http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3244,50-1382156,0.htmlAbderrazak El Albani, chercheur au laboratoire Hydrasa
"Nous autres scientifiques avons tendance à faire trop confiance à nos professeurs"
LE MONDE | 02.07.10 | 15h25 • Mis à jour le 02.07.10 | 15h25
Abderrazak El Albani est le coauteur de la découverte de fossiles d'organismes vieux de 2,1 milliards d'années, qu'il interprète comme les premières formes de vie complexes.
Comment se fait-il que, sur une zone aussi étudiée que le bassin de Franceville (sud-est du Gabon), une telle découverte ne soit pas intervenue plus tôt ?
Ce n'est pas le fait d'un manque d'observations, mais c'est, à mon sens, le fait que nous autres scientifiques sommes parfois trop formatés par les livres. Nous avons malheureusement tous tendance à trop faire confiance à ce que nous ont appris nos professeurs. Il faut bien sûr de la connaissance, mais il faut aussi de la curiosité. Les fossiles étaient là, il fallait vouloir les voir.
Depuis la publication de nos travaux, un géologue du Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) à la retraite m'a appelé pour me raconter qu'il avait un jour trouvé dans cette formation un spécimen - quelque chose en tout cas -, mais qu'il avait malheureusement fini par s'en débarrasser parce qu'un tel fossile à 2,1 milliards d'années lui semblait tout simplement impossible. C'est le cas pour de nombreux chercheurs. Si on n'arrive pas quelque part avec la volonté de dépasser le dogme, on peut piétiner des dizaines de spécimens sans s'en rendre compte et sans rien en faire.
Vous êtes géologue, sédimentologue de formation : est-ce à dire qu'il vous était plus facile de "voir" ces fossiles qu'à un spécialiste des faunes précambriennes ?
Non, pas nécessairement. Les géologues, comme les paléontologues, travaillent d'abord avec leur oeil et leur marteau. La seule chose qui compte réellement est la curiosité et la volonté de dépasser des idées qui semblent arrêtées. D'ailleurs, plusieurs paléontologues, spécialistes des fossiles les plus anciens, ont participé à l'analyse de ces fossiles gabonais.
Comment s'est passée votre approche de cette autre communauté scientifique ? Quelles ont été les premières réactions lorsque vous avez montré les fossiles ?
Cela n'a pas été toujours facile. Par moments, nous avons été quelque peu maltraités. Certains m'ont vraisemblablement pris pour un fou. Un autre m'a demandé où j'avais "acheté les fossiles"... Nous avons eu face à nous des paléontologues et des paléobiologistes qui étaient totalement hermétiques et fermés. Mais nous avons réussi à rassembler une équipe de chercheurs ouverts d'esprit issus de diverses communautés.
La publication de ces travaux va à l'évidence soulever des discussions houleuses et certains affirment déjà que les fossiles gabonais pourraient n'être que des agrégats microbiens, auquel cas la découverte de ces fossiles ne changerait pas fondamentalement le corpus actuel de connaissances. Que leur répondez-vous ?
Je réponds avec des arguments, non des croyances. Si des chercheurs ont déjà identifié des fossiles clairement issus d'assemblages pluricellulaires de bactéries, où s'ils ont déjà pu observer dans la nature de tels assemblages, semblables ou analogues à ce que nous avons trouvé, alors nous discuterons, argument contre argument.
Mais de telles colonies bactériennes, nous en connaissons qui sont étudiées en laboratoire et on a de bonnes idées sur le genre de structures qu'elles forment. Or, ces structures ne ressemblent en rien aux formes fossiles que nous avons découvertes. De plus, les colonies bactériennes ne sont jamais conservées dans le "registre sédimentaire" (c'est-à-dire dans la roche). Les discussions que nous avons eues avec des microbiologistes nous inclinent à penser que les formes fossiles que nous avons ne peuvent pas être des colonies bactériennes, sinon elles ne seraient pas conservées. Ce n'est simplement pas possible.
Pour l'heure, nous avons étudié les fossiles gabonais en long, en large et en travers, au terme d'un minutieux travail pluridisciplinaire et nous retombons toujours sur cette conclusion : il s'agit d'organismes eucaryotes pluricellulaires.
Propos recueillis par Stéphane Foucart
Le problème n'est pas d'être scientifique, mais d'être intérieur à un communautarisme, et aveugle à ce communautarisme-là, d'être incapable de l'observer de l'extérieur.
Etre aveugle au contrat communautariste, où en échange de l'adhésion, on se garantit un préjugé de supériorité sur le restant du monde.