"Les tribus, un élément central dans la construction de la nouvelle Libye"En février et mars dernier quand la guerre civile commençait, et que les soutiens militaires extérieurs se préparaient, je déplorais l'absence de documents sociologiques à jour sur la Lybie, et doutais qu'ils existassent même sur place.
Ne boudons donc pas cette entrevue avec Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam), à Genève :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/08/25/les-tribus-un-element-central-dans-la-construction-de-la-nouvelle-libye_1563023_3212.html#ens_id=1481986Le futur gouvernement devra réussir à trouver un équilibre entre les différentes tribus qui composent la Libye. Comme avec Mouammar Gaddafi, elles seront le critère indispensable pour assurer une certaine cohésion dans le pays, estime Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam), à Genève.
Quelle est l'importance des tribus en Libye ?
Il y a cinq ou six grandes tribus, et des dizaines de sous-tribus, implantées dans certaines régions du pays. Les tribus ont pris une dimension plus déterminante dans le système politique libyen après l'instauration du Livre vert de Mouammar Gaddafi, au milieu des années 1970. Le lien tribal est alors devenu le seul socle de stabilité, mais aussi une valeur refuge sociale très importante. Donc le fondement du système social en Libye, c'est l'appartenance à la tribu. Cependant, le Livre vert imposé par Gaddafi, qui voulait se greffer sur ce système tribal, a été rejeté par les principaux intéressés.
Dans ce cas, comment Gaddafi a-t-il pu rester au pouvoir pendant quarante-deux ans ?
Il a su tirer profit de cette nature tribale de la société en jouant habilement le rôle de balancier entre les différentes tribus. Bien sûr, il a favorisé sa propre tribu en lui donnant des positions importantes, notamment sur le plan sécuritaire, mais il a également acheté l'allégeance des autres, en leur assurant une promotion économique et sociale. Gaddafi a joué entre équilibre régional et équilibre tribal et a toujours essayé de ne jamais se fâcher avec les chefs ou les notables de tribu, à l'exception des Warfala [présente essentiellement à Benghazi, dans l'est du pays] qui sont responsables de la tentative de coup d'Etat de 1993.
Quel comportement ont adopté les tribus durant les six derniers mois ?
L'insurrection du 17 février n'était pas tribale, mais plutôt organisée par des activistes et des jeunes. Donc le premier réflexe du régime libyen a été de s'assurer du soutien des chefs de tribu. Mais ceux-ci ont bien vu que c'était quelque chose qui les dépassait.
Il y a dès lors eu une division en fonction des alliances avec Gaddafi. Et aussi au sein même des tribus : certains appelaient à soutenir la révolution et certains affichaient leur soutien au régime. Mais d'une manière générale, la grande majorité des tribus avait choisi de soutenir l'insurrection, ce qui a fait son succès. Leur position a aussi été intelligente, car elles ont épargné au pays d'avoir une grande guerre tribale.
Les tribus vont-elles jouer un rôle important dans les prochaines semaines ?
Oui, elles seront un élément central dans la construction de la Libye. D'abord en étant présentes dans des organes comme le Conseil national de transition (CNT). Tous les membres du CNT ont été choisis en fonction de leur appartenance aux différentes tribus et, surtout, en fonction de leur appartenance aux différentes régions de la Libye. Ce sera également un critère important lors des prochaines élections pour s'assurer que tout le pays est représentée au sein des instances de transition. L'organisation prochaine d'une conférence des tribus a d'ailleurs été évoquée.
Enfin, quoi qu'il arrive, les tribus resteront toujours les référents indispensables de la nouvelle élite qui dirigera le pays. Depuis l'arrivée au pouvoir de Gaddafi, il n'y a pas eu d'expression politique, que ce soit avec des syndicats ou des partis. En revanche, les appartenances tribales ont toujours existé. Elles seront donc le critère indispensable pour assurer une certaine cohésion dans le pays.
Le risque de guerre civile est-il écarté ?
Tout dépendra de la gestion des nouvelles instances. Si elles tiennent compte de cet équilibre tribal et régional, elles pourront éviter des tensions. En revanche, s'il y a une injustice ou une mauvaise gestion des équilibres, on risque de braquer certains chefs locaux. On peut s'attendre, par exemple, à ce que les membres de la tribu Warfala, mis à l'écart par le régime de Gaddafi, veuillent obtenir des postes importants.
Propos recueillis par Romain Brunet
J'en retiens que les dites tribus ont du moins assuré une tâche qu'en France nos partis politiques n'avaient pas su remplir pour l'élection présidentielle de 2007 : sélectionner et former des dirigeants à leurs responsabilités.
La Pologne aussi avait défailli à sélectionner ses dirigeants politiques, la démonstration en fut faite de façon définitive quand Lech Kaczynski enfourna tout son gouvernement et le gros de ses officiers généraux dans un cercueil volant, et força le pilote à se poser coûte que coûte sur un aérodrome pas équipé pour ces conditions météo dirimantes. Le parti socialiste français en a aussi donné une démonstration éblouissante en sélectionnant un Dominique Strauss-Kahn infoutu d'adapter sa sécurité à ses responsabilités professionnelles. Alors on ne va pas faire grief aux tribus lybiennes d'avoir un processus de sélection et de prises de décisions qui s'écarte de nos critères de démocratie formelle : la priorité première est que les choix soient bons. Les nôtres aussi sont gravement faillibles.