L'Assemblée nationale approuve la réforme de l'hospitalisation sous contraintehttp://www.lemonde.fr/societe/article/2011/03/22/l-assemblee-nationale-approuve-la-reforme-de-l-hospitalisation-d-office_1497046_3224.htmlhttp://www.lemonde.fr/imprimer/article/2011/03/22/1497046.htmlLes députés, oui, mais les psychiatres sont beaucoup plus critiques.
L'Assemblée nationale approuve la réforme de l'hospitalisation sous contrainte
LEMONDE.FR avec AFP | 22.03.11 | 18h06 • Mis à jour le 22.03.11 | 18h29
L'Assemblée a voté, mardi 22 mars, en première lecture, le projet de loi réformant l'hospitalisation sous contrainte. Le texte, voté par 266 voix contre 147, autorise notamment les soins ambulatoires sous contrainte et non plus seulement l'hospitalisation. Il avait été initié fin 2008 par le président Nicolas Sarkozy après le meurtre à Grenoble d'un étudiant par un malade mental enfui de l'hôpital.
Le projet de loi concerne quelque 70 000 personnes qui, chaque année, sont hospitalisées soit à la demande d'un tiers (60 000 cas) ou d'office en cas d'atteinte "à la sûreté des personnes" ou "à l'ordre public" (10 000 cas). Cette dernière mesure permet au préfet de demander, sur la base d'un certificat médical, un internement en cas de trouble grave à l'ordre public ou de risque d'atteinte à la sûreté des personnes.
UNE LOI CONTROVERSÉE
La version présentée à l'Assemblée tenait compte d'une décision du Conseil constitutionnel, qui impose l'intervention du juge judiciaire au-delà de quinze jours. Le texte est cependant dénoncé par les syndicats de psychiatres comme "sécuritaire".
Le PS, par la voix de Serge Blisko, a dénoncé "un projet bancal", "imposé par le tout sécuritaire" et "basé sur la méfiance". "La psychiatrie est sinistrée" et, selon lui, ce texte opère "un retour en arrière". "1 000 postes de psychiatres ne sont pas pourvus dans les hôpitaux publics", a-t-il rappelé. Le Nouveau Centre a au contraire jugé la réforme "équilibrée" et André Flajolet (UMP) a fait valoir que le texte "renforce les droits des patients". Au cours du débat, la secrétaire d'Etat à la Santé Nora Berra a annoncé qu'un "plan santé mental" serait prêt "à l'automne".
LE CONTRÔLEUR DES PRISONS DÉNONCE DES DÉRIVES
Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, a dénoncé en fin de semaine dernière la multiplication des pratiques d'enfermement en psychiatrie. "Les incertitudes et les risques qui subsistent ne peuvent pas conduire à un accroissement préoccupant du nombre de personnes dont la maladie n'exige plus qu'elles soient privées de liberté ou isolées, sans justification médicale reconnue, pour des motifs d'atteinte à l'ordre public qui ne seraient ni avérés ni actuels", a-t-il écrit dans un avis destiné au Journal officiel. Selon lui, il est de moins en moins tenu compte des avis des psychiatres quand ceux-ci estiment que le patient, soigné, peut quitter l'hôpital. Les sorties d'essai qu'ils demandent aux préfets sont plus difficiles à obtenir et les sorties définitives plus aléatoires.
http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/03/04/le-projet-de-loi-sur-les-soins-psychiatriques-suscite-une-forte-opposition_1487129_3224.html#ens_id=1487390http://www.lemonde.fr/imprimer/article/2011/03/04/1487129.htmlLe projet de loi sur les soins psychiatriques suscite une forte oppositionLe projet de loi sur les soins psychiatriques suscite une forte opposition
LEMONDE.FR | 04.03.11 | 21h33 • Mis à jour le 04.03.11 | 22h07
La pétition a recueilli plus de dix-sept mille signatures, vendredi 4 mars. Parmi lesquelles, celles de personnalités comme l'ancien ambassadeur Stéphane Hessel, le sociologue Edgar Morin ou le magistrat Serge Portelli. Toutes dénoncent un projet de loi qui prévoit "un traitement sécuritaire des malades mentaux". A l'initiative de la pétition, le Collectif des trente-neuf contre la nuit sécuritaire, un groupe de professionnels et d'usagers de la psychiatrie.
Leur appel, relayé lundi par une tribune dans Libération, dénonce un projet de loi sur les soins psychiatriques. Adopté le 26 janvier en conseil des ministres, il doit être débattu en séance publique à partir du 15 mars à l'Assemblée nationale, date à laquelle le collectif prévoit de manifester devant le Palais-Bourbon.
Le projet de loi dénoncé par la pétition s'inscrit d'abord dans un contexte politique. Après un fait-divers largement médiatisé, le meurtre d'un étudiant à Grenoble par un malade mental en fuite en 2008, Nicolas Sarkozy réclame une réforme des soins psychiatriques. Une étape dans le discours du politique sur la santé mentale : c'est alors que le Collectif des trente-neuf se forme et s'indigne du "virage sécuritaire" d'un président qui "assimile la maladie mentale à une supposée dangerosité".
OBLIGATION DE SOINS
Complexe, le texte repose sur une mesure centrale : le passage de l'hospitalisation d'office aux "soins sans consentement sur décision du représentant d'Etat". S'il est aujourd'hui possible d'imposer l'hospitalisation à un malade, les soins à domicile deviendraient également contraignants. Cette obligation pourra être présentée, selon le projet de loi, après une observation en hôpital de trois jours, contre vingt-quatre heures aujourd'hui. En cas de non-suivi des soins, une nouvelle hospitalisation sera alors imposée.
"C'est de la garde à vue", estime Yves Gigou, un des porte-parole du Collectif des trente-neuf au sujet des soixante-douze heures d'observation. "C'est la stigmatisation de la maladie mentale pour faire peur au gens", explique l'infirmier à la retraite. Surtout, le collectif dénonce le principe de la contrainte, qui rompt, par définition, le consentement et la confiance, nécessaires à la thérapie.
Autres dérives possibles selon Yves Gigou : "retrouver des malades hospitalisés pour des périodes plus longues", avec l'obligation de retour à l'hôpital dans le cas de non-suivi des soins. Ou encore la sur-utilisation des médicaments pendant les traitements à l'hôpital. "Avec cette loi, on a aussi peur que les patients se cachent, ce qui augmenterait leur dangerosité", explique Yves Gigou.
INTERVENTION DU JUGE
Guy Lefrand, député UMP et rapporteur de la loi, rejette ces critiques et évoque au contraire "un renforcement du droit des patients". Le texte prévoit en effet l'intervention automatique d'un juge des libertés après quinze jours d'hospitalisation. Un changement introduit dans le texte à la demande du Conseil constitutionnel.
Guy Lefrand souligne également la troisième mesure fondamentale du projet de loi : le "risque grave d'atteinte à l'intégralité du malade". Il s'agit de la possibilité d'hospitaliser, sur décision du corps médical, un malade qui ne représente pas un trouble pour l'ordre public. Aujourd'hui, l'accord d'un tiers est nécessaire, ce qui représente un frein à la prise en charge, selon Guy Lefrand, lorsque l'aidant se sent menacé ou quand le malade est à la rue, sans liens familiaux. En France, près de soixante-dix mille patients ont été hospitalisés sans leur consentement en 2008, ce qui représente un quart des hospitalisations psychiatriques.
"MIEUX DEHORS QUE DEDANS"
Ceux qui travaillent auprès des malades relèvent la complexité à légiférer sur l'obligation de soins. Carmen Delavaloire, à la tête de sept groupes d'entraide mutuelle, des centres qui offrent un espace d'activités et de réinsertion aux anciens patients, condamne un projet de loi qui "porte atteinte à la liberté" avant de reconnaître le bien-fondé de l'obligation de soins dans certains cas. "On remarque que lorsque l'hospitalisation des soins est forcée, il y a plus d'échecs (...), mais quand une personne est dans une situation de crise, l'obligation de soins peut être indispensable et nécessaire pour protéger la personne, l'entourage et la société", admet l'éducatrice spécialisée.
Pour Guy Lefrand, cette loi doit avant tout faciliter la sortie du patient de l'hôpital : "L'obligation de soins existe déjà, sauf qu'elle a lieu à l'intérieur de l'hôpital. Or, le patient sera désormais en liberté." Un changement accueilli avec soulagement par les familles, souvent démunies face aux malades après leur retour dans la cité.
"On trouve que les malades sont mieux dehors que dedans", estime Jean Canneva, président de l'Union nationale de familles et amis de malades psychiques (Unafam). En faveur de la loi "en principe", il s'interroge cependant sur la possibilité d'appliquer les nouvelles mesures.
"UN GRAND PLAN POUR LA SANTÉ MENTALE"
Interventions de juges et d'équipes soignantes alors que magistrats et personnels hospitaliers dénoncent le manque de moyens de leurs institutions, la mise en œuvre de la loi fait débat. "Evidemment, l'intervention du juge n'est pas simple à mettre en place", admet Guy Lefrand. Des solutions sont donc envisagées : la visioconférence ou encore le déplacement du juge lorsqu'il doit statuer sur de nombreux cas.
Guy Lefrand comme Yves Gigou évoquent la nécessité "d'un grand plan de la santé mentale". Alors que le nombre de lits en hôpital psychiatrique a été réduit de moitié en vingt ans, ce plan devrait s'occuper du problème du manque de moyens des services psychiatriques et du déficit de formation des infirmiers. Un plan dont l'urgence évoquée par les professionnels se mesure à ce chiffre de l'Organisation mondiale de la santé : la dépression sera la première cause de handicap d'ici à 2030.
Flora Genoux
La loi sur la psychiatrie est l'indice d'un Etat qui préfère punir que guérirhttp://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/21/la-loi-sur-la-psychiatrie-est-l-indice-d-un-etat-qui-prefere-punir-que-guerir_1496307_3232.html#ens_id=1487390http://www.lemonde.fr/imprimer/article/2011/03/21/1496307.htmlLa loi sur la psychiatrie est l'indice d'un Etat qui préfère punir que guérir
LEMONDE | 21.03.11 | 13h24 • Mis à jour le 22.03.11 | 09h24
Le projet de loi relatif aux "droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques" provoque à juste titre la colère et l'indignation des associations professionnelles. On dénonce la création d'un casier judiciaire psychiatrique ou d'une garde à vue psychiatrique. On pointe la dimension exclusivement sécuritaire du projet de loi, dont le vocabulaire et la logique relèvent plus du ministère de l'intérieur que de celui de la santé. Ce n'est pas tout à fait vrai. C'est pire : il est sanitaire pour les entrées et sécuritaire pour les sorties, ce qui rendra un peu plus infernale la situation sur le terrain, en engorgeant les unités d'hospitalisation temps plein et en entravant la réalisation des soins urgents, notamment pour les malades susceptibles de commettre un acte violent.
On critique l'absence de moyens qui rend ce projet irréalisable et la mauvaise foi de ceux qui feignent de l'ignorer. Tout cela est exact mais ces objections sont singulièrement naïves : comme si le projet du législateur était d'adopter une loi effective ! Il y a belle lurette que les lois ne sont plus faites pour être appliquées ou pour améliorer la situation de ceux qui auront à en subir les effets, mais pour afficher la force de l'Etat-gendarme.
En un mot, pour comprendre le contexte de ce projet de loi, il faut surmonter l'indignation, prendre la mesure d'un certain nombre de bouleversements et de changements de paradigme. On se donne alors une chance de saisir ce qu'il peut y avoir de commun entre des phénomènes apparemment aussi divers que la souffrance au travail, avec son lot de suicides, la plainte diffuse de corps professionnels comme les policiers, les enseignants, les chercheurs, les magistrats, les médecins hospitaliers... ou la recherche systématique de boucs émissaires.
Il est d'usage d'opposer l'Etat-providence à l'Etat-gendarme et de reléguer le premier à un passé révolu. Mais l'on n'a pas suffisamment pris la mesure des effets psychiques qui ont accompagné la façon dont s'est opérée cette mutation dans notre pays : c'est une chose de ne plus se sentir protégé par une instance bienveillante ; c'en est une autre de vivre dans toute leur cruauté les attaques de ce qui exerçait autrefois une fonction tutélaire. C'est ce retournement malveillant qui est au coeur d'un grand nombre de souffrances diffuses : le sujet ne se sent plus seulement "lâché", mais se sent attaqué violemment par l'Etat, qui se défausse sur lui. Pourquoi ?
C'est que les politiques doivent résoudre une équation singulièrement complexe : concilier le maintien, voire l'accroissement des attentes, la pression des lobbies associatifs et la diminution des moyens, sans déclencher la colère populaire avec ses conséquences électorales.
Force est de constater qu'il y a également des solutions perverses. Elles ne sont pas réductibles au mensonge. Elles reposent sur les mêmes mécanismes que ceux que l'on décrit dans la clinique des perversions et de la perversité : le déni ; le clivage ; la projection (on chasse le lampiste et on choisit le bouc émissaire, généralement parmi les plus vulnérables) ; le défi (on fustige tout argument critique) ; l'inversion des valeurs (les plus démunis deviennent les plus dangereux) ; la fuite en avant (tel un vulgaire escroc empêtré dans la course folle de sa cavalerie, l'Etat vole de loi inappliquée en loi inapplicable)....
En bout de course, ce sont les acteurs de terrain qui se voient désignés comme étant à l'origine du mal et qui en portent le poids. Qui dira la douleur de ceux qui ont choisi de donner un sens collectif à leur engagement et qui se voient, au coup par coup, au petit malheur la malchance, designés à la foule comme fauteurs de troubles à l'ordre public ; de ceux qui se débattent pour sauver ce qui peut l'être ? Policiers, magistrats, fonctionnaires de justice, enseignants, chercheurs, médecins hospitaliers... ils se reconnaîtront.
Mais là encore, pour bien saisir ces changements, il faut prendre la mesure de deux bouleversements de nos représentations. C'est sur eux que s'appuie la solution politique perverse : aujourd'hui, la question n'est plus "Que faire ?" mais "A qui imputer ?". Il ne s'agit plus tant de construire ensemble que de savoir qui est responsable des dysfonctionnements.
La bureaucratie managériale en est l'agent. Elle s'infiltre partout et nous commande ce qui doit être et comment faire plus avec moins. On réglemente. On établit des procédures. On impute. On communique. Mais il n'est pas certain que l'on construise ensemble l'avenir du pays.
Le second bouleversement est la désuétude de l'éthique de la responsabilité, qu'il ne faut surtout pas confondre avec la recherche permanente d'un responsable. Cette dernière relève d'une logique d'adjudant en quête de bidasse chargé de corvée. Comme Michel Foucault l'avait clairement pressenti, on a glissé du paradigme du sujet responsable (ou irresponsable s'il est malade) à celui de l'individu dangereux porteur de risques. Malade ou non, il est la nouvelle figure de la peur.
Le vrai responsable, celui à qui il convient d'imputer l'origine du crime, ce n'est donc plus celui qui l'a commis, mais le juge qui l'a libéré, le psychiatre qui a décidé de sa sortie de l'hôpital, ou l'agent de probation qui ne l'a pas suffisamment surveillé... Il suffit de réfléchir quelques secondes pour mesurer combien ce nouveau regard qui déresponsabilise l'auteur pour surresponsabiliser celui qui l'encadre est lourd de conséquences, puisque l'homme criminel n'est plus sujet de ses actes, transférant sur les acteurs du champ social l'opprobre de son geste.
On reconnaît la rhétorique habituelle de notre président : il n'y a pas de fatalisme ; il y a bien un responsable ; il faudra payer ; c'est la règle... Après le musulman, le Rom, c'est le tour du fou dangereux. C'est à lui d'incarner cette peur dont l'Etat sécuritaire a besoin pour s'auto-affirmer. Tous les pervers le savent : c'est aux plus faibles qu'il convient de s'attaquer si l'on veut être certain du résultat.
Dès lors, on comprendra que tous les arguments sensés, tous les développements sur notre histoire prestigieuse, nos valeurs de civilisation, soient de peu de poids. Au contraire, ils renforcent la détermination de ceux auxquels ces critiques s'adressent. Cette loi en discussion, si elle est votée, ne sera que le dernier avatar, affligeant, misérable, d'un système original qui avait fait ses preuves pendant près de deux siècles.
Elle sera appelée à être abrogée, pour ouvrir la voie à une judiciarisation des hospitalisations, comme dans tous les pays de développement comparable au nôtre. Les historiens se demanderont à quoi avait bien pu servir cet intermède législatif imposé contre le consentement de la profession. A des facteurs exclusivement conjoncturels. A pas grand-chose au regard des enjeux fondamentaux que sont, pour toute société, la façon dont elle traite les plus démunis de ses citoyens et l'équilibre fragile et délicat entre la nécessité de soins et le respect des libertés individuelles. C'est ce "pas grand-chose" qui semble caractériser la période que nous traversons.
La "philosophie" qui sous-tend l'ensemble de ce projet de loi est nauséabonde. Il faut le refuser.
Daniel Zagury, psychiatre, médecin-chef au Centre psychiatrique du Bois-de-Bondy (Seine-Saint-Denis), expert auprès des tribunaux
Article paru dans l'édition du 22.03.11