - même si elle est non marchande - par laquelle les enfants construisent leur avenir, au moins par l'avenir de leur montagne et de leur paysage.
On ne peut enseigner durablement des enfants en désespoir professionnel, sans leur faire construire concrètement leur avenir professionnel, sans leur confier une activité économique réelle. Dans la vie paysanne, les enfants ont toujours travaillé. Le film "Etre et avoir" montrait bien un gamin qui maniait le tracteur avec une maîtrise parfaite.
Malgré les cris que vont pousser les enseignants, cela implique par exemple d'intégrer profondément des artisans dans les collèges. Par exemple, car cette idée n'épuise pas, loin s'en faut, la liste des solutions nécessaires.
J'en reviens donc à ma marotte : donner des épreuves de réalité, des prises sur la réalité, voilà la clé de la santé mentale et de l'efficience de l'adulte. Or l'école a évolué vers de de plus en plus d'irréalité, de préservation la plus prolongée possible de toute épreuve de réalité.