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Auteur Sujet: Gulf Stream : la fin d'un mythe  (Lu 2067 fois)

JacquesL

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Gulf Stream : la fin d'un mythe
« le: 13 décembre 2010, 10:49:39 pm »
Gulf Stream : la fin d'un mythe
http://www.larecherche.fr/content/recherche/article?id=11448#commentaires

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Gulf Stream la fin d'un mythe

Pourquoi fait-il en moyenne 15 degrés de plus en hiver sur l'Ouest de l'Europe que sur l'Est de l'Amérique du Nord ? Le Gulf Stream, qui transporte les eaux chaudes des tropiques, est toujours désigné comme responsable. Un réexamen des données météorologiques acquises depuis 1949 et de nouvelles simulations numériques font un sort à cette idée bien ancrée.

Si l'Europe de l'Ouest bénéficie d'hivers cléments, c'est grâce au Gulf Stream. Nous avons tous entendu ou lu cette explication au moins une fois. On la retrouve aussi bien dans les livres de climatologie que dans les guides touristiques, en passant par l'Encyclopédie du vin des éditions Oxford, les articles scientifiques ou encore la presse de vulgarisation. C'est l'une des raisons pour lesquelles tant de recherches ont été consacrées aux modifications de la circulation océanique dans l'Atlantique nord et à leur impact sur le climat. Cette croyance est si profonde qu'elle s'apparente aujourd'hui à du folklore. Je dis bien folklore car l'idée persiste en l'absence de preuve fondée sur des données et méthodes scientifiques modernes qui permettrait d'établir sa véracité.

Mais rappelons d'abord les faits. En plein coeur de l'hiver, les températures enregistrées en Europe occidentale (OEles britanniques, Scandinavie, France) sont en moyenne 15 à 20° C supérieures à celles mesurées aux mêmes latitudes sur la côte est de l'Amérique du Nord (Terre-Neuve, Labrador). Entre les deux rives de l'Atlantique, le Gulf Stream (littéralement, le « courant du Golfe ») transporte les eaux chaudes du golfe du Mexique vers le nord, le long de la côte américaine. Il vire ensuite à l'est, au large du cap Hatteras, pour faire route vers l'Europe, se refroidissant progressivement lors de son périple. Étant donné qu'aux latitudes moyennes les vents soufflent d'ouest en est, on en a déduit que la chaleur relâchée par le Gulf Stream, et convoyée par les vents d'ouest vers l'Europe, devait être la raison de la douceur des hivers européens. Il existe pourtant une explication beaucoup plus simple.

L'eau de mer ayant une forte inertie thermique, l'océan se réchauffe beaucoup moins que les continents en été et se refroidit moins en hiver. À elle seule, cette propriété suffirait à générer un écart important dans la gamme saisonnière de températures entre masses continentales et océaniques. Mais il y a aussi l'action des vents qui brassent les eaux superficielles. En été, ils redistribuent ainsi la chaleur gagnée en surface grâce à l'ensoleillement sur une couche de quelques dizaines de mètres de profondeur, alors que sur la terre ferme seul le premier mètre se réchauffe. En hiver, quand l'océan se refroidit en surface, les eaux froides superficielles, plus denses, plongent et sont remplacées par les eaux plus profondes, plus chaudes et moins denses [fig. 1]. La combinaison du tout fait qu'à la latitude de 50° N l'écart entre températures estivales et hivernales n'est que de 5° C environ sur l'Atlantique, alors qu'il est de 50° C au coeur de la Sibérie !

Les régions comme l'Europe de l'Ouest, qui reçoivent un air océanique, sont donc dotées d'un climat « maritime » aux étés frais et aux hivers doux. Tandis que les régions situées à l'ouest des océans, comme l'Est de l'Amérique du Nord, se caractérisent par un climat continental, avec des étés chauds et des hivers rigoureux. Cela pourrait être l'explication la plus simple du contraste de température entre les deux rives de l'Atlantique nord.

L'idée de la chaleur convoyée par le Gulf Stream date, semble-t-il, de la fin du XIXe siècle. En 1855, le lieutenant américain Maurice Fontaine Maury, qui servait alors dans l'US Navy, publia un ouvrage qui connut un succès retentissant (au point d'être traduit en trois langues), The Physical Geography of the Sea and its Meteorology [1]. Ignorant la distinction entre climats « maritime » et continental, il attribua l'écart de température entre les hivers européens et ceux de la côte est américaine au Gulf Stream. Ainsi, écrit-il : « L'un des rôles bienfaiteurs du Gulf Stream est de transporter la chaleur du golfe du Mexique, où sans cela elle deviendrait excessive, et de la disperser dans les régions situées par-delà l'Atlantique, améliorant le climat des OEles britanniques et de toute l'Europe de l'Ouest. » Si tel n'était pas le cas, « les doux climats de la France et de l'Angleterre seraient comme ceux du Labrador, sévères à l'extrême et glacials ». Et, poursuit-il : « Tout vent d'ouest qui souffle vers l'Europe croise le courant, absorbe une part de sa chaleur et tempère ainsi les vents d'hiver venant du nord. C'est l'influence de ce courant sur le climat qui fait d'Erin l'"île d'Émeraude de la mer", et qui drape les côtes d'Albion de robes toujours vertes ; alors qu'à la même latitude, de ce côté, les côtes du Labrador sont vite prises dans les glaces. »

La même explication figure encore dans la presse scientifique récente. Par exemple, dans la revue Nature du 28 août 1997, Stefan Rahmstorf, un climatologue du Postdam Institute for Climate Impact Research, s'inquiétant « des changements climatiques imposés par l'homme [capables de] bouleverser les courants océaniques qui, au cours des derniers dix mille ans, ont garanti à l'Europe un climat doux » (...) écrivait que « les zones septentrionales de l'Atlantique nord... reçoivent environ 1015 watts du Gulf Stream et du courant nord-atlantique. Cette chaleur se dissipe dans l'atmosphère et réchauffe les vents soufflant sur l'Europe" [2]». Cette dernière phrase, pour le moins ambiguë (réchauffe l'Europe par rapport à quoi ?), laisse l'impression que les courants océaniques jouent un rôle fondamental dans la douceur des hivers européens.

La différence entre climats continentaux et océaniques existerait même si les vents soufflaient directement d'ouest en est. Ce n'est en réalité pas le cas, car la circulation atmosphérique des moyennes latitudes est très fortement marquée par de larges méandres qui s'étendent sur plusieurs milliers de kilomètres (appelés « ondes stationnaires » car ils sont stables par rapport à la surface terrestre). Ces méandres résultent en partie des différences de pression, elles-mêmes liées au contraste de température, entre l'océan et les continents. Aux mêmes latitudes, ces derniers sont considérablement plus froids en hiver. Toutefois, ces grands mouvements sont dus pour une très large part à la distribution du relief terrestre, qui dévie l'écoulement de l'air, créant des méandres là où le vent voudrait souffler d'ouest en est. De plus, il est connu de tous que les vents de l'hémisphère nord sont relativement froids quand ils soufflent depuis le nord, et relativement chauds quand ils proviennent du sud.

Un de ces méandres existe à l'est des montagnes Rocheuses [fig. 2], amenant de l'air froid vers l'est de l'Amérique du Nord et de l'air chaud vers l'Europe de l'Ouest. Il est clair que cette sinuosité de la circulation atmosphérique fait également partie du jeu.

Nous avons donc trois phénomènes en compétition pour expliquer la relative douceur des hivers européens [fig. 2]. Le premier est le stockage saisonnier de la chaleur dans la couche superficielle de l'océan et sa libération dans l'atmosphère. Le deuxième est effectivement le transport de la chaleur par le Gulf Stream des tropiques vers le nord, et sa dissipation dans l'atmosphère. Le troisième, moins connu, est le transport de chaleur par les ondes stationnaires. Les travaux que j'ai publiés avec plusieurs collègues en octobre dernier dans Quaterly Journal of the Royal Meteorological Society ont permis de quantifier l'importance relative de ces trois phénomènes [3].

Nous avons d'abord comparé les quantités de chaleur transportées par l'océan et par l'atmosphère. Rappelons qu'aux basses latitudes, la Terre (atmosphère + océan + terres émergées) absorbe plus de rayonnement solaire qu'elle n'émet de rayonnement infrarouge vers l'espace. Et inversement aux hautes latitudes. De ce déséquilibre naissent les courants marins et atmosphériques qui, pour rétablir la balance, transportent la chaleur de l'équateur vers les pôles. Aujourd'hui, les satellites permettent de mesurer le bilan radiatif et d'estimer le transport total de chaleur dans le système atmosphère-océan. ll faut ensuite déterminer la part de l'atmosphère, pour en déduire celle de l'océan. Cette part atmosphérique a longtemps été calculée sur la seule base d'observations météorologiques (lancés de radiosondes). Il en ressortait que les rôles respectifs de l'océan et de l'atmosphère étaient pratiquement équivalents, une idée qui est restée profondément ancrée dans les esprits.

Cependant, au cours des dernières années, l'amélioration des modèles numériques de prévision météorologique a conduit à une réanalyse systématique de toutes les observations réalisées depuis 1949 [4]. Cette réanalyse a fourni des données à l'échelle du Globe entier, à partir desquelles Kevin Trenberth et ses collègues du National Center for Atmospheric Research, à Boulder (Colorado), ont démontré qu'aux latitudes moyennes l'essentiel de la chaleur est véhiculé non par l'océan mais par l'atmosphère [5]. En fait, les observations utilisées dans les premières estimations provenaient essentiellement de mesures effectuées au-dessus des continents. Or, l'atmosphère transporte d'énormes quantités de chaleur vers les pôles via les tempêtes hivernales qui balaient les océans. Poursuivant leur démarche, nous avons alors calculé les conséquences en termes de température : en l'absence de cette composante atmosphérique, les températures hivernales de la région située au-delà de 35° de latitude nord seraient inférieures de quelque 27° C à ce qu'elles sont !

Toujours grâce aux données réanalysées, nous avons aussi déterminé les changements moyens de température en fonction du temps, dus aux mouvements atmosphériques. Résultat : aux moyennes latitudes, l'écoulement d'air moyen ? c'est-à-dire l'écoulement typique sur une saison ? réchauffe les régions situées à l'est des océans et refroidit celles situées à l'ouest. Et c'est surtout l'écoulement nord-sud de l'air associé aux ondes stationnaires qui en est responsable. L'effet net de la variabilité des vents ? c'est-à-dire de la continuelle succession de cyclones et d'anticyclones qui déterminent notre climat ? réchauffe au contraire les régions intrinsèquement froides (l'Est américain, par exemple) et refroidit les chaudes (l'Europe occidentale). Mais, au bilan, c'est l'écoulement moyen qui l'emporte, d'un facteur 2 au moins ! Ce sont donc clairement les mouvements atmosphériques qui adoucissent les hivers européens.

Mais quelle est l'origine de la chaleur relâchée par l'océan que les vents soufflent sur l'Europe ? Ce relargage est-il entretenu par un stockage saisonnier de chaleur dans l'océan ou par les courants marins ? Pour le savoir, nous avons repris l'ensemble des observations collectées par les bateaux et analysé la chaleur relâchée par l'océan par évaporation, les échanges par conduction, ainsi que la perte nette due à l'émission de rayonnement infrarouge : en hiver, la chaleur perdue est compensée en partie par le rayonnement solaire absorbé (qui est faible), en partie par une diminution du stock de chaleur accumulé durant l'été et en partie par la convergence thermique des courants océaniques. On entend par convergence thermique des courants le fait que, dans certaines zones, les courants amènent plus de chaleur qu'ils n'en retirent. Cet excès contribue à réchauffer localement l'océan.

D'après nos calculs, les courants océaniques apportent la moitié de la chaleur relâchée en hiver dans deux petites régions. Celle du Gulf Stream, qui borde l'Est des États-Unis, où les eaux tropicales chaudes s'écoulent en dessous d'un air froid et sec venant de l'Amérique du Nord. Et celle située immédiatement à l'ouest de la Norvège. Sur tout le reste de l'Atlantique nord, la chaleur libérée graduellement au cours de l'hiver provient essentiellement du stock estival. Un processus qui continuerait même sans mouvements océaniques. En son absence, les régions de l'Atlantique situées au-delà de 35° N seraient, une fois encore, plus froides de 27° C !

Pour vérifier le rôle secondaire des courants, nous nous sommes tournés vers les simulations numériques. Le modèle de climat que nous avons utilisé combine un modèle de circulation atmosphérique générale et une représentation simplifiée de l'océan sous la forme d'une couche d'eau immobile. Un artifice qui permet d'éliminer le transport de chaleur par les courants océaniques, tout en conservant la propriété d'absorber, de stocker et de libérer de la chaleur. Les variations de températures hivernales ainsi modélisées de part et d'autre de l'Atlantique, entre les latitudes de l'Espagne et de la Norvège, sont presque identiques à celles observées. Et confirment ainsi la faible influence du Gulf Stream sur le contraste thermique entre les hivers européens et américains. En revanche, les courants océaniques jouent un rôle plus important plus au nord, en empêchant la formation de glaces de mer le long des côtes norvégiennes [fig. 3].

Ces simulations numériques montrent également que le transport océanique de la chaleur augmente les températures hivernales de l'Est de l'Amérique du Nord et de l'Europe occidentale de 2 à 3° C (laissant le contraste entre les deux inchangé). Ce réchauffement ne représente que 10 % de celui généré par les mouvements atmosphériques ou de celui lié à la libération saisonnière du stock de chaleur des océans ! De façon surprenante, l'Est américain reçoit finalement autant de chaleur des courants océaniques que l'Ouest de l'Europe. L'explication vient des tempêtes hivernales qui pompent la chaleur du Gulf Stream à l'est de l'Atlantique nord et la ramènent vers les côtes américaines.

Enfin, lorsqu'on élimine les montagnes des simulations climatiques, les méandres des ondes stationnaires s'atténuent et les vents soufflant dans la direction nord-sud s'affaiblissent. En particulier, la zone de basse pression qui se trouve habituellement au-dessus de la côte est de l'Amérique du Nord, résultant de l'écoulement des masses d'air au-dessus des montagnes Rocheuses, disparaît. L'air ne vient plus du nord du Canada mais de l'ouest du continent nord-américain. Conséquence : sans les Rocheuses, la température de l'Est des États-Unis augmente de 6° C. De l'autre côté de l'Atlantique, les vents chauds du sud-ouest laissent la place à des vents d'ouest plus froids. Et l'Europe se refroidit de 3° C [fig. 3].

En conclusion, la chaîne des Rocheuses explique pour moitié les 15° C de différence entre les deux rives de l'Atlantique nord. L'autre moitié étant due à la libération saisonnière de chaleur par la couche de mélange ? on retrouve ici la distinction entre climat maritime et continental. Le Gulf Stream n'y est pratiquement pour rien.

Le rôle mineur de ce courant marin aurait pu être remarqué bien plus tôt. Beaucoup d'expériences numériques ont été réalisées ces dernières années pour simuler un arrêt de cette circulation océanique nord-atlantique (le fameux « tapis roulant » [6]), le but étant d'en étudier les effets sur le climat global et régional. De nombreux scientifiques pensent en effet que le réchauffement global lié à l'émission massive de gaz à effet de serre pourrait causer un ralentissement de la circulation océanique, voire son arrêt, et qu'un tel processus s'est déjà produit par le passé [6]. Or, ces simulations montrent qu'en l'absence des courants océaniques les changements de température de part et d'autre de l'océan ne sont que de quelques degrés. Des changements bien faibles en comparaison de ceux mesurés sur l'ensemble de l'Atlantique...

Notre contribution fut donc de quantifier les phénomènes qui entretiennent le contraste climatique hivernal de part et d'autre de l'Atlantique et de pointer l'importance du relief dans les transports de chaleur atmosphériques.

Le mythe du Gulf Stream va-t-il s'éteindre et la section de l'Encyclopédie du vin concernant les châteaux de la Loire sera-t-elle amendée ? Ou, comme le comte Dracula, va-t-il rejoindre le rang des spectres qui nous hantent longtemps après leur mort officielle ? L'avenir nous le dira. en Deux mots Pour comprendre l'origine des hivers doux européens, Richard Seager et ses collègues ont étudié la façon dont les vents et les courants marins distribuent la chaleur autour du Globe. À partir d'observations météorologiques et des données collectées par les bateaux, ils ont d'abord montré que le principal convoyeur de chaleur vers L'Europe n'est pas l'océan mais l'atmosphère... Selon leurs simulations numériques, les deux phénomènes principaux en jeu sont d'une part les grands écoulements atmosphériques liés à la présence des Rocheuses, qui refroidissent l'Est américain, et d'autre part la dissipation dans l'atmosphère de la chaleur stockée pendant l'été dans les eaux superficielles de l'océan. Le Gulf Stream n'y est pratiquement pour rien.

Richard Seager

L'action des vents

En ÉtÉ, À la faveur d'un ensoleillement plus fort, la surface de l'océan se réchauffe. Les vents qui brassent les eaux superficielles de l'océan redistribuent cette chaleur sur une couche de quelques dizaines de mètres de profondeur. Cette couche dite « de mélange » stocke cette énergie. En hiver, l'ensoleillement est moindre et les vents beaucoup plus violents : l'océan se refroidit en surface et relargue sa chaleur dans l'atmosphère. Les eaux froides superficielles, plus denses (en bleu clair), plongent alors et sont remplacées par les eaux plus profondes, plus chaudes et moins denses (en bleu foncé).

Trois phénomènes en compétition

Trois phénomènes participent au contraste des températures hivernales entre les côtes atlantiques américaines et européennes, mais dans quelles proportions ? 1. Le relargage dans l'atmosphère de la chaleur stockée pendant l'été dans la couche superficielle de l'océan. 2. Le transport de chaleur par le Gulf Stream des subtropiques vers le nord et sa libération dans l'atmosphère. 3. Les grands méandres atmosphériques qui, en partie façonnés par les reliefs, s'étendent sur plusieurs milliers de kilomètres. En l'occurrence celui présent à l'est des montagnes Rocheuses, qui souffle depuis le nord de l'air froid sur l'est de l'Amérique du Nord et, depuis le sud, de l'air chaud vers l'Europe de l'Ouest. © infographies / P. Pineau

Simulations numériques

a : Le modÈle utilisÉ ne tient pas compte du transport de chaleur par les courants océaniques et reproduit pourtant bien le contraste de température observé de part et d'autre de l'Atlantique nord. On retrouve ainsi la différence de 15 à 20° C, suivant les régions, entre la côte est de l'Amérique du Nord sur les côtes ouest de l'Europe. Il s'agit de moyennes pour le mois de janvier.

b : quand on élimine les montagnes du modèle, on ne retrouve pas les observations. Sont figurées ici, toujours pour le mois de janvier, les différences de température entre un modèle avec montagnes et un modèle sans, qui tiennent compte du transport de la chaleur par les océans. © DR

RÉACTIONS Effervescence chez les climatologues

Gilles Ramstein dirige l'équipe de « modélisation du climat » au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, CEA/CNRS.

Comment ont été accueillis ces résultats ?

La remise en cause d'un paradigme est toujours intéressante et, en l'occurrence, cet article paru dans une revue assez technique a circulé et provoqué une certaine effervescence bien avant sa publication. J'y vois en fait deux raisons majeures. Le sujet lui-même : le rôle marginal du Gulf Stream dans la différence de températures hivernales entre l'ouest de l'Europe et l'est de l'Amérique du Nord. Et le contexte du changement climatique avec toutes les discussions autour d'un arrêt éventuel de la circulation océanique que provoquerait l'augmentation rapide des gaz à effet de serre. Et qui, selon beaucoup de publications, se traduirait par un refroidissement de l'Europe de l'Ouest dans un monde globalement plus chaud.

L'éclairage de Seager change-t-il cette vision ?

En fait non. Mais, dans certains esprits, le fait que le Gulf Stream soit réduit à l'état de comparse et qu'on puisse expliquer les différences de températures hivernales entre les deux côtés de l'Atlantique nord, sans même avoir recours à un océan dynamique, pourrait amener à penser que, finalement, notre système climatique n'est pas si fragile, puisqu'il est régulé par la présence de chaîne de montagnes et par le cycle saisonnier. Ce serait évidemment partir d'une démonstration relativement convaincante d'un phénomène précis pour arriver à des conclusions générales fausses !

Pourquoi qualifiez-vous la démonstration de « relativement convaincante » ?

Mes réserves portent sur deux points. Le premier est d'ordre méthodologique : R. Seager utilise un modèle atmosphérique très complet et un océan qui est réduit à une simple couche d'eau. Il n'est pas du tout évident qu'un modèle plus complexe, simulant vraiment les interactions entre l'océan et l'atmosphère, conduise à la même répartition entre les trois phénomènes en jeu. Le second est encore lié au contexte du changement climatique. Les Rocheuses ne vont pas disparaître avant longtemps, de même le relargage saisonnier de chaleur par l'océan ne peut pas beaucoup varier. En revanche, et les climats du passé en apportent de nombreuses preuves, la circulation océanique peut s'arrêter. Conclusion, le Gulf Stream est peut-être le plus petit joueur, mais c'est celui qui peut varier le plus vite. Sa disparition ne changerait probablement pas l'écart des températures hivernales entre l'Europe et l'Est de l'Amérique du Nord, mais impliquerait des modifications de la circulation océanique, qui auraient des conséquences importantes pour tout le secteur nord-atlantique.



[1] The Physical Geography of the Sea and its Meteorology, Harper

et Brothers, New York, 1855.

[2] R. Rahmstorf, Nature, 388, 825, 1997.

[3] R. Seager et al., Quaterly J. of the Royal Meteorological Society, 128, 2563, 2002.

[4] E. Kalnay et al., « The NCEP/NCAR 40-year reanalysis project », Bull. Am. Meteor. Soc., 77, 437-471, 1996.

[5] Kevin Trenberth, Climate Dynamics, 17, 259, 2001.

[6] P. Delécluse, « Quand le tapis roulant a des ratés », La Recherche, juillet-août 2002 ; J.-C. Duplessy, « Vers un refroidissement de l'Europe », La Recherche, février 1997.