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Auteur Sujet: Une bonne éducation, contée par Franck Mc Court.  (Lu 1715 fois)

JacquesL

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Une bonne éducation, contée par Franck Mc Court.
« le: 19 février 2007, 03:05:13 pm »
Une bonne éducation, contée par Franck Mc Court.

Il y a sept maîtres à Leamy's National School et tous ont des lanières de cuir, des cannes,
des baguettes hérissées d'épines. Avec les baguettes, ils vous frappent sur les épaules, le dos, les
jambes et, surtout, les mains. S'ils vous frappent sur les mains, ça s'appelle une tape. Ils vous
frappent si vous êtes en retard, si vous avez une fuite au porte-plume, si vous riez, si vous
bavardez ou si vous ne savez pas certaines choses.

Ils vous frappent si vous ne savez pas pourquoi Dieu a créé le monde, si vous ne connaissez
pas le saint patron de Limerick, si vous ne pouvez pas réciter le « Credo », si vous ne
pouvez pas ajouter dix-neuf à quarante-sept, si vous ne pouvez pas soustraire dix-neuf de
quarante-sept, si vous ne connaissez pas les chefs-lieux et les produits des trente-deux comtés
de l'Irlande, si vous n'arrivez pas à trouver la Bulgarie sur la carte murale du monde qui est
toute tachée de crachats, de morve et de pâtés d'encre balancés par des élèves chahuteurs
renvoyés définitivement.

Ils vous frappent si vous ne pouvez pas dire votre nom en irlandais, si vous ne pouvez pas
dire le « Je vous salue Marie » en irlandais, si vous ne pouvez pas demander la clef des
cabinets en irlandais.

Ça aide, d'écouter les grands en avance sur vous. Ils peuvent vous renseigner sur le maître
que vous avez en ce moment, ce qu'il aime et ce qu'il déteste.

Un maître te frappera si tu ne sais pas qu'Eamon de Valera est le plus grand homme
qui ait jamais vécu. Un autre maître te frappera si tu ne sais pas que Michael Collins fut le
plus grand homme qui vécut jamais.

M. Benson déteste l'Amérique, et tu as intérêt à te souvenir de détester l'Amérique,
sinon il te frappera. M. O'Dea déteste l'Angleterre, et tu as intérêt à te souvenir de détester
l'Angleterre, sinon il te frappera. Si jamais tu dis quoi que ce soit de bon sur Olivier
Cromwell, ils te frapperont tous.

Même s'ils vous frappent six fois sur chaque main avec la canne de frêne ou la baguette épi-
neuse, vous ne devez pas pleurer. Vous seriez une lopette. Des garçons pourraient bien vous
huer ou se moquer de vous dans la rue, mais même ceux-là doivent faire attention, car le jour
viendra où le maître les frappera et les tapera et ils devront retenir leurs larmes derrière
leurs
yeux ou perdre la face à jamais. Certains garçons disent qu'il vaut mieux pleurer, car ça plaît
aux maîtres. Si vous ne pleurez pas les maîtres vous prennent en grippe, car vous les faites
paraître faibles devant la classe, et ils se jurent que la prochaine fois qu'ils vous tiendront ils
vous tireront des larmes ou du sang, ou les deux.

Les grands de la cinquième division nous racontent que M. O'Dea aime bien vous
amener devant la classe afin de pouvoir se tenir derrière vous, pincer vos pattes (qu'on
appelle
rouflaquettes) et tirer dessus. Debout ! debout ! fait-il jusqu'à ce que vous soyez sur la pointe
des pieds et que les larmes vous montent aux yeux. Vous ne voulez pas que les garçons de la
classe vous voient pleurer mais avoir les rouflaquettes tirées ça fait venir les larmes qu'on le
veuille ou non, et le maître aime bien ça. M. O'Dea est le seul maître qui arrive toujours
à faire naître les larmes et la honte.

En général, mieux vaut ne pas pleurer, car vous devez rester potes avec les garçons de
l'école, et puis vous ne voudriez pas faire plaisir aux maîtres.

Si le maître vous frappe, inutile de s'en plaindre à votre père ou à votre mère. Tu le
mérites, disent-ils toujours. Ne fais pas le bébé.

Frank McCourt, Les Cendres d'Angela, trad. Daniel Bismuth, Belfond, 1997, p. 107-108
de l'édition J'ai Lu (N.d.T.).


Alice Miller poursuit ainsi :
L'humour a sauvé la vie à cet enfant et, plus tard, lui a permis d'écrire ce livre. Les lecteurs
lui en sont reconnaissants. Beaucoup ont vécu des choses analogues et aimeraient aussi pouvoir
rire de l'horreur. Le rire est sain, dit-on, et il aide à survivre. C'est exact, mais il peut
aussi nous inciter à l'aveuglement. On peut certes rire de l'interdiction de manger les fruits de
l'arbre de la connaissance, mais ce rire ne tirera pas le monde de son sommeil. Nous devons
apprendre à discerner la différence entre le Bien et le Mal si nous voulons nous comprendre
nous-mêmes et changer quelque chose en ce monde.
...

In Alice Miller : Libres de savoir; ouvrir les yeux sur notre propre histoire. Flammarion, Paris 2001.
_________________
Les morts ne témoignent pas...
« Modifié: 22 mars 2007, 12:35:23 am par Jacques »