Engueulade alsacienne à double détente
Ces maladroits d'automobilistes ont froissé de la tôle au carrefour. En ce temps là, les compagnies d'assurances n'avaient pas encore inventé les constats amiables. L'accident étant sans gravité aucune, les chauffeurs ne descendirent donc pas de leur siège, et se contentèrent de s'engueuler copieusement par leurs vitres ouvertes. Les oreilles d'ici étant chastes, je vous ferai grâce des gracieusetés qu'ils s'envoyèrent ainsi. Sauf la dernière. Celui des deux chauffeurs qui avait un fort accent alsacien, lança « Va donc ! Eh ! Charnière ! ». Interloqué, l'autre chauffeur eut besoin de réfléchir un instant pour décoder une insulte aussi obscure. L'alsacien en profita pour redémarrer, et laisser l'autre en plan, avec son problème de décodage linguistique.
« Charnière ? Ce n'est pas une insulte... Jarnière ? Gearnière ? Ça n'existe pas. Il y a bien le juron «jarnicoton bleu», renouvelé de Henri IV par le père Ubu, mais ça n'a rien à voir » : de "Jarnidieu" à "Jarni Aire", le chemin est introuvable, et de plus il aboutit à un juron et non à une insulte. Absorbé dans ses pensées, notre automobiliste froissé dans ses tôles, rentre chez lui, plus prudemment cette fois, et il n'a pas d'autres accidents.
Préoccupé par cette injure incompréhensible, il ouvre un dictionnaire. Pas de doute, ni Jarnière ni Gearnière n'existent. Charnière alors ? La définition l'éclaire : « Charnière : espèce de gond ».
Jacques