Au
cœur du réseau caché derrière la surveillance de masse, les guerres
sans fin, et Skynet…
« Insurge
Intelligence,
un nouveau projet de journalisme d’investigation en financement
participatif, révèle en exclusivité les méthodes employées par les
agences de renseignement étasuniennes pour financer, couver et incuber
Google, dans le dessein de dominer le monde au travers du contrôle de
l’information. Google, financée dès le tout début par la NSA et la CIA,
ne fut ni la première, ni la dernière jeune pousse du secteur privé à
se voir cooptée par les renseignements américains pour maintenir une
‘supériorité informationnelle’.
Les
origines de cette stratégie ingénieuse remontent à un groupe secret
sponsorisé par le Pentagone, qui a joué le rôle de lien, ces vingt
dernières années, entre le gouvernement étasunien et les élites des
mondes des affaires ; de l’industrie ; de la finance ; des
multinationales ; et des médias. Ce même groupe a permis à des intérêts
bien particuliers des grandes sociétés étasuniennes d’éluder
systématiquement tout contrôle démocratique et même les lois, afin
d’influencer les politiques du gouvernements et de façonner les
opinions publiques aux USA et partout dans le monde. Les résultats en
sont désastreux : la surveillance de masse exercée par la NSA, un état
permanent de guerre mondiale, et des actions récentes visant à
transformer l’armée étasunienne en Skynet. »
Nous
publions le présent rapport sans restriction, dans l’intérêt général,
et rappelons qu’il fut permis par un financement participatif. Je
voudrais remercier la communauté fantastique qui m’a soutenu, et sans
laquelle ce travail d’enquête en profondeur n’aurait pas pu se tenir.
S’il vous plaît, continuez
de soutenir les journalistes indépendants dans
leurs enquêtes sur les grands sujets qui nous concernent tous.
Au
lendemain des attentats de Charlie Hebdo à Paris, les gouvernements
occidentaux se hâtent de légiférer pour attribuer de nouveaux pouvoirs
à la surveillance de masse, et au contrôle d’Internet, le tout au nom
de la lutte contre le terrorisme.
Les hommes
politiques,
des deux côtés de l’Atlantique, ont appelé à protéger l’espionnage type
NSA, et à faire progresser les possibilités d’entraver la vie privée
sur internet, en rendant le chiffrement illégal. Une idée qui se répand
consiste à vouloir, via un partenariat avec les télécoms, effacer
unilatéralement tout contenu considéré comme « propageant
la haine et la violence », dans des situations considérés
comme « appropriées ».
Des discussions énergiques sont en cours dans les gouvernements et les
parlements, pour rompre le principe de confidentialité des échanges entre
l’avocat et son client.
Il
paraît bien mystérieux de
se figurer en quoi l’une ou l’autre de ces actions aurait pu empêcher
les attentats de Charlie Hebdo, d’autant plus qu’il est établi que les
terroristes étaient connus des services de renseignement français
depuis une dizaine d’années.
En
fait, il n’y a rien de bien nouveau jusqu’ici. Les atrocités du 11
septembre furent le début d’une longue série d’attentats terroristes, à
chaque fois suivis par des extensions incroyables des pouvoirs des
États, au détriment des libertés publiques, sur fond d’envoi de troupes
dans les régions considérées comme des points chauds hébergeant des
terroristes. À ce stade, aucune indication n’incite à penser que cette
formule, pourtant tant employée, ait fait baisser les niveaux de
danger. En revanche, il apparaît que nous nous enfermons dans une
spirale infernale de violence, sans réelle possibilité d’en sortir.
Alors
que nos gouvernements maintiennent la pression pour gagner en pouvoir, Insurge
intelligence peut
à présent révéler l’étendue de l’implication de la communauté du
renseignement étasunienne dans la couvaison des plate-formes web que
nous connaissons aujourd’hui, dans le but précis d’utiliser la
technologie comme mécanisme de combat dans une « guerre
de l’information » mondiale,
visant à faire apparaître comme légitime le pouvoir de quelques-uns sur
nous tous. Le pilier de cette étude est l’entreprise qui définit le
XXIème siècle à de multiples égards, de par son omniprésence
imperceptible : Google.
Google
se pare des atours d’une société technologique amicale, branchée,
simple à utiliser, ayant bâti son succès par une combinaison de talent,
de chance et d’innovation authentique. Et toutes ces facettes sont
réelles. Mais elles ne constituent qu’un fragment de l’histoire. Dans
la réalité, Google est un écran de fumée, derrière lequel évoluent les
acteurs du complexe militaro-industriel étasunien.
L’histoire
racontée de l’intérieur de la montée de Google, révélée pour la
première fois par ces lignes, dévoile une pieuvre dont les tentacules
vont bien plus loin que Google ; de manière inattendue, elle dévoile
l’existence d’un réseau parasite, qui conduit les évolutions de
l’appareil de sécurité nationale étasunien, et tire des profits
obscènes de son fonctionnement.
Le
réseau caché
Depuis
une vingtaine d’années, les stratégies étasuniennes en matière de
politique étrangère et de renseignement ont amené à une « guerre
contre la terreur » mondiale,
constituée d’invasions militaires prolongées dans le monde musulman et
d’une surveillance totale des populations civiles. Ces stratégies ont
été incubées, pour ne pas dire imposées, par un réseau caché, qui prend
ses racines au Pentagone, mais s’est développé également en dehors.
Ce
réseau bip-artisan – mis en place sous l’administration Clinton,
consolidé sous Bush, et fermement enraciné depuis Obama, et composé
surtout d’idéologues néo-conservateurs – a scellé sa domination sur le
département de la défense étasunien (le DoD) début 2015, par
l’intervention d’une obscure entité privée distincte du Pentagone, mais
pilotée par le Pentagone.
En
1999, la CIA créait sa propre société d’investissement en capital
risque, In-Q-Tel, pour financer les jeunes pousses prometteuses, qui
pourraient créer des technologies intéressant les agences de
renseignement. Mais l’inspiration derrière In-Q-Tel en était antérieure
; elle remonte au moment où le Pentagone créa ses propres émanations
privées.
Connu
sous le nom de « Highlands
Forum »[littéralement
« Forum des hauts-plateaux », NdT],
ce réseau privé a opéré comme lien entre le Pentagone et les puissantes
élites étasuniennes extérieures à l’appareil militaire, depuis le
milieu des années 1990. Au gré des changements survenus dans les
administrations civiles, le réseau autour du Highlands
Forum a réussi à accroître avec le temps sa
main-mise sur la politique de défense étasunienne.
Les
gigantesques fournisseurs privés de la défense, comme Booz
Allen Hamilton et Science
Applications International Corporation sont
parfois appelés « communauté
cachée du renseignement » en
raison des porosités qui existent entre eux-mêmes et le gouvernement,
et de par leur capacité à influencer et en même temps tirer profit de
la politique de défense. Ces fournisseurs sont en concurrence entre eux
pour le pouvoir et pour l’argent, mais ils savent également collaborer
entre eux quand il le faut. Depuis 20 ans, le Highlands
Forum constitue
un espace de rencontre discret entre certains des plus puissants
membres de la communauté cachée du renseignement, avec des officiels du
gouvernement étasunien, ainsi que d’autres dirigeants d’industries
choisies.
J’ai
été confronté pour la première fois à l’existence de ce réseau en
novembre 2014, alors que je travaillais sur un article pour Motherboard
[un journal en ligne édité par VICE, NdT]. J’avais alors été amené
à signaler que le secrétaire étasunien à la défense, Chuck Hagel,
venait d’annoncer que la « Defense
Innovation Initiative » visait à construire
Skynet – ou quelque chose qui lui ressemblerait, dans le but
suprême de dominer l’ère naissante de la guerre par robots automatisée.
Cet
article se basait sur un « livre
blanc » obscur, financé par le Pentagone,
publié deux mois auparavant par la National
Defense University (NDU)
de Washington DC, une institution importante de l’appareil militaire
étasunien, qui, parmi d’autres choses, produit des recherches visant à
développer la politique de défense étasunienne aux plus hauts niveaux.
Le livre blanc clarifiait les idées qui sous-tendaient cette
nouvelle
initiative, ainsi que les développements scientifiques et
technologiques révolutionnaires sur lesquels il espérait capitaliser.
Le
Highlands Forum
L’un
des auteurs de ce livre blanc du NDU est Linton Wells, un ancien
dirigeant militaire étasunien, qui avait tenu le poste de directeur
des systèmes d’information du Pentagone sous
l’administration Bush, parmi ses fonctions, il supervisait la National
Security Agency (NSA) ainsi que d’autres agences
d’espionnage. Il dispose
encore d’habilitations de sécurité au niveau
top-secret, et si l’on en croit un article du journal Government
Executive,il
présidaen 2006 le Highlands
Forum, fondé par le Pentagone en 1994.
Le
journal New
Scientist (article à accès payant) a comparé
le Highlands
Forum à une réunion d’élites semblable à « Davos,
Ditchley et Aspen », avec ceci de plus qu’il est « beaucoup
moins connu du public, mais tout aussi influent ». Les
sessions du Forumrassemblent « des
personnalités innovantes pour décrire les interactions entre le monde
politique et la technologie. Ses plus grands succès résident dans le
développement de la guerre en réseau de haute technologie ».
Au
vu du rôle joué par Wells dans un tel Forum,
il n’était peut-être pas surprenant que son livre blanc sur la
transformation de la défense ait un impact aussi profond sur les
politiques décidées par le Pentagone. Mais si tel fut le cas, pourquoi
personne ne s’en est-il rendu compte ?
Bien
qu’il soit soutenu par le Pentagone, je n’ai pas réussi à trouver la
moindre page officielle sur le site internet du DoD qui fasse référence
au Highlands
Forum. Mes sources au sein de l’armée et des renseignements,
actives ou retraitées, n’avaient jamais entendu parler de ce Forum,
pas plus qu’aucun journaliste spécialisé sur les sujets de sécurité
nationale. J’étais déconcerté.
La
société de capital risque intellectuel du Pentagone
Dans
le prologue de son livre de 2007, dont le titre est Une
foule d’individus : l’avenir de l’identité individuelle,[titre
original : A Crowd of One : The Future of Individual Identity, NdT],
John Clippinger, un scientifique du MIT membre du Media
Lab Human Dynamics Group, décrivait sa participation à une
rencontre du Highlands
Forum, une « instance
réservée aux personnes invitées, financée par le département de la
défense et présidée par l’assistant aux réseaux et à l’intégration de
l’information ». Il s’agissait d’un poste de haute direction
du
DoD, supervisant les opérations et les politiques des agences
d’espionnage les plus puissantes du Pentagone, parmi lesquelles, entre
autres, la NSA ou la Defense
Intelligence Agency (DIA). À partir de 2003, ce
poste se transforma en ce qu’on appelle aujourd’hui « sous-secrétaire
à la défense pour le renseignement ». Le Highlands
Forum, écrit
Clippinger, fut fondé par Dick O’Neill, un capitaine de l’US Navy à la
retraite. On trouve parmi ses membres des haut gradés de l’armée
étasunienne et de nombreuses agences et divisions – « des
capitaines ; des contre-amiraux ; des généraux ; des colonels ; des
majors et des commandants » ainsi que des « membres
de la direction du DoD ».
Sur
ce qui au départ pouvait passer pour le site
web principal du Forum
[qui a cessé de répondre après la parution de l’article, on vous met
ici un lien où il a été archivé, NdT], on trouvait une description
de Highlands sous
les termes d’« un
réseau informel multi-disciplinaire, soutenu par le gouvernement
fédéral », s’intéressant principalement à « l’information,
la science et la technologie ». Avec bien peu d’explications,
à part un simple logo Département
de la Défense.
Mais Highlands dispose
également d’un
autre site web [même
remarque que la précédente note, NdT], qui se
décrivait comme « société
de capital-risque intellectuel », disposant d’une « grande
expérience aux côtés des dirigeants de sociétés, des organisations et
du gouvernement ». La société propose un « large
panel de services, parmi lesquels : projection stratégique, création de
scénarios et mise en situation pour l’extension des marchés
mondiaux », ainsi que « des
travaux menés avec des clients pour établir des stratégies de
direction ». Selon le site web, The
Highlands Group Inc. organise toute une gamme de
forums sur ces sujets.
Par
exemple, outre le Highlands
Forum, le groupe anime depuis le 11 septembre le Island
Forum,
un événement de portée internationale, tenu conjointement avec le
ministère de la défense de Singapour, et chapeauté par O’Neill sous le
titre de « consultant
principal ». Le site web du ministère de la défense de
Singapour décrit le Island
Forum comme « calqué
sur le Highlands Forum [à
Singapour également, les sites internet cessent de répondre… même note
que les deux précédentes, NdT], qui est organisé par le département
étasunien de la défense ». Des documents fuités grâce à
Edward
Snowden, le lanceur d’alertes de la NSA, sont venus confirmer que
Singapour jouait un rôle clé dans l’espionnage de données par les USA
et l’Australie sur
les câbles sous-marins, aux fins d’espionner les puissances
asiatiques, telle que l’Indonésie et la Malaisie.
Le
site web du Highlands
Group révèle également que Highlands dispose
d’un partenariat avec l’un des fournisseurs privés les plus importants
dans le domaine de la défense étasunienne. Highlands est « soutenu
par un réseau de sociétés et de chercheurs indépendants »,
parmi lesquels « notre
partenaire du SAIC dans le cadre du Highlands Forum depuis 10 ans ;
ainsi que le vaste réseau de participants au Highlands Forum ».
SAIC
est l’acronyme d’une société de défense étasunienne, la Science
Applications International Corporation, qui
s’est vue renommée en Leidos en
2013, et donc SAIC constitue désormais une filiale. SAIC/Leidos figure au
top 10 des
plus grands fournisseurs de la défense étasunienne, et travaille main
dans la main avec la communauté du renseignement étasunienne, en
particulier avec la NSA. Selon le journaliste d’investigation Tim
Shorrock, qui fut le premier à lever le voile sur les immenses
privatisations des renseignements étasuniens dans son livre Spies
for Hire, (Espions
à louer), la SAIC a une « relation
symbiotique avec la NSA : l’agence constitue le principal client de la
société, et la SAIC est le principal fournisseur de la NSA ».
Le
nom complet du Capitaine « Dick » O’Neill,
le président fondateur du Highlands
Forum,est Richard Patrick O’Neill ; il quitta la Navy pour
rejoindre le DoD. Son dernier poste en date, avant qu’il crée le Highlands
Forum, y fut : Adjoint
à la stratégie et aux politiques, pour le bureau du secrétaire adjoint
de la défense aux renseignements, commandes, contrôle et communications,[deputy
for strategy and policy in the Office of the Assistant Secretary for
Defense for Command, Control, Communications and Intelligence, NdT].
Le
Club de Yoda
Mais
Clippinger révèle qu’il n’est pas le seul personnage mystérieux adulé
par les membres du Forum :
Il
restait assis au fond de la salle, son visage restant un masque sans
expression, derrière des lunettes bordées de noir. Je ne l’ai jamais
entendu prononcer un seul mot… Andrew (Andy) Marshall est une icône au
sein du DoD. Certains l’appellent même Yoda, ce qui illustre son statut
mythique et impénétrable… Il a tenu des postes dans de nombreuses
administrations, et est largement considéré comme au-dessus des
politiques partisanes. Il soutint le Highlands Forum et y participa
régulièrement dès sa création.
Marshall
dirige depuis 1973 l’une des agences les plus puissantes du Pentagone :
l’Office
of Net Assessment (ONA), le « laboratoire
d’idées » interne
du département de la défense étasunien, connu pour avoir mené des
recherches et des projets hautement confidentiels pour la politique de
défense étasunienne, reliant l’armée et la communauté de renseignement
du pays. L’ONA a joué un rôle clé dans les projets stratégiques majeurs
du Pentagone, parmi lesquels la stratégie maritime, l’initiative de
défense stratégique, l’initiative des stratégies compétitives, et la
révolution des affaires militaires [respectivement,
Maritime Strategy, Strategic Defense Initiative, Competitive Strategies
Initiative et Revolution in Military Affairs, NdT].
Dans
un rare portrait établi en 2002 pour Wired,
le journaliste Douglas McGray décrivait Andrew Marshall, maintenant âgé
de plus de 95 ans, comme « parmi
les plus insaisissables » mais « parmi
les plus influents » des dirigeants du DoD.
McGray ajoutait que « le
Vice Président Dick Cheney, le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld,
ainsi que le Secrétaire adjoint Paul Wolfowitz », largement
reconnus comme les faucons du mouvement politique néo-conservateur
étasunien, figuraient parmi les « principaux
protégés » de Marshall.
Le
président fondateur du Highlands
Forum, s’exprimant quelques mois après le 11 septembre dans un séminaire
discret tenu par l’université de Harvard,
décrivit Marshall comme bien plus qu’un « participant
régulier » au forum. « Andy
Marshall est notre vice-président, si bien que de manière indirecte,
tout ce que nous faisons repasse dans les tuyaux d’Andy »,
affirma-t-il à l’auditoire. « Les
gens qui participent au forum peuvent revenir directement soumettre des
rapports à Andy sur toute la gamme de sujets, pour les
synthétiser ». Il avait également ajouté que le Forumdisposait
d’un troisième vice-président en la personne
d’Anthony J. Tether, directeur de l’Agence
des projets et recherches en défense avancée[Defense
Advanced Research and Projects Agency, la celèbre DARPA, Ndt],
désigné à l’époque par Rumsfeld. Avant de rejoindre la DARPA, Tether
fut vice-président de la Branche
des hautes technologies de la SAIC.
L’influence
du Highlands
Forum sur
la politique de défense étasunienne a donc agi suivant trois vecteurs
principaux : le soutien que l’organisation reçut de la part du Bureau
du secrétaire de la défense (qui, au milieu des
années 2000, muta en Bureau
du sous-secrétaire à la défense dédié au renseignement, chargé
d’administrer les trois principales agences de renseignement) ; ses
liens directs avec l’ONA d’Andrew « Yoda » Marshall
; et ses liens directs avec la DARPA.
Clippinger,
dans Une
foule d’individus, explique que « ce
qui se produit lors de rencontres informelles comme celles du Highlands
Forum, a pu, au fil du temps et en suivant des lignes d’influences
inattendues et étranges, avoir un impact immense, pas seulement au sein
du DoD, mais dans le monde entier ». Il écrit que les idées du Forum ont
changé au fil du temps, « d’hérétiques,
elles ont peu à peu conflué dans la pensée dominante. Des idées qui
constituaient un anathème en 1999 sont devenues des politiques à peine
trois années plus tard ».
Quoique
le Forum ne
produise pas de « recommandations
de consensus », son impact est plus profond que celui de
comités consultatifs gouvernementaux traditionnels. « Les
idées qui émergent de ces rencontres sont à la disposition des
décideurs ainsi que des membres des groupes de réflexion », selon
O’Neill :
« Nous
invitons des gens de Booz, de la SAIC, de la RAND, et d’autres, à nos
rassemblements… Ce genre de sociétés sont les bienvenues, car, pour
être honnête, elles sont sérieuses. Elles sont là pour longtemps, et
sont en mesure d’influencer les politiques gouvernementales par un vrai
travail scientifique… Nous produisons des idées, des interactions et
des réseaux pour que ces gens se les approprient et en fassent usage
selon leurs besoins. »
Mes
demandes répétées auprès d’O’Neill, afin d’en savoir plus sur ses
travaux pour le Highlands
Forum,
sont restées lettre morte. Le département de la Défense n’a pas non
plus répondu à mes nombreuses demandes d’information et de commentaires
au sujet du Forum.
La
guerre de l’information
Le HighlandsForum a
tenu lieu de « pont
d’influence » bidirectionnel
: d’un côté, le réseau obscur de fournisseurs privés l’utilise pour
influencer la formulation des politiques d’opération de l’information
au sein des renseignements militaires étasuniens ; et dans l’autre
sens, le Pentagone l’utilise pour influencer les travaux du secteur
privé. La meilleure preuve que l’on peut en donner réside dans le rôle
qu’a joué le Forum pour
incuber l’idée de surveillance de masse comme outil de domination de
l’information à l’échelle mondiale.
En
1989, Richard O’Neill, alors cryptologue pour l’US Navy, avait rédigé
un article pour leUS
Naval War College : « Vers
une méthodologie de la gestion de la perception », [Toward a
methodology for perception management, NdT]. Dans son livre Guerres
du Futur, [Future Wars, NdT], le colonel John Alexander, alors
dirigeant de l‘Intelligence
and Security Command (INSCOM, qui relève de
l’armée des USA), indique que l’article d’O’Neill est le premier à
proposer une stratégie de « gestion
de la perception » dans
la cadre de la guerre de l’information. La stratégie proposée par
O’Neill identifiait trois catégories de cibles pour la guerre de
l’information : les
adversaires, pour leur faire croire qu’ils sont vulnérables ; les
partenaires potentiels, « pour
qu’ils perçoivent les raisons [de la guerre] comme justes » ;
et enfin, les
populations civiles et les dirigeants politiques pour
qu’ils « perçoivent
le coût comme raisonnable ». Un rapport secret, basé sur les
travaux d’O’Neill, « fit
son chemin jusqu’aux dirigeants » du DoD. « Ils
reconnurent la justesse de ses thèses, et lui demandèrent d’enterrer
son article ».
Mais
le DoD, de son côté, ne l’enterra pas. Vers
1994, le Highlands
Group fut fondé par O’Neill, sous le statut de
projet officiel du Pentagone, sous la houlette de William
Perry,
alors secrétaire à la défense de Bill Clinton – il rejoint par la
suite
le conseil d’administration de la SAIC après sa retraite du
gouvernement en 2003.
Selon
les propres mots d’O’Neill, le groupe fonctionnait comme « laboratoire
d’idées » du Pentagone. Selon Government
Executive, des experts militaires et en technologie de
l’information allaient se rassembler à la première rencontre du Forum
« pour étudier les impacts des technologies de l’information et de
la
mondialisation sur les USA et sur les techniques de guerre. Comment
internet et d’autres technologies en émergence allaient-ils changer le
monde ? ». Cette rencontre allait contribuer à implanter
l’idée de la « guerre
centrée sur le réseau » dans l’esprit des « principaux
penseurs militaires de la nation ».
Fermé
au public
Les
archives officielles du Pentagone confirment que le principal objectif
du Highlands
Forum était de soutenir les politiques du DoD
dans le domaine de prédilection d’O’Neill : la guerre de l’information.
Dans le rapport
annuel du Pentagone pour le Président et le Congrès de
1997, on trouve une section dont le titre est « Opérations
de l’information », qui précise que le Bureau
du secrétariat à la défense a autorisé la mise
en place du Highlands
Group constitué
d’experts clés du DoD, de l’industrie, et du domaine académique des
opérations de l’information, aux fins de coordonner les opérations de
l’information entre les agences de renseignement militaires fédérales.
Le
rapport annuel du DoD de l’année suivante répéta l’aspect central du Forum pour
les opérations de l’information (OI) : « Le
DoD missionne le Highlands Forum pour examiner les sujets d’OI ; le
Forum rassemble des professionnels de champs et d’activités divers en
provenance du gouvernement, de l’industrie et du monde académique ».
Notez
bien qu’en 1998, le Highlands
Group devint un Forum. Selon
O’Neill, ce changement visait à prévenir que les rencontres du Highlands
Forum soient sujettes à des « limitations
bureautiques ». Il faisait là référence au Federal
Advisory Committee Act (FACA),
qui jalonne la manière dont le gouvernement étasunien peut formellement
faire appel aux conseils émis par des intérêts particuliers.
Mieux
connue sous le terme de loi pour un « gouvernement
ouvert »,
la FACA empêche que les consultations à huis clos ou secrètes –
tenues
par les dirigeants du gouvernement étasunien en vue d’établir ses
politiques – intègrent des personnes non-membres du gouvernement.
Chacune de ces consultations doit être tenue au sein de comités
consultatifs fédéraux, autorisant le public à y assister. La FACA exige
que ces réunions soient tenues en public, annoncées par le Registre
fédéral, que les groupes consultatifs soient enregistrés auprès d’un
bureau relevant de l’Administration
des services généraux,entre autres pré-requis visant à garantir le
niveau de transparence, dans l’intérêt général.
Mais Governement
Executivesignale qu’« O’Neill
et d’autres croyaient » que ce genre de
législations « allaient
tarir la libre diffusion d’idées et les discussions sans bornes qu’ils
voulaient ». Les avocats du Pentagone avaient émis des
réserves sur l’utilisation du mot« groupe »,
qui pourrait lever certaines obligations ; leur conseil fut que
toute l’initiative dans son ensemble soit privée : « C’est
ainsi qu’O’Neill renomma son groupe en Highlands Forum, et migra
lui-même vers le secteur privé, pour gérer le Forum en tant que
consultant du Pentagone ». Le Highlands
Forum, émanation du Pentagone, s’est donc opéré sous le couvert de
la « société
de capital-risque autour du renseignement » d’O’Neill,
dont le nom est Highlands
Group Inc .
En
1995, un an après que William Perry ait nommé O’Neill à la tête du Highlands
Forum, la SAIC – organisation « partenaire » du Forum – lançait un
nouveau Centre
pour la stratégie et la politique et matière d’information [Center for
Information Strategy and Policy, NdT], sous la direction de
Jeffrey Cooper,
« un membre du Highlands Group conseillant les hauts dirigeants du
Département de la défense sur les sujets de guerre de
l’information ». Le Centreprésentait
exactement les mêmes objectifs que le Forum, à
savoir fonctionner comme « chambre
de compensation pour rassembler les esprits les plus brillants et les
plus vifs travaillant dans le domaine de la guerre de l’information, en
soutenant une suite continue de séminaires, d’articles et de symposiums
pour explorer en profondeur les implications de la guerre de
l’information ». Le but était de « permettre
aux dirigeants et aux décideurs politiques travaillant pour le
gouvernement, le monde de l’industrie et le monde académique de
comprendre les sujets clés autour de la guerre de l’information, pour
que les États-Unis se maintiennent au meilleur niveau face à tout
ennemi potentiel ».
En
dépit des contraintes réglementaires de la loi FACA, les comités
consultatifs fédéraux sont déjà lourdement
influencés, pour ne pas dire phagocytés,
par le pouvoir des sociétés privées. Le Pentagone choisit donc
d’outrepasser les règles peu contraignantes de la loi FACA, en excluant
toute possibilité d’implication du public.
L’affirmation
d’O’Neill, selon qui aucun rapport ni recommandation ne sont produits,
n’est pas sincère. Il reconnaît lui-même que, depuis 1994, les
consultations secrètes menées par le Pentagone en collaboration avec
l’industrie, au travers du Highlands
Forum,
ont été accompagnées de présentations – habituelles à ce type
d’exercice – d’article académiques ou politiques,
d’enregistrements et
de compte-rendus, ainsi que d’autres formats de documentation, qui ne
restent accessibles que par un mécanisme d’authentification verrouillé
et réservé uniquement aux participants du Forum. Voilà
qui viole l’esprit, sinon la lettre de la loi FACA – dans un
processus
qui vise de manière patente à contourner tout contrôle démocratique et
à passer outre les règles de droit.
Le Highlands
Forum n’est
pas là pour produire des recommandations de consensus. Son dessein est
de mettre à disposition du Pentagone un mécanisme de réseau social pour
consolider des relations durables avec les puissantes sociétés privées,
et d’identifier les nouveaux talents qui pourront être mis à profit
pour ajuster et optimiser les stratégies de guerre de l’information
dans le secret le plus absolu.
Le
nombre total de participants au Highlands
Forum du
DoD s’établit au-dessus du millier, même si chaque session, en général,
se limite à rassembler au maximum, 25 à 30 personnes ; les membres de
l’administration et les experts sont choisis sujet par sujet. Parmi les
participants, on a compté des dirigeants de la SAIC et de Booz Allen
Hamilton ; la RAND Corp. ; Cisco ; Human Genome Sciences ; eBay ;
PayPal ; IBM ; Google ; Microsoft ; AT&T ; la BBC ; Disney ;
General Electric ; Enron, et d’innombrables autres : des membres du
Congrès et du Sénat tant démocrates que républicains, des dirigeants de
l’industrie énergétique étasunienne tel que Daniel Yergin, du IHS
Cambridge Energy Research Associates ; ainsi que des personnes clés
impliquées dans les deux camps des campagnes présidentielles.
On
compte également parmi les participants des professionnels des médias :
David Ignatius, directeur adjoint du Washington
Post, et à l’époque directeur en chef de l’International
Herald Tribune ; Thomas Friedman, chroniqueur de
longue date pour le New
York Times ; Arnaud de Borchgrave, rédacteur
pour le Washington
Times et United
Press International ; Steven Levy, anciennement
rédacteur pour Newsweek,
rédacteur principal pour Wired et
actuellement rédacteur en chef technique pour Medium ;
Lawrence Wright, rédacteur attitré pour le New
Yorker ; Noah Shachtmann, directeur en chef du Daily
Beast ; Rebecca McKinnon, cofondatrice de Global
Voices Online ; Nik Gowing de la BBC ;
et John Markoff du New
York Times.
Vu
le soutien dont il bénéficie encore à ce jour de la part du
sous-secrétaire à la défense dédié aux renseignements de l’OSD, le Forum dispose
d’accès internes aux directeurs des principales agences de
renseignement et de reconnaissance, ainsi qu’aux directeurs des agences
de recherche du DoD, de la DARPA à l’ONA – et à leurs assistants.
Il en
résulte que le Forum est
également intimement relié aux groupes de travail de recherche du
Pentagone.
Google
: une jeune pousse plantée par le Pentagone
En
1994 – l’année-même de fondation du Highlands
Forum sous le patronage du Bureau
du secrétaire de la défense,
de l’ONA et de la DARPA – Sergey Brin et Larry Page, deux jeunes
étudiants en doctorat de l’université de Stanford, firent leur percée
en codant la toute première application parcourant le web de manière
automatisée et en réalisant un classement. Cette application reste à ce
jour le composant principal de ce qui finit par devenir le moteur de
recherche Google. Brin et Page avaient travaillé sur financement de la Digital
Library Initiative(DLI), un programme
trans-agences de la National
Science Foundation (NSF), de la NASA et de la
DARPA.
Mais
cela n’est qu’un des côtés de la médaille
Au
fur et à mesure qu’il développait le moteur de recherche, Sergey Brin
émettait des rapports réguliers et directs à deux personnes qui
n’appartenaient à la faculté de Stanford ni de près ni de loin : le Dr.
Bhavani Thuraisingham et le Dr. Rick Steinheiser. Ces deux personnages
étaient les représentants d’un programme de recherche confidentiel de
la communauté du renseignement étasunienne, qui s’intéressait à la
sécurité de l’information et à l’exploration de données [data
mining, NdT].
Thuraisingham
est actuellement professeur émérite et directeur associé de l’Institut
de recherche en cyber sécurité[Cyber
Security Research Institute, NdT] pour
l’université du Texas, à Dallas. Elle fait partie des experts les plus
recherchés en exploration de données, en gestion de données et en
sécurité des systèmes d’information. Mais dans les années 90, elle
travaillait pour la MITRE Corp., l’un des fournisseurs principaux de la
défense étasunienne, pour laquelle elle dirigeait le projet Systèmes
de données numériques massives [Massive Digital Data Systems, MDDS, NdT],
un projet soutenu par la NSA, la CIA, et le directeur des renseignement
centraux, visant à encourager les recherches en innovation dans le
domaine des technologies de l’information.
« Nous
avons à l’époque financé l’université de Stanford, au travers de
l’informaticien Jeffrey Ullman, qui disposait de plusieurs étudiants
doctorants prometteurs, dans un grand nombre de domaines
passionnants », m’a dit le professeur Thuraisingham. « Parmi
eux, il y avait Sergey Brin, fondateur de Google. Le programme MDDS, de
la communauté du renseignement, accorda surtout à Brin des fonds
d’amorçage, lesquels furent également abondés par nombre d’autres
sources, y compris dans le privé ».
Ce
type de financement est tout sauf inhabituel, et le fait que Sergey
Brin en ait bénéficié en tant qu’étudiant à Stanford apparaît comme
accessoire. On trouvait le Pentagone partout dans le domaine des
recherches en sciences de l’information à l’époque. Mais cela illustre
les imbrications entre la culture de la Silicon Valley et les valeurs
de la communauté de renseignement étasunienne.
Dans
un document extraordinaire que
l’on peut trouver sur le site web de l’université du Texas,
Thuraisingham relate qu’entre 1993 et 1999, « la
Communauté du renseignement [CR] avait lancé un programme dénommé
‘Systèmes de données numériques massives’ [MDDS, voir plus haut pour
l’acronyme, NdT]. J’étais responsable de ce programme pour la
communauté du renseignement, au moment où je travaillais pour la MITRE
Corporation ». Le programme finançait 15 projets de recherche
dans
diverses universités, parmi lesquelles Stanford. Son objectif était le
développement de « technologies
de gestion de données entre plusieurs téra-octets et plusieurs
péta-octets de données », y compris pour « réaliser
des requêtes de recherche, gérer les méta-données, gérer le stockage,
et intégrer les données ».
À
l’époque, Thuraisingham était responsable scientifique pour la gestion
des données et de l’information pour la MITRE, pour le compte de
laquelle elle dirigeait les projets de recherche et développement
auprès de la NSA, de la CIA, du laboratoire de recherche de l’US Air
Force, ainsi que pour le Commandement
des systèmes de guerre spatiale et navale de la marine américaine (SPAWAR)
et le Communications
et commande électronique (CECOM).
Elle animait également des formations auxquelles assistaient des agents
du gouvernement étasunien et des fournisseurs privés de la défense, sur
l’exploration de données dans le domaine du contre-terrorisme.
Dans
son article disponible sur le site de l’université du Texas, elle joint
la copie d’un résumé du programme MDDS de la communauté du
renseignement étasunien, qui fut présenté au Symposium
annuel de la collectivité du renseignement de
1995. Ce résumé expose que les principaux soutiens du programme MDDS
étaient les trois agences : la NSA, le bureau de R&D de la CIA, et
le personnel de gestion communautaire (CMS) de la communauté du
renseignement, qui travaille sous l’égide du directeur des
renseignements centraux. Les administrateurs du programme – qui
attribue des financements de l’ordre de 3 à 4 millions de dollars par
tranche de 3 à 4 ans – étaient identifiés comme Hal Curran (NSA) ;
Robert Kluttz (CMS) ; Dr. Claudia Pierce (NSA) ; Dr. Rick Steinheiser
(ORD – Le bureau de R&D de la CIA), et le docteur
Thuraisingham
elle-même.
Thuraisingham
poursuit son article en répétant que le programme conjoint CIA-NSA
finançait en partie Sergey Brin pour le développement du cœur de
Google, au travers d’une dotation à Stanford, gérée par le superviseur
de Brin, le Professeur Jeffrey D. Ullman :
En
réalité, M. Sergey Brin, le fondateur de Google, a été financé en
partie par ce programme, alors qu’il était étudiant doctorant à
Stanford. Avec les conseils de son Professeur Jeffrey Ullman, et de mon
collègue de la MITRE, le Dr. Chris Clifton [le responsable scientifique
en technologie de l’information pour la MITRE], il a développé le Query
Flocks System, qui apportait des solutions pour miner de grands volumes
de données stockées en base. Je me souviens avoir visité Stanford avec
le Dr. Rick Steinheiser de la Communauté du renseignement, et M. Brin
arrivait en trombe sur des rollers, réalisait sa présentation, et
repartait aussi vite qu’il était venu. La dernière fois que nous nous
sommes rencontrés, en septembre 1998, M. Brin nous a présenté son
moteur de recherche, qui peu après devint Google.
Brin
et Page enregistrèrent Google comme société en septembre 1998, le même
mois de leur dernière présentation à Thuraisingham et à Steinheiser. Query
Flocks figurait également dans le système de
recherche « PageRank »,
breveté par Google, que Brin avait développé à Stanford dans le cadre
du programme CIA-NSA-MDDS, et financé également par la NSF, IBM et
Hitachi. Cette année-là, le Dr. Chris Clifton, qui travaillait sous la
supervision de Thuraisingham pour développer le système Query
Flocks, cosigna un papier de recherche avec le professeur Ullma,
superviseur de Brin, et avec Rick Steinheiser de la CIA. Ce papier fut
présenté à une conférence académique sous le titre « Découverte
de connaissances dans un texte ». (« Knowledge Discovery in
Text »)
‘Le
financement du MDDS qui soutenait Brin était substantiel en terme de
recherche de fonds, mais il restait sans doute en dessous d’autres
sources de financement’, ajoute Thuraisingham. ‘La durée du financement
de Brin fut de 2 années environ. Sur cette période de temps, mes
collègues du MDDS et moi-même visitions Stanford pour rencontrer Brin
et suivre ses progrès une fois par trimestre environ. Nous ne le
supervisions pas vraiment, mais nous voulions suivre ses progrès,
mettre le doigt sur les problèmes possibles, et lui apporter des
suggestions. Lors de ces rencontres, Brin nous présentait l’état des
recherches sur Query Flocks, et nous faisait des démonstrations du
moteur de recherche Google’.
Il
est donc établi que Brin faisait régulièrement état de ses travaux à
Thuraisingham et à Steinheiser en développant Google.
MISE
À JOUR du 2 février 2015 – 14h05 GMT :
« Depuis
la publication du présent article, le Professeur Thuraisingham a
modifié son article, référencé ci-avant. La version modifiée par elle
intègre une déclaration modifiée, suivie d’une copie de la version
originale de sa description du MDDS. Dans cette version modifiée,
Thuraisingham rejette l’idée selon laquelle la CIA aurait financé
Google. Elle déclare à la place :
‘En
réalité, le Professeur Jeffrey Ullman (de Stanford), mon collègue de la
MITRE le Dr. Chris Clifton, accompagnés d’autres, développèrent le
Query Flocks System, dans le cadre du MDDS, ce qui produisit des
solutions pour miner de gros volumes de données stockées en base. En
outre, M. Sergey Brin, co-fondateur de Google, faisait partie du groupe
de recherche du professeur Ullman à l’époque. Je me souviens m’être
déplacée de manière régulière à Stanford, en compagnie du Dr. Rick
Steinheiser, de la Communauté du renseignement, et M. Brin arrivait en
trombe sur des rollers, réalisait sa présentation, et repartait aussi
vite qu’il était venu. La dernière fois que nous nous sommes
rencontrés, en septembre 1998, M. Brin nous a présenté son moteur de
recherche, qui peu après devint Google…’
On
trouve également plusieurs inexactitudes dans l’article du Dr Ahmed (en
date du janvier 2015) [il s’agit du présent article, NdT]. Par exemple,
le programme MDDS ne constituait pas un programme ‘confidentiel’ comme
le déclare le Dr. Ahmed ; il s’agissait d’un programme non classifié,
qui apportait des financements à des universités étasuniennes. En
outre, Sergey Brin ne faisait de compte rendu ni à moi, ni au Dr. Rick
Steinheiser ; il nous faisait uniquement des présentations lors de nos
déplacements au Département de sciences de l’information à Stanford au
cours des années 1990. Autre point, le MDDS n’a jamais financé Google ;
il a financé l’Université de Stanford’.
Voilà,
pas de différence factuelle substantielle entre les deux récits de
Thuraisingham, si l’on met de côté son affirmation selon laquelle
associer Sergey Brin au développement de Query Flocks est une erreur.
Il est significatif que cette mention ne soit pas dérivée de ses
propres connaissances, mais précisément du présent article citant un
commentaire émis par un porte-parole de Google.
Mais
quoi qu’il en soit, cette tentative étrange de dissocier Google du
programme MDDS rate sa cible. Tout d’abord, le MDDS n’a jamais financé
Google, pour la simple et bonne raison qu’au cours des développements
des composants au cœur du moteur de recherche de Google, aucune société
n’était enregistrée sous ce nom. La subvention fut accordée au lieu de
cela à l’université de Stanford, par l’entremise du Professeur Ullman,
au travers duquel des fonds servirent à soutenir Brin alors qu’il
co-développait Google. Deuxièmement, Thuraisingham ajoute que Brin ne
lui a jamais ‘fait de rapport’, ni à Steinheiser pour la CIA, mais elle
reconnaît qu’il ‘nous faisait des présentations lors de nos
déplacements au Département de sciences de l’information à Stanford au
cours des années 1990’. Mais la frontière est floue, quant à savoir la
différence entre ‘faire des rapports’ et réaliser une présentation
détaillée – dans un cas comme dans l’autre, Thuraisingham confirme
son
intérêt poussé ainsi que celui de la CIA pour le développement de
Google par Brin. Troisièmement, Thuraisingham décrit le programme MDDS
comme ‘non classifié’, mais cela ne contredit en rien sa nature
‘confidentielle’. Ayant travaillé plusieurs décennies comme fournisseur
et conseillère en renseignement, Thuraisingham ne peut pas ignorer que
les moyens sont nombreux pour catégoriser les renseignements, et
notamment ‘confidentiel mais non classifié’. De nombreux anciens
fonctionnaires du renseignement étasunien à qui j’ai parlé m’ont
déclaré que le manque presque total d’information publique au sujet du
programme MDDS de la CIA et de la NSA indique que, quoique le programme
ne soit pas classifié, il est probable que son contenu ait été
considéré comme confidentiel, ce qui expliquerait les initiatives
prises pour réduire la transparence du programme ainsi que son
utilisation en retour dans le cadre des développements d’outils pour la
communauté du renseignement étasunienne. Quatrième et dernier point, il
importe de souligner que le résumé du MDDS, intégré par Thuraisingham
dans son document du Texas, stipule clairement non seulement que le
directeur du CMS du renseignement centralisé, la CIA et la NSA
constituaient les surveillants du programme MDDS, mais aussi que les
clients envisagés pour ce projet étaient ‘le DoD, la Communauté du
renseignement, et d’autres organisations gouvernementales’ : le
Pentagone, la communauté du renseignement étasunienne, et d’autres
agences du gouvernement étasunien apparentées.
En
d’autres termes, la dotation de fonds du MDDS à Brin au travers
d’Ullman, sous la supervision de Thuraisingham et de Steinheiser,
exista principalement en raison de leur reconnaissance de l’utilité
potentielle des travaux de développement de Google par Brin pour le
Pentagone, la communauté du renseignement, et le gouvernement fédéral
en général. »
FIN
de la mise à jour du 2 février 2015
De
fait, le programme MDDS est référencé dans plusieurs articles co-signés
par Brin et Page lors de leurs études à Stanford, soulignant
précisément le rôle du programme en soutien à Brin dans le
développement de Google. Dans leur papier de
1998, publié dans le bulletin du Comité technique de la société
informatique sur l’ingénierie des données de l’IEEE, ils décrivent
l’automatisation des méthodes d’extraction d’informations en provenance
du web via la Dual
Iterative Pattern Relation Extraction [extraction double et itérative
de la relation entre motifs, NdT], le développement d’« un
classement mondial des pages web appelé PageRank », ainsi que
l’utilisation de PageRank
« pour
développer un nouveau moteur de recherche appelé Google ».
Dans une note de bas de page en ouverture, Sergey Brin confirme avoir
été « partiellement
soutenu par le Programme de systèmes de données numériques massifs du
Personnel de gestion communautaire, dotation NSF
IRI-96–31952 » –
ce qui confirme bien que les travaux de développement de Google par
Brin étaient bien en partie financés par le programme CIA-NSA-MDDS.
Cette
dotation du NSF identifiait le MDDS en marge : le résumé du projet liste
bien Brinparmi
les étudiants soutenus (sans mention du MDDS). La dotation du NSF à
Larry Page était différente : elle mentionnait le financement par la
DARPA et la NASA. Le rapport du projet, dont l’auteur était le
Professeur Ullman, superviseur de Brin, poursuit dans la section « Indicateurs
de succès » qu’« il
y a de nouvelles informations sur des jeunes pousses basées sur des
recherches soutenues par le NSF ». Dans la section « Impact
du projet », le rapport signale : « En
fin de compte, le projet google est devenu commercial, sous le nom
Google.com ».
Ce
qu’en relate Thuraisingham, y compris dans sa version modifiée,
démontre donc que le programme CIA-NSA-MDDS ne faisait pas que financer
en partie Brin au travers de ses travaux de développement avec Larry
Page pour développer Google, mais que des représentants des directions
des renseignements étasuniens, parmi lesquels un fonctionnaire de la
CIA, supervisaient l’évolution de Google tout au long de sa phase de
pré-lancement, jusqu’à ce que la société soit prête à être créée
officiellement. Google, dès lors, avait été rendu possible grâce à un
montant « significatif » de
financement de démarrage, et à la supervision du Pentagone : nommément,
la CIA, la NSA, et la DARPA.
Le
DoD n’a pas souhaité apporter de commentaires, malgré nos demandes.
Quand
j’ai demandé au professeur Ullman de confirmer si oui ou non Brin avait
été en partie financé par le programme MDDS émis par la communauté du
renseignement, et si Ullman était au courant du fait que Brin informait
régulièrement Rick Steinheiser, de la CIA, des progrès du développement
du moteur de recherche Google, les réponses d’Ullman se firent évasives
: « Puis-je
vous demander qui vous représentez et pourquoi vous vous intéressez à
ces sujets ? Qui sont vos ‘sources’ ? ». Il
a également nié que Brin ait joué un rôle significatif dans le
développement du systèmes Query
Flocks,
malgré la clarté du fait, établie par les articles de Brin, que ce
dernier avait travaillé là-dessus lors du co-développement avec Page du
système PageRank.
Quand
j’ai demandé à Ullman s’il niait le rôle de la communauté du
renseignement étasunien dans le soutien de Brin lors du développement
de Google, il a répondu : « Je
n’ai pas l’intention de donner de l’importance à ces foutaises en les
niant. Si vous ne m’exposez pas votre théorie, et ce que vous essayez
de prouver, je n’ai pas la moindre intention de vous aider ».
Le résumé
du MDDS, publié sur le site de l’université du Texas, confirme que
la justification du projet conjoint CIA-NSA était d’« offrir
des financements à des technologies de gestion de données à haut risque
et à haut rendement », parmi lesquelles des techniques de « requêtage,
navigation, et filtrage ; de traitement de transactions ; de méthodes
et d’indexation des accès ; de gestion de méta-données et de
modélisation de données ; et d’intégration de bases de données
hétérogènes ; ainsi que du développement des architectures
appropriées ». La vision ultime du programme était de « proposer
un accès intégré et une fusion de gros volumes de données,
d’informations et de connaissances, dans un environnement hétérogène et
temps réel », pour que le Pentagone, la communauté du
renseignement et potentiellement d’autres pans du gouvernement puissent
l’utiliser.
Ces
révélations se corrèlent aux affirmations de Robert Steele, ancien
dirigeant de la CIA, et l’un des directeurs adjoints civils
co-fondateurs du Marine
Corps Intelligence Activity, (Activité de renseignement du Corps des
Marines), que j’avais interviewé pour The
Guardianl’année derrière au sujet des renseignements open source.
Citant des sources de la CIA, Steele avait
déclaré en
2006 que Steinheiser, un de ses collègues de longue date, constituait
le lien principal entre la CIA et Google, et avait oeuvré aux premiers
financements de la société informatique innovante. À l’époque, le
fondateur de Wired, John Batelle, avait reçu cette dénégation de
la part d’un porte-parole de Google, en réponse aux déclarations de
Steele :
Les
affirmations concernant Google sont totalement fausses.
Cette
fois-ci, malgré de nombreuses demandes et de nombreuses conversations,
aucun porte-parole de Google n’a souhaité apporter de commentaire.
MISE
À JOUR du 22 janvier 2015 – 17h41 GMT : le directeur de la
communication de Google, m’a contacté, et m’a demandé d’insérer la
déclaration qui suit :
« Sergey
Brin ne faisait pas partie du Programme Query Flocks à Stanford, et
aucun de ses projets n’a jamais été financé par des organes de
renseignement étasuniens ».
Voici
ce que j’ai répondu :
« Ma
réponse à votre déclaration serait la suivante : Brin lui-même, dans
son propre papier, reconnaît un financement de la part du Community
Management Staff du projet Massive Digital Data Systems (MDDS),
financement qui fut octroyé au travers du NSF. Le MDDS constituait un
programme de la communauté de renseignement établi par la CIA et la
NSA. Je dispose également des propos du professeur Thuraisingham de
l’université du Texas, enregistrés, comme je le précise dans mon
article, où elle déclare avoir dirigé le programme MDDS pour le compte
de la communauté du renseignement étasunienne ; elle précise également
qu’elle-même ainsi que Rick Steinheiser de la CIA ont rencontré Brin
tous les trois mois environ, sur une période de deux ans, pour qu’il
leur fasse un suivi sur ses progrès dans le développement de Google et
de PageRank. Que Brin ait travaillé sur Query Flocks ou non n’a rien à
y voir.
Dans
ce contexte, peut-être que vous souhaiterez examiner les questions qui
suivent :
1)
Google nie-t-elle que les travaux de Brin aient été en partie financés
par le MDDS, au travers d’une dotation du NSF ?
2)
Google nie-t-elle que Brin ait fait état régulièrement de ses travaux à
Thuraisingham et Steinheiser, à peu près depuis 1996 et jusqu’en
septembre 1998, moment où il leur a présenté le moteur de recherche
Google ? »
Prise
de conscience totale de l’information
Le
3 novembre 1993, un appel à articles fut émis pour le MDDS, par le
dirigeant des renseignements étasuniens Davia Charvoniai, directeur du
bureau de coordination de la recherche et développement du CMS, sur une
liste d’envoi par
email.
La réaction de Tatu Ylonen (inventeur illustre du protocole de
protection de données SSH (Secure Shell)) à ses collègues de la
mailing-list fut de répondre : « L’intérêt
du chiffrement? De quoi réfléchir à protéger vos données ».
Le courriel en question confirme également que la SAIC, fournisseur de
défense et partenaire du Highlands
Forum, gérait
le processus de soumission du
MDDS, ce dernier exigeant en effet que les résumés soient envoyés à
Jackie Booth, du bureau de R&D de la CIA, via une adresse email
appartenant à la SAIC.
En
1997, nous révèle Thuraisingham, peu de temps avant que Google ne
devienne une société enregistrée, et alors qu’elle supervisait encore
le développement du logiciel du moteur de recherche à Stanford, ses
pensées se tournèrent vers les applications à la sécurité nationale du
programme MDDS. Dans les remerciements de son livre Web
Data Mining and Applications in Business Intelligence and
Counter-Terrorism (Exploration
de données Web et applications en intelligence d’affaires et
contre-terrorisme, 2003), Thuraisingham écrit
qu’elle-même ainsi que le « Dr.
Rick Steinheiser de la CIA, avons commencé à discuter avec l’agence des
projets de recherche avancée pour la défense sur l’application du
‘data-mining’ au contre-terrorisme », une idée résultant
directement du programme MDDS qui avait financé en partie Google. « Ces
discussions finirent par se concrétiser avec le programme EELD
(Evidence Extraction and Link Detection) [Extraction de preuves et
détection de liens, NdT] en cours à la DARPA ».
Ainsi
donc, les mêmes personnes, dirigeant de la CIA pour l’un et fournisseur
de la CIA et de la NSA pour l’autre, impliquées dans le financement
d’amorçage de Google, examinaient au même moment le rôle du « data
mining »,(exploration
de données), à des fins de contre-terrorisme, et développaient des
idées d’outils concrétisés factuellement par la DARPA.
À
ce jour, comme l’illustre son éditorial
récent dans le New
York Times, Thuraisingham
reste l’une des plus ardentes parmi les défenseurs des techniques de « data-mining » à
des fins de contre-terrorisme, mais insiste également sur le fait que
ces méthodes doivent être développées par le gouvernement en
coopération avec des avocats en libertés publiques et des défenseurs de
la vie privée, pour garantir que des procédures robustes seront en
place, empêchant tout abus potentiel. Elle souligne, de manière
accablante, qu’avec les quantités d’informations collectées à ce jour,
le risque de faux positifs est élevé.
En
1993, alors que le programme MDDS se voyait lancé et géré par la
société MITRE pour le compte de la communauté du renseignement
étasunienne, le Dr. Anita K. Jones, informaticienne de l’Université de
Virginie – sous mandat de la MITRE – fut admise au poste de
directeur
de la DARPA et responsable des recherches et de l’ingénierie pour le
Pentagone. Elle avait figuré au conseil d’administration de la MITRE
depuis 1988. De 1987 à 1993, Jones avait
également figuré au conseil d’administration de la SAIC. En tant que
nouvelle directrice de la DARPA de 1993, elle co-dirigeait également le Highlands
Forumpour le compte du Pentagone, au moment du développement avant
lancement de Google à Stanford sous le programme MDDS.
Ainsi,
au moment où Thuraisingham et Steinheiser discutaient avec la DARPA des
applications en contre-terrorisme des recherches du MDDS, Jones était
donc directrice de la DARPA et co-présidente du Highlands
Forum.
Cette même année, Jones mit fin à ses fonctions à la DARPA pour
retourner prendre son poste à l’université de Virginie. L’année
suivante, elle rejoint le conseil d’administration de la National
Science Foundation, qui venait bien sûr de financer Brin et Page, et
elle était également revenue au conseil d’administration de la SAIC.
Quand elle quitta le DoD, le sénateur Chuck Robb fit à Jones l’éloge qui
suit : « Elle
a rassemblé les communautés de la technologie et celles des opérations
militaires, pour projeter dans le détail le maintien de la dominance
étasunienne sur le champ de bataille du siècle à venir ».
Richard
N. Zare figurait au conseil
d’administration de
la National Science Foundation de 1992 à 1998 (y compris une courte
période en tant que président à partir de 1996). C’était le moment où
la NSF soutenait Sergey Brin et Larry Page en association avec la
DARPA. En juin 1994, le professeur Zare, chimiste à Stanford, participa
avec le professeur Jeffrey Ullman (superviseur des recherches de Sergey
Brin), à un groupe soutenu
par Stanford et par la National Research Concil, (Conseil
national de recherche), dont les discussions ciblaient le besoin
pour les scientifiques de montrer les « liens
[de leurs travaux] avec les besoins nationaux ». Le groupe
rassemblait des scientifiques et des décideurs politiques, y compris des « initiés
de Washington ».
Le
programme EELD de la DARPA, inspiré par les travaux de Thuraisingham et
Steinheiser sous la supervision de Jones, fut rapidement adapté et
intégré à une suite d’outils servant à conduire une surveillance
exhaustive sous l’administration Bush.
Selon
le fonctionnaire Ted
Senator de la DARPA, qui dirigea le programme
EELD pour l’éphémère Bureau
de sensibilisation à l’information de l’agence,
EELD figurait parmi un panel de « techniques
prometteuses » en préparation pour se voir
intégrer « dans
le prototype de Système TIA ». TIA était l’acronyme de Total
Information Awareness[Sensibilisation
totale à l’information, NdT], et constituait le programme
mondial principal d’espionnage et de « data
mining » déployé
par l’administration Bush après le 11 septembre. TIA avait été monté
par l’amiral John Poindexter, le conspirateur du dossier Iran-Contra,
qui fut nommé en 2002 par Bush pour diriger le nouveau Bureau
de sensibilisation à l’information, rattaché à la DARPA.
Le
Xerox Palo Alto Research Center, [Centre
de recherche ‘Xerox Palo Alto’, ND]),
(PARC) figurait parmi les 26 sociétés (aux côtés de la SAIC) qui se
sont vues octroyer des contrats en millions de dollars de la DARPA (les
montants exacts de ces contrats restent à ce jour une information
classifiée) sous Poindexter, afin de poursuivre le programme de
surveillance TIA au delà de 2002. La recherche comprenait du « profilage
comportemental », les « détections,
identifications et suivis » d’activités
terroriste, parmi d’autres projets d’analyse de données. À l’époque,
c’est John Seely Brown qui était le directeur du PARC et son
responsable scientifique. Brown comme Poindexter étaient des
participants du Highlands
Forum – Brown a continué d’y participer de manière soutenue
jusqu’à il y a peu.
Le
programme TIA fut soi-disant arrêté en 2003, par suite d’une opposition
publique, après qu’il a été exposé dans les médias, mais l’année
suivante, Poindexter participa à une session du Highlands
Group à
Singapour, avec des fonctionnaires en défense et en sécurité du monde
entier. Cependant, Ted Senator continua de gérer le programme EELD
ainsi que d’autres projets de « data-mining » et
d’analyses pour la DARPA jusqu’en 2006, année où il quitta la DARPA
pour devenir vice-président de la SAIC. Il est à présent expert
technique pour la SAIC/Leidos.
Google,
la DARPA, et le chemin suivi par l’argent
Longtemps
avant que n’apparaissent Sergey Brin et Larry Page, le département
informatique de l’université de Stanford disposait déjà d’une relation
de travail étroite avec les renseignements militaires étasuniens. En
atteste une
lettre en
date du 5 novembre 1984, adressée par le professeur Edward Feigenbaum,
expert membre du bureau d’intelligence artificielle si réputé, à Rick
Steinheiser, qui précise les dernière directions prises par le projet
de programmation heuristique de Stanford, et qui décrit Steinheiser
comme membre du « comité
de direction en intelligence artificielle ». À la même époque, une
liste de participants à une conférence organisée
par un sous-traitant, et soutenue par le Bureau
de la recherche navale, (ONR), du Pentagone, voit figurer le nom
de Steinheiser comme participant sous la désignation « OPNAV
Op-115 » – ce qui désigne le programme
du Bureau
du Chef des opérations navales,
en disponibilité opérationnelle ; cette instance a joué un rôle majeur
dans le déploiement de systèmes numériques pour l’armée.
Depuis
les années 1970, le professeur Feigenbaum et ses collègues ont assuré
le fonctionnement du projet de programmation heuristique de Stanford sous
contrat de la DARPA, et cela
s’est poursuivi dans les années 1990. Feigenbaum
a lui seul a touché plus
de 7 millions de dollars en contrepartie de ses
travaux pour DARPA, sans compter les fonds provenant du NSF, de la NASA
ou de l’ONR.
Le
professeur Jeffrey Ullman, responsable de Brin à Stanford, travaillait
en 1996 pour un projet financé notamment par l‘Intelligent
Integration of Information Program, (Programme
d’intégration intelligente de l’information)
de la DARPA. Cette même année, Ullman co-présidait également des
rencontres soutenues par la DARPA sur le sujet des échanges de données
entre systèmes multiples.
En
septembre 1998, le mois même où Sergey Brin informait Steinheiser et
Thuraisingham – représentants des renseignements étasuniens –
les
entrepreneurs en technologie, Andreas Bechtolsheim et David Cheriton
investissaient chacun 100 000 dollars dans Google. Chacun de ces deux
investisseurs avait des liens avec la DARPA.
Bechtolsheim,
étudiant doctorant en génie électrique à Stanford dans les années 1980,
avait vu son projet innovant de station de travail SUN financé par
la DARPA et par le département informatique de Stanford – cette
recherche constitua le socle sur lequel Bechtolsheim bâtit Sun
Microsystems, qu’il cofonda avec William Joy.
Quant
au second investisseur de Google, David Cheriton, il s’agit d’un
professeur d’informatique de Stanford, en poste depuis longtemps, qui
présente des relations encore plus étroites avec la DARPA. Sa
biographie,
disponible auprès de l’université d’Alberta – qui lui a décerné en
novembre 2014 un doctorat honorifique en science – mentionne que « les
recherches [de Cheriton] ont été soutenues par l’agence américaine pour
les projets de recherche avancée en matière de défense (DARPA), depuis
plus de 20 ans ».
Dans
l’intervale, Bechtolsheim avait quitté Sun
Microsystems en 1995, pour fonder Granite
Systems conjointement avec Cheriton, son
co-investisseur dans Google. Ils ont revendu Granite à Cisco
Systems en 1996, tout en conservant des parts
importantes de la société Granite,
et en prenant des postes de direction chez Cisco.
Un
courriel obtenu dans le Corpus
Enron (il s’agit d’une base de données de 600
000 courriels, récupérée par la Commission
fédérale de régulation de l’énergie, et ouverte à l’accès public),
qui invite des dirigeants d’Enron à participer au Highlands
Forum, révèle que les dirigeants de Cisco et
de Granite sont
intimement connectés au Pentagone. Le courriel révèle qu’en mai 2000,
William Joy, partenaire de Bechtolsheim et co-fondateur de Sun
Microsystems – et qui était alors responsable scientifique et
PDG de la société – avait participé au Forum pour
discuter d’informatique moléculaire et nanotechnologie.
En
1999, Joy avait également co-présidé le Comité
consultatif aux technologies de l’information auprès du président,
supervisant la rédaction d’un rapport qui relatait que la DARPA avait :
…
revu ses priorités dans les années 90, afin que l’ensemble des
financements informatiques soit évalué selon le critère du bénéfice que
pouvait en tirer le combattant [warfighter, NdT].
Puis,
au fil des années 1990, les financements de la DARPA vers Stanford, y
compris celui de Google, concernaient explicitement des technologies
qui pouvaient renforcer les opérations de renseignement militaires du
Pentagone sur les théâtres de guerre.
Le
rapport présidé par Joy recommanda d’augmenter les financements
gouvernementaux émis par le Pentagone, la NASA, et d’autres agences, à
destination du secteur informatique. Greg Papadopoulos, un autre
collègue de Bechtolsheim, à l’époque directeur technique de Sun
Microsystems, avait également assisté à une rencontre du Highlands
Forum au Pentagone en septembre 2000.
En
novembre, le Highlands
Forum invita
Sue Bostrom à une session tenue au Pentagone, elle était
vice-présidente internet de Cisco, et avait sa place au conseil
d’administration aux côtés des co-investisseurs de Google, Bechtolsheim
et Cheriton. Le Forum avait
également invité Lawrence Zuriff, alors associé directeur chez Granite,
qui venait d’être vendu par Bechtolsheim et Cheriton à Cisco.
Zuriff, précédemment, avait été embauché par la SAIC de 1993 à 1994, y
travaillant avec le Pentagone sur les sujets de sécurité nationale, en
particulier avec l’Office
of Net Assessment, (Bureau
de la mise en recouvrement nette), de Marshall. En 1994, la SAIC
et l’ONA étaient, bien entendu, tous les deux impliqués dans la
co-constitution du Highlands
Forum au Pentagone. Parmi les productions de
Zuriff – alors qu’il travaillait pour la SAIC, on trouve un papier
dont le titre est « Comprendre
la guerre de l’information »[« Understanding
Information War », NdT],
qui fut présenté à une table ronde de l’armée étasunienne soutenue par
la SAIC, dans le cadre de la Révolution des affaires militaires.
Après
l’enregistrement comme société de Google, la société reçut 25 millions
de dollars en fonds propres en 1999, par Sequoia Capital et Kleiner
Perkins Caufield & Byers. Si l’on en croit Homeland
Security Today, « Certaines
des jeunes pousses financées par Sequoia ont obtenu des contrats avec
le Département de la défense, surtout après le 11 septembre, quand Mark
Kvamme, de Sequoia, rencontra le Secrétaire de la défense Donald
Rumsfeld pour discuter l’application des technologies émergentes au
combat et à la collecte de renseignements ». De la même
manière, Kleiner Perkins avait développé une « relation
de proximité » avec In-Q-Tel,
la société de capital risque de la CIA qui finance les jeunes pousses « pour
faire progresser les technologies ‘prioritaires’ apportant de la
valeur » à la communauté du renseignement.
John
Doerr, qui géra l’investissement Kleiner Perkins chez Google, et prit
une place au conseil d’administration de cette dernière, était l’un des
premiers gros investisseurs de la société de Becholshtein, Sun
Microsystems, dès son lancement. Lui-même et son
épouse Anne sont les deux principaux financeurs du Rice
University’s Center for Engineering Leadership (RCEL),
qui a reçu en
2009 16 millions de dollars de la DARPA pour son programme de R&D
informatique universel platform-aware-compilation-environment,(Environnement
de compilation de la plateforme R&D informatique universelle), (PACE).
Doerr présente également une relation proche avec l’administration
Obama, à qui il a conseillé peu après qu’elle entre en fonction d’accroître les
financements du Pentagone à l’industrie technologique. En 2013, à la conférenceFortune
Brainstorm TECH, Doerr avait applaudi « la
manière dont la DARPA avait financé le GPS [le système de
géo-positionnement par satellite, NdT], la CAO [conception assistée par
ordinateur, NdT], la plupart des principaux départements en science de
l’information, et bien entendu, l’Internet. »
En
d’autres termes, dès sa conception, Google fut incubée, couvée et
financée par des intérêts directement affiliés ou étroitement alignés
avec la communauté du renseignement étasunienne : on en trouve un grand
nombre dans le Highlands
Forum,émanation du Pentagone.
Google
capture le Pentagone
En
2003, Google a commencé à personnaliser son moteur de recherche sous un contrat
spécial avec la CIA, pour le Bureau
de gestion d’Intelink de cette dernière, « pour
superviser des intranets top-secrets ainsi que des intranets secrets et
sensibles, mais non classifiés, de la CIA et d’autres agences »,
selon Homeland
Security Today. Cette même année, des financements de la CIA se
voyaient également « discrètement » routés
au travers de la National Science Foundation, vers des projets qui
pourraient aider à créer « de
nouvelles capacités de lutte contre le terrorisme, par des technologies
avancées ».
L’année
suivante, Google racheta la société Keyhole, qui
avait au départ été financée par In-Q-Tel.
En s’appuyant sur Keyhole,
Google commença le développement du logiciel de cartographie satellite
derrière Google
Earth. Anita Jones, ex directrice de la DARPA et ex-coprésidente du Highlands
Forum, figurait au conseil
d’administration d’In-Q-Tel à
l’époque, et y figure toujours à ce jour.
Puis,
en novembre 2005, In-Q-Tel avisa
qu’elle vendait pour 2,2 millions de dollars d’actions Google. La
relation entre Google et les renseignements étasuniens fut encore plus
mise en évidence quand un sous-traitant
en informatique déclara
– lors d’une conférence à huis clos entre professionnels du
renseignement, tenue à Washington DC – en précisant qu’il ne
voulait
pas que son nom soit cité, qu’au moins une agence de renseignement
étasunienne travaillait à « mettre
à profit la surveillance des données [des utilisateurs] de Google » dans
le cadre de travaux visant à collecter des données dans « l’intérêt
des renseignements pour la sécurité nationale ».
Une photo,
publiée sur Flickr, et datée du mois de mars 2007, révèle que Peter
Norvig, directeur de recherche et expert en intelligence artificielle
pour Google, a assisté à une rencontre du Highlands
Forum, émanation du Pentagone, cette année-là, à Carmel
(Californie). La proximité de la relation entre Norvig et le Forum depuis
cette année 2007 est également corroborée par son rôle d’invité à
établir la liste de lecture du Forum pour
2007.
La
photo ci-après montre Norvig en conversation avec Lewis Shepherd, à
l’époque directeur technique de l’agence
de renseignements de la défense [Defense Intelligence Agency, NdT], responsable des
enquêtes, approbations et de la définition des architectures de « tous
les nouveaux systèmes et acquisitions matériels/logiciels pour la
Global Defense Intelligence IT Enterprise », y compris les « technologies
big data ».
Shepherd travaille à présent chez Microsoft. Norvig fut chercheur en
informatique à l’université de Stanford en 1991, avant de rejoindre la
société de Bechtolsheim, Sun
Microsystems, au poste de directeur de recherche, jusqu’en 1994,
après quoi il prit la direction de la division
des sciences de l’information de la NASA.
Norvig
apparaît sur le profil
Google Plus d’O’Neill
comme l’un de ses proches contacts. Si l’on parcourt le reste des
connections Google Plus d’O’Neill, on peut constater qu’il est
directement connecté non seulement à un grand nombre de dirigeants de
Google, mais également à certains des plus grands noms de la communauté
technologique étasunienne.
Parmi
ces contacts, on compte Michele Weslander Quaid, anciennement employée
par la CIA et anciennement fonctionnaire du renseignement pour le
Pentagone, à présent directrice technologique de Google, pour lequel
elle développe les programmes« les
mieux adaptés aux besoins des agences gouvernementales » ;
Elizabeth Churchill, directrice des expériences utilisateur pour Google
; James Kuffner, expert en robotique humanoïde qui dirige à présent la
division robotique de Google et qui a lancé le terme de « robotique
du cloud » ;
Mark Drapeau, directeur de l’innovation pour le secteur public pour
Microsoft ; Lili Cheng, directeur général aux expériences sociales
futures pour Microsoft [Future
Social Experiences (FUSE), NdT] ; Jon Udell, « évangéliste » Microsoft
; Cory Ondrejka, vice-président de l’ingénierie pour Facebook ; pour
n’en nommer que quelques-uns.
En
2010, Google signait un contrat
sans appel d’offre, pour un montant de plusieurs milliards de
dollars, avec l’agence soeur de la NSA : la
National Geospatial-Intelligence Agency, (Agence
nationale du renseignement géospatial), (NGA).
Il s’agissait d’utiliser Google Earth à des fins de visualisation pour
la NGA. Google avait développé le logiciel derrière Google Earth en
achetant Keyhole à In-Q-Tel, société de capital-risque de la CIA.
Puis,
l’année suivante, en 2011, Michele Quaid, qui figure également parmi
les contacts Google Plus d’O’Neill – qui a occupé des postes de
direction à la NGA, au National Reconnaissance Office et à l’Office of
the Director of National Intelligence – quitta ses fonctions
auprès du
gouvernement pour devenir « évangéliste
pour l’innovation » de
Google et contact principal pour la recherche de contrats avec le
gouvernement. Le dernier poste en date de Quaid, avant qu’elle ne
rejoigne Google, fut celui de représentant en chef du directeur des
renseignements nationaux auprès du groupe de travail du renseignement,
de la surveillance et de la reconnaissance, [Intelligence,
Surveillance, and Reconnaissance Task Force, NdT], et conseillère
en chef au sous-secrétaire à la défense pour le directeur du
renseignement auprès de l’organisme
de soutien aux forces interarmées et de coalition[Joint
and Coalition Warfighter Support (J&CWS), NdT].
Chacun de ces deux postes impliquait, à cœur, des opérations
informationnelles. En d’autres termes, avant de passer chez Google,
Quaid avait travaillé de manière très proche avec le sous-secrétaire à
la défense délégué aux renseignements, dont le Highlands
Forum dépend. Quaid elle-même a également
participé au Forum,
même si je n’ai pas réussi à confirmer dans le détail quand ni à quelle
fréquence.
En
mars 2012, Regina
Dugan,
alors directrice de la DARPA – et à ce titre également
co-présidente du
Highlands Forum – suivit sa collègue Quaid chez Google, et y prit
le
poste de direction du nouveau groupe
aux technologies et projets avancés.
Alors qu’elle était en fonction au Pentagone, Dugan travaillait sur les
sujets stratégiques de la cyber sécurité et des réseaux sociaux, entre
autres choses. Elle était responsable de recentrer « une
part croissante » des travaux de la DARPA « vers
la recherche de capacités offensives répondant aux besoins spécifiques
des armées », garantissant 500 millions de dollars de
financements gouvernementaux aux cyber-recherches de
la DARPA pour la période 2012-2017.
En
novembre 2014, James Kuffner, responsable de l’expertise en
intelligence artificielle et en robotique pour Google, participait, aux
côtés d’O’Neill, aux Highlands
Island Forum 2014à Singapour, pour explorer
les « avancées
en robotique et en intelligence artificielle : implications pour la
société, la sécurité et les conflits ». L’événement
rassemblait 26
participants en
provenance d’Autriche ; d’Israël ; du Japon ; de Singapour ; de Suède ;
du Royaume-Uni et des USA, tant du monde de l’industrie que des
gouvernements. Mais l’association de Kuffner avec le Pentagone remonte
à bien plus loin. En 1997, Kuffner menait des recherches sur un projet
de robots mobiles autonomes reliés en réseau, dans le cadre de son
doctorat de Stanford, sous
financement du Pentagone, et avec le soutien de la DARPA et de l’US
Navy.
Rumsfeld
et la surveillance permanente
On
constate que nombreux sont les hauts dirigeants de Google qui sont
affiliés au Highlands
Forum,
et qu’il s’agit d’une observation répétée et continue tout au long de
la croissance de Google sur la décennie passée. L’incubation de Google
par la communauté du renseignement étasunienne, depuis sa fondation
même, s’est réalisée au travers d’un soutien direct, et au travers de
réseaux informels d’influence financière, eux-mêmes fortement alignés
sur les intérêts du Pentagone.
Le Highlands
Forum lui-même
a fait usage de la relation informelle, cultivée dans ces réseaux
privés, pour agglomérer les secteurs de la défense et de l’industrie,
en permettant la fusion des intérêts privés et des intérêts militaires,
par l’expansion de l’appareil de surveillance clandestin, le tout au
nom de la sécurité nationale. Le pouvoir exercé par ce réseau obscur
représenté dans le Forum peut
quand même se mesurer, de par l’impact qu’il eut au cours de
l’administration Bush : il joua alors un rôle direct dans l’écriture
même des stratégies et doctrines derrière les travaux étasuniens visant
à établir « la
supériorité de l’information ».
O’Neill confirma en
décembre 2001 que les discussions stratégiques au Highlands
Forumservaient
directement à alimenter la revue stratégique d’Andrew Marshall pour le
DoD, qui avait été demandée par le président Bush et par Donald
Rumsfeld, pour mettre à jour les armées, intégrer la revue de défense
quadriennale – et lors de quelques-unes des premières sessions du Forum on
avait « été
amené à écrire des politiques, des stratégies et des doctrines au nom
du DoD, à destination des services de guerre de l’information ».
Ce processus d’« écriture » des
politiques de guerre de l’information du Pentagone « fut
réalisé en collaboration avec les personnes qui avaient une
compréhension différente de l’environnement – pas uniquement des
citoyens étasuniens, mais également des citoyens étrangers, et des
personnes qui développaient des systèmes d’information en
entreprise ».
Les
doctrines de guerre de l’information post 11 septembre du Pentagone
furent, on le voit, écrites non seulement par des fonctionnaires de la
sécurité nationale étasunienne et par des étrangers, mais également par
des entités privées puissantes, établies dans les secteurs de la
défense et de la technologie.
En
avril de la même année, le général James McCarthy terminait sa revue de
transformation de la défense demandée par Rumsfeld. Son rapport
soulignait de manière répétée le côté indispensable de la surveillance
de masse à la transformation du DoD. Quant à Marshall, son rapport complémentaire
à destination de Rumsfeld allait développer un schéma directeur
définissant l’avenir du Pentagone à l’«
âge
de l’information ».
O’Neill
affirma également qu’afin de développer la doctrine de la guerre de
l’information, le Forum avait
tenu des discussions
complètes sur la surveillance électronique et « ce
qui constitue un acte de guerre dans un environnement
informationnel ».
Des articles sur la politique de défense des Etats-Unis, rédigés à la
fin des années 1990 par les consultants John Arquilla et David
Rondfeldt, tous deux membres de longue date du RAND
Highlands Forum, ont été produits « à
la suite de ces réunions », explorant les dilemmes politiques
quant à l’objectif de « supériorité
de l’information ». « Un
truc qui choquait le grand public aux États-Unis, c’est que nous
n’allions pas nous servir sur les comptes [bancaires, NdT] de
Milosevic, alors que techniquement, nous avions la capacité
électronique de le faire », commenta O’Neill. [Déclaration
« savoureuse » à la lumière du fait que Milosevic ne fut
jamais reconnu
coupable par la Cour pénale internationale, et de la farce qu’y
constitua son acte d’accusation – mais c’est une autre histoire,
NdT].
Malgré
le fait que le processus de R&D encadrant la stratégie de
transformation du Pentagone reste classifié, on peut tout de même
glaner la teneur des discussions qui se tenaient à l’époque au DoD en
examinant une monographie de recherche de l’Ecole
des hautes études militaires de l’armée américaine, (US
Army School of Advanced Military Studies), apparaissant dans Military
Review, le journal du DoD, et dont l’auteur
est un agent du renseignement actif de l’armée.
« L’idée
d’une surveillance permanente en tant que possibilité de transformation
a circulé dans la communauté du renseignement nationale et au
Département de la défense (DoD) depuis au moins trois ans »,
dit le papier, en référence à l’étude de transformation mandatée par
Rumsfeld.
Le
papier de l’armée poursuivait en passant en revue une suite de
documents militaires officiels de haut niveau, parmi lesquels un
document émis par le Bureau
du président des chefs d’État-Major interarmées, [Office of the
Chairman of the Joint Chiefs of Staff, NdT], montrant que la « surveillance
permanente » constituait un thème central
de la vision centrée sur l’information de la politique de la défense,
partout au Pentagone.
Nous
savons désormais que deux mois tout juste avant l’allocution d’O’Neill
à Harvard en 2001, sous le programme TIA, le président Bush avait
autorisé en
secret l’espionnage
intérieur des habitants étasuniens par la NSA, sans mandat de la
Justice, dans ce qui semble avoir constitué une modification hors la
loi du projet de « data-mining »ThinThread
– comme révélé
ultérieurement par William Binney et Thomas
Drake, deux lanceurs d’alertes venus de la NSA.
Le
noyau espionnage-jeune pousse
À
partir d’ici, la SAIC, partenaire du Highlands
Forum, joua
un rôle clé dès le début du déploiement réalisé par la NSA. Peu après
le 11 septembre, Brian Sharkey, responsable technologiques pour l’ELS3
Sector de la SAIC (qui s’intéresse en particulier aux systèmes
informatiques de réponse aux urgences), s’est allié avec John
Poindexter pour mettre en avant le programme de surveillance TIA. Sharkey,
de la SIAC, avait auparavant tenu le poste de directeur adjoint du bureau
des systèmes d’information de la DARPA, dans les
années 90.
Et
à peu près à la même époque, Samuel
Visner,
vice-président aux développements dédiés aux entreprises de la SAIC,
devint le directeur des programmes de renseignement des signaux de la
NSA. La SAIC figurait alors au sein d’un consortium qui se vit octroyer
un contrat de 200 millions de dollars pour développer l’un des systèmes
d’espionnages secrets de la NSA. En 2003, Visner retourna à la SAIC en
tant que directeur de planification stratégique et du développement des
affaires du groupe de renseignement de la firme.
Toujours
la même année, la NSA consolida son programme
TIA de surveillance électronique sans mandat,
pour garder « la
trace des individus » et comprendre « comment
ils se comportent selon des modélisations »,
en établissant des profils à risque des citoyens étasuniens et
étrangers. TIA y parvenait en intégrant des bases de données du domaine
de la finance ; du monde du voyage ; des dossiers médicaux ; des
dossiers de formations ; et d’autres bases de données encore,
agglomérées dans une « immense
base de données virtuelle centralisée ».
C’est
encore cette même année que l’administration Bush établit sa notoire feuille
de route des opérations en information[Information
Operations Roadmap, NdT]. Décrivant l’internet comme un « système
d’armement vulnérable », cette feuille de route poussée par
Rumsfeld plaidait pour que la stratégie du Pentagone « soit
fondée sur l’axiome voulant que le Département [de la défense]
‘combattra le net’ de la même manière qu’il combattrait un système
d’armement ennemi ». Les USA devaient viser « un
contrôle aussi large que possible »du « spectre
entier des systèmes de communication en émergence au niveau mondial,
ainsi que des capteurs et systèmes d’armement », plaide le
document.
L’année
suivante, John Poindexter, qui avait proposé et mis en œuvre le
programme de surveillance TIA alors qu’il était en poste à la DARPA,
assistait à l’instance du Highlands2004 Island
Forum à Singapour. On comptait parmi les
autres participants Linton Wells, co-président du Highlands
Forum et
DSI du Pentagone ; John Rendon, le président du bien connu fournisseur
du Pentagone en matière de guerre de l’information ; Karl Lowe,
directeur du centre
de commandement de la division des combats avancés interarmées [Joint
Forces Command (JFCOM) Joint Advanced Warfighting Division, NdT] ;
le vice-Maréchal de l’armée de l’air Stephen Dalton, en charge des
compétences de supériorité informationnelle au ministère anglais de la
défense ; le lieutenant général Johan Kihl, chef d’État-Major du
commandement suprême des forces armées suédoises ; et d’autres encore.
Depuis
2006, la SAIC s’est vue octroyer un contrat de plusieurs millions de
dollars par la NSA, en vue de développer un vaste projet de « data-mining » appelé « ExecuteLocus »,
malgré l’énorme échec à 1 milliards de dollars de son contrat précédent, « Trailblazer ».
Les composants centraux de TIA se sont vus « discrètement
prorogés » sous « de
nouveaux noms de code », selon Shane
Harris du Foreign Policy, mais leur
fonctionnement était dissimulé « derrière
le voile que constitue la confidentialité des budgets de
renseignement ». Le nouveau programme de surveillance, à
partir de ce stade, ne dépendait plus de la DARPA mais de la NSA.
Toujours
en 2006 se tint à Singapour un autre Island
Forum,
dirigé par Richard O’Neill, qui y représentait le Pentagone. Cette
session reçut comme invités des hauts fonctionnaires des USA, du
Royaume-Uni, d’Australie, de France, d’Inde et d’Israël. Parmi les
participants, on comptait également des techniciens et ingénieurs de
Microsoft, d’IBM, ainsi que Gilman
Louie, associé de la société Alsop Louie Partners –
spécialisée en investissements technologiques.
Gilman
Louie est un ancien PDG d’In-Q-Tel – la société de la CIA qui investit
surtout dans des jeunes pousses développant une technologie de « data-mining ».
In-Q-Tel se vit fondée en 1999 par la direction
de la CIA aux sciences et technologies, dont dépendait le Bureau
de R&D (l’ORD) –
que l’on retrouvait, souvenez-vous, derrière le programme MDDS qui
finança Google. L’idée en était à ce stade de remplacer les fonctions
jusqu’alors gérées par l’ORD, en activant le secteur privé, afin qu’il
développe les solutions informatiques pour la communauté du
renseignement dans son ensemble.
Louie
avait dirigé In-Q-Tel de 1999 à janvier 2006 – il occupait donc ce
poste quand Google acheta Keyhole, le logiciel de cartographie
satellite financé par In-Q-Tel. On trouvait au conseil d’administration
d’In-Q-Tel à cette même époque Anita Jones, ancienne directrice de la
DARPA et co-présidente du Highlands
Forum (jusqu’à ce jour) ; William
Perry, membre fondateur du conseil d’administration : l’homme qui
avait mandaté O’Neill pour monter le Highlands
Forum au
tout début. Aux côtés de Perry, John Seely Brown, travaillant également
pour In-Q-Tel et également membre fondateur du conseil
d’administration – il était à l’époque directeur scientifique chez Xerox
Corp et directeur du Palo
Alto Research Center (PARC) (une division de
Xerox) entre 1999 et 2002 : ce dernier personnage constitue également
un membre haut-placé du Highlands
Forum, et ce depuis son lancement.
Derrière
In-Q-Tel, on trouve donc la CIA, mais également le FBI, la NGA, ainsi
que l’agence de renseignements de la défense, parmi d’autres agences.
Plus de 60% des investissements réalisés par In-Q-Tel sous le mandat de
Louie furent alloués à « des
sociétés spécialisées dans la collecte automatisée, et à la
classification d’océans de données », si l’on en croit News21,
de la Medill School of Journalism. Cette dernière a également noté que
Louie en personne a reconnu qu’il n’était pas possible d’établir « que
les libertés publiques et privées soient protégées » avec
ces données utilisées par le gouvernement « à
des fins de sécurité nationale ».
La retranscription faite
par Richard O’Neill du séminaire, tenu fin 2001 à Harvard, établit que
le Highlands
Forum, affilié au Pentagone, avait embauché Gilman Louie bien
avant que le Island
Forum n’en fasse autant. De fait, Louie
rejoignit le premier juste après le 11 septembre, pour explorer « ce
qui se passait avec In-Q-Tel ». Cette session du Forum s’était
intéressée aux méthodes permettant de « tirer
bénéfice de la rapidité du marché commercial, jusqu’à présent absente
de la communauté scientifique et technologique de Washington » et
d’en comprendre « les
implications pour le DoD en terme de revue stratégique, ainsi que pour
le QDR, les décisions du Congrès, et les autres parties prenantes ».
On comptait parmi les participants à cette session « des
dirigeants militaires » ; des commandants
des forces combattantes ; des
officier généraux supérieurs ; des gens de l’industrie de la défense et
divers représentants des USA, parmi lesquels un membre républicain du
Congrès William Mac Thornberry et le sénateur Joseph Lieberman.
Thornberry
comme Lieberman constituent des ardents soutiens à la surveillance de
la NSA, et ont constamment œuvré à mobiliser des soutiens aux lois
pro-guerre et pro-surveillance. Les commentaires d’O’Neill indiquent
que le rôle du Forum ne
se limite pas à « uniquement » permettre
aux sous-traitants privés d’écrire les politiques du Pentagone ; il
s’agit également de mobiliser un soutien politique aux politiques
gouvernementales adoptées au travers du réseautage informel fantôme que
permet le Forum.
O’Neill
a dit et répété devant son public à Harvard que son travail en tant que
président du Forum était
de cadrer des études de cas provenant de sociétés du secteur privé,
comme eBay et Human Genome Sciences, pour établir les fondements de la « supériorité
de l’information » étasunienne – « comment
dominer » le marché de l’information –
et utiliser ces travaux comme leviers pour « faire
ce que le président et le secrétaire de la défense veulent afin de
transformer le DoD et la revue stratégique ».
En
2007, un an après la rencontre du Island
Forum à
laquelle assistait Gilman Louie, Facebook recevait son deuxième tour de
table, établi à 12,7 millions de dollars, de la part d’Accel Partners.
Accel était dirigé par James Breyer, ancien président de la National
Venture Capital Association (NVCA) [association
nationale de capital risque, NdT], au conseil d’administration
duquel figure
également Louie en plus de ses fonctions à
In-Q-Tel. Louie comme Breyer avaient également tous les deux figuré au
conseil d’administration de BBN
Technologies – qui avait recruté Anita Jones, l’ex-dirigeante
de la DARPA et mandataire d’In-Q-Tel.
Le
tour de table de Facebook de 2008 fut dirigé par Greylock Venture
Capital, qui apporta 27,5 millions de dollars. Parmi les associés
dirigeants de cette société, on trouve Howard Cox, qui fut lui aussi
président de la NVCA, et qui a sa
place au
conseil d’administration d’In-Q-Tel. Outre Breyer et Zuckerberg, le
seul autre membre du conseil d’administration est Peter Thiel,
cofondateur de Palantir, sous-traitant en défense, qui vend toute une
gamme de technologies de « data-mining » et
de visualisation au gouvernement étasunien, aux agences militaires et
de renseignement, y
compris la NSA et le FBI, et qui fut elle-même biberonnée par les
membres du Highlands
Forum jusqu’à devenir viable financièrement.
Thiel
et Alex Karp, les co-fondateurs de Palantir, firent connaissance de
John Poindexter en 2004, selon Wired,
la même année que celle où Poindexter participa au Highlands
Island Forum à
Singapour. Ils se rencontrèrent au domicile de Richard Perle, un autre
acolyte d’Andrew Marshall. Poindexter ouvrit des portes à Palantir, et
contribua à assembler « une
légion de défenseurs en provenance des strates les plus influentes du
gouvernement ». Thiel avait également rencontré Gilman Louie
d’In-Q-Tel, pour s’assurer du soutien de la CIA lors de cette phase
préparatoire.
Et
la boucle est bouclée. Des programmes de « data-mining » comme
ExecuteLocus et des projets qui lui sont reliés, développés au cours de
cette période, constituèrent manifestement le socle des nouveaux
programmes finalement dévoilés par Edward Snowden. Au moment où
Facebook recevait ses financements de Greylock Venture Capital, en
2008, les documents et le témoignage du lanceur d’alerte confirmaient
que la NSA était en train de ressusciter
le projet TIA, avec un centrage sur le « data-mining »d’Internet,
réalisé par une supervision totale des e-mails, des messages textes et
de la navigation web.
Nous
savons également, grâce à Snowden, que le système d’exploitation « Digital
Network Intelligence »XKeyscore,
de la NSA, a été conçu pour permettre aux analystes de rechercher non
seulement dans les bases de données internet comme les emails, les
messageries instantanées et les historiques de navigation, mais
également dans les services téléphoniques, les conversations vocales,
les transactions financières et les communications mondiales de
transport aérien – en réalité, l’ensemble de la grille de
télécommunication mondiale. La SAIC, partenaire du Highlands
Forum, a joué un rôle clé, parmi d’autres sous-traitants, dans la production et
l’administration du
système XKeyscore de la NSA : on l’a trouvée récemment impliquée dans le piratage
par la NSA du réseau privé Tor.
Le Highlands
Forum,
émanation du Pentagone, fut donc intimement impliqué dans toutes ces
réalisations, non seulement en tant que réseau, mais aussi de manière
très directe. Le DSI du Pentagone, Linton Wells, alors vice-président du Forum,
déclara en 2009 au magazineFedTech qu’il
avait supervisé le déploiement par la NSA « l’été
précédent, d’une architecture à long terme, impressionnante, qui allait
apportait un niveau de sécurité de plus en plus évolué jusqu’en 2015
environ », ce qui vient confirmer son rôle central dans
l’expansion de l’appareil de surveillance mondiale tenu par les USA.
La
connexion à Goldman Sachs
Quand
j’ai questionné Wells quant au rôle d’influence du Forum sur
la surveillance de masse des USA, il m’a uniquement répondu ne pas
souhaiter faire de commentaires, et ne plus diriger le groupe.
Wells
ne figurant plus au gouvernement, on pouvait s’y attendre – mais
ses connections au Highlands ne
se sont pas dénouées. Depuis septembre 2014, après avoir livré son
décisif livre blanc sur la transformation du Pentagone, il a
rejoint la Cyber
Security Initiative (CySec) du Monterey
Institute for International Studies, (Institut d’études
internationales de Monterey), (MIIS), sous le titre d’agrégé de
recherche [distinguished
senior fellow, NdT].
Tristement,
ce ne fut pas une simple manière de s’occuper pendant sa retraite. Sa
nouvelle nomination souligna la nouvelle conception de la guerre de
l’information par le Pentagone : il ne s’agit plus uniquement de
surveillance, il s’agit d’exploiter la surveillance pour influencer le
gouvernement d’un côté, et l’opinion publique de l’autre.
L’initiative
CySec du MIIS est à présent officiellement
partenaire[l’information
a disparu de leur site, mais reste disponible en archive, NdT] du Highlands
Forum, au travers d’un Mémorandum
de compréhension[Même
chose, la référence a disparu de leur site, mais reste disponible en
archive, NdT] signé par le Dr
Amy Sands, la doyenne du MIIS, qui siège également à l‘International
Security Advisory Board[conseil
consultatif à la sécurité internationale, NdT] du
secrétaire d’État. Le site web du CySec affirme que le Mémorandum en
question, signé avec Richard O’Neill :
…
ouvre la voie vers des sessions conjointes entre le MIIS CySec et le
Highlands Group à l’avenir, qui permettront d’envisager les impacts de
la technologie sur la sécurité, la paix et le combat informationnel.
Depuis presque 20 ans, le Highlands Group a intégré des dirigeants du
secteur privé et du gouvernement, parmi lesquels des dirigeants des
renseignements nationaux, de la DARPA, du bureau du Secrétaire à la
défense, du Bureau du secrétaire à la sécurité intérieure, et du
ministre singapourien de la défense, lors de discussions créatives
définissant les nouveaux cadres de recherche technologique et des
nouvelles politiques.
Qui
est le bénéficiaire financier de la nouvelle initiative conjointe entre
le Highlands et
la MIIS CySec ? Selon
le site web de la MIIS CySec, l’initiative fut
lancée « grâce
à un généreux financement d’amorçage de la part de George Lee ».
George C. Lee est l’un des associés dirigeants de Goldman Sachs, où il
tient le poste de DSI d’une division d’investissement bancaire, et il
préside également le groupe mondial Technology, Media and Telecom (TMT).
Mais
c’est là qu’est l’os. En 2011, c’est Lee qui s’était occupé d’évaluer la valorisation de
Facebook à 50 milliards de dollars, et il avait auparavant géré des
affaires pour d’autres géants technologiques connectés au Highlands,
comme Google, Microsoft et eBay. Le patron de Lee de l’époque, Stephen
Friedman, ancien PDG de Goldman Sachs, et ensuite associé dirigeant du
conseil d’administration de la société, fut également l’un des
fondateurs du conseil d’In-Q-Tel
aux côtés de William Perry, « suzerain » du Highlands
Forum, et de John Seely Brown, membre du Forum.
En
2001, Bush nomma Stephen Friedman au conseil consultatif des
renseignements auprès du président, et il en vint à présider ce conseil
de 2005 à 2009. Friedman avait auparavant été en poste auprès de Paul
Wolfowitz et d’autres dans la commission d’enquête de 1995-1996 sur les
capacités de renseignements étasuniennes, puis en 1996 dans le Panel
Jeremiah, qui produisit un rapport destiné au directeur du bureau
de reconnaissance nationale [National
Reconnaisance Office (NRO), NdT] – l’une des agences de
renseignements branchées sur le Highlands
Forum. Friedman figurait dans le Panel Jeremiah avec Martin Faga,
alors vice-président et directeur général du Center
for Integrated Intelligence Systems de la
MITRE – centre où Thuraisingham, qui assura la direction du
programme conjoint CIA-NSA-MDDS qui inspira le « data-mining » de
contre-terrorisme de la DARPA, fut également ingénieur en chef.
Dans
les notes de bas de page d’un chapitre du livre Cyberspace
and National Security(édité
par Georgetown University Press), Jeff Cooper, dirigeant de la
SAIC/Leidos, révèle que Philip J.M. Venables, qui, à titre de chef de
la gestion des risques liés à l’information, dirige les programmes de
sécurité de l’information du cabinet, a fait une présentation au
Highlands Forum en 2008 dans le cadre de ce qu’on a appelé une « séance
d’enrichissement de la dissuasion ». Le chapitre de Cooper
s’inspire de la présentation de Venables aux Highlands« avec
sa permission ».
En 2010, Venables a participé avec son ancien patron Friedman à une
réunion de l’Aspen Institute sur l’économie mondiale. Au cours des
dernières années, Venables a également siégé à divers comités d’examen
des prix de la NSA en matière de cybersécurité.
En
résumé, derrière la création des fortunes se comptant en milliards de
dollars derrières les grandes sociétés technologiques du XXIème siècle,
de Google à Facebook, on trouve, responsable de leur création même, une
société d’investissement intimement liée à la communauté du
renseignement étasunien ; avec Venables, Lee et Friedman, ou bien
directement connectés au Highlands
Forum, ou bien membres dirigeants du Forum.
Combattre
la terreur par la terreur
La
convergence de ces puissants intérêts financiers et militaires autour du Highlands
Forum est en soi révélatrice, comme l’est le
soutien qu’apporte George Lee à l’initiative MIIS Cysec, nouvelle
partenaire du Forum.
Le
Dr Itamara Lochard, directrice en poste du MIIS Cysec, a longtemps fait
partie du Highlands
Forum. Il arrive fréquemment qu’elle « présente
les recherches à jour sur les groupes non étatiques, la gouvernance, la
technologie et le conflit devant le Bureau étasunien du Secrétaire à la
Défense dans le cadre du Highlands Forum », selon sa biographie sur
le site de l’université de Tufts. Elle « conseille
également régulièrement les commandants de
combattants étasuniens » et se spécialise
dans l’étude de l’utilisation des technologies de l’information par « des
groupes infra-étatiques violents et non violents ».
Le
Dr Lochard maintient également une base
de données exhaustive de 1700 groupes non
étatiques, comprenant « des
insurgés ; des milices ; des terroristes ; des organisations
criminelles complexes ; des gangs organisés ; des cyber-acteurs
malveillants ainsi que des acteurs non-violents stratégiques »,
pour analyser leurs « motifs
d’organisation, zones de coopération, stratégies et tactiques ».
Notez bien, ici, la mention d’« acteurs
stratégiques non-violents » –
qui peut couvrir des ONGs et d’autres groupes ou organisations engagés
dans des activités sociales politiques ou des campagnes, si l’on en
juge le focus d’autresprogrammes
de recherche du DoD.
Depuis
2008, Lochard est professeur-adjoint à l’université interarmées
étasunienne des opérations spéciales, où elle inculque un cours
avancé top secret en « guerre
clandestine », qu’elle destine aux hauts-dirigeants des forces
spéciales étasuniennes. Elle a auparavant enseigné un cours de « guerre
interne » aux hauts « dirigeants
politico-militaires » de divers régimes du
Golfe.
Ses
points de vue révèlent donc beaucoup d’informations sur ce que le Highlands
Forum a nourri au fil des années. En 2004,
Lochard co-signait une étude pour l‘Institute
for National Security Studies, (Institut d’études sur la sécurité
nationale), (rattaché à l’US Air Force),
au sujet de la stratégie étasunienne envers les « groupes
armés non-étatiques ».
Cette étude, d’un côté, avançait la thèse selon laquelle des groupes
armés non-étatiques devraient de manière urgente se voir reconnus comme « priorité
de sécurité de premier niveau », et d’un autre côté, arguait
que la prolifération de groupes armés « ouvre
des opportunités stratégiques qui peuvent être exploitées pour
contribuer à atteindre d’autres buts politiques. Il y a eu et il y aura
encore des instances où les États-Unis peuvent considérer qu’une
collaboration avec des groupes armés répond à leurs intérêts
stratégiques ». Mais des « outils
sophistiqués » doivent
être développés pour classifier ces différents groupes, comprendre
leurs dynamiques, et déterminer lesquels garder, et lesquels pourraient
être exploités dans l’intérêt des USA. « Les
profils de groupes armés peuvent, de la même manière, être utilisé pour
identifier les manières dont les États-Unis pourront assister certains
groupes armés dont le succès leur apportera des avancées en politique
étrangère ».
En
2008, Wikileaks publia un
manuel d’opérations secret réservé aux Opérations spéciales de l’armée
des USA, qui démontre que le modèle de pensée que propose les gens
comme l’experte Lochard du Highlands
Forum a bel et bien été adopté par les forces
spéciales étasuniennes.
Les
travaux de Lochard démontrent donc que le Highlands
Forum a
été positionné à l’intersection entre la stratégie avancée de
surveillance du Pentagone, les opérations clandestines et la guerre non
conventionnelle : mobilisation de la surveillance de masse pour
développer des informations précises sur les groupes violents et
non-violents perçus comme potentiellement menaçants envers les intérêts
étasuniens, ou proposer des opportunités d’exploitation, en lien direct
avec les opérations clandestines étasuniennes.
Voilà,
en fin de compte, pourquoi la CIA, la NSA, le Pentagone lancèrent
Google. Pour pouvoir mener leurs guerres sales clandestines avec plus
d’efficacité que jamais auparavant.
Dans les profondeurs historiques de l’État profond étasunien
Dans les profondeurs historiques de l’État profond étasunien
Par Jada Thacker – Le 23 juin 2017 – Source Consortium News
http://lesakerfrancophone.fr/dans-les-profondeurs-historiques-de-letat-profond-etasunien
Il
semble que tout le monde parle de l’État profond de nos jours. Bien que
le terme semble avoir pénétré le langage commun à la fin des années
1990, pendant des années il ne faisait référence qu’à des gouvernements
de l’ombre étrangers, sûrement pas à notre propre « nation
indispensable ».
Est-ce
que la présence soudaine d’un État profond américain – grossièrement
définie comme une élite non élue qui manipule le gouvernement élu pour
servir ses propres intérêts – constitue une menace nouvelle, voire
existentielle, pour la démocratie ?
Pas
vraiment. La menace semble assez réelle, mais elle n’est pas nouvelle.
Considérez ces faits : il y a 230 ans, un groupe non élu d’élites
américaines a tenu une réunion secrète avec un ordre du jour non
divulgué. Leur but n’était pas seulement de manipuler un gouvernement
légitime dans leur propre intérêt, mais de l’abolir complètement. À sa
place, ils installeraient un gouvernement radicalement non démocratique
– un gouvernement « plus
parfait », ont-ils déclaré – disons mieux adapté à leurs
portefeuilles d’investissement.
L’histoire
n’appelle pas ces conspirateurs l’État profond. Elle les appelle les
Fondateurs. Les Fondateurs ne se considéraient pas eux-mêmes comme des
conspirateurs, mais comme des « républicains » –
non pas en référence à un parti politique, mais plutôt à leur position
économique dans la société. Mais leur dévouement au « républicanisme » était
visiblement intéressé. Un texte courant de l’université, « The
American Journey : A History of the United States »,
révèle, sans l’expliquer, « l’idéologie
républicaine » :
« Leur principal
rempart contre la tyrannie était la liberté civile, ou le maintien du
droit des gens à
participer au gouvernement. Les gens qui le faisaient devaient, par
contre, démontrer leur vertu. Pour les républicains du dix-huitième
siècle, les citoyens vertueux étaient ceux qui ne se concentraient pas
sur leurs intérêts privés, mais plutôt sur ce qui était bon pour le
public dans son ensemble.
Ils
étaient forcément des propriétaires, puisque seuls ces individus
pouvaient exercer une indépendance de jugement, impossible pour ceux
qui dépendent d’un employeur, de propriétaires fonciers, de maîtres ou
(dans le cas des femmes et des enfants) d’un mari et d’un père. »
Le
républicanisme était une idée intéressante si vous étiez un maître ou
propriétaire, qui étaient les seules personnes que cette idéologie
considérait comme assez « vertueuses
»pour voter ou occuper un poste politique. Ainsi, le « républicanisme » –
pratiquement indiscernable du « néolibéralisme » d’aujourd’hui
– a créé l’État profond original à l’image du système économique qu’il
était conçu pour perpétuer.
La
façon dont cela a été accompli n’est pas un récit réconfortant. Mais il
ne peut être relié au présent ni compris sans apprécier le contexte
historique dans lequel il s’est déroulé.
Maîtres
et serviteurs
L’Amérique
postcoloniale était principalement agraire, et environ 90% de la
population était agricultrice. (La plus grande ville, en 1790, était
New York et son énorme population de 33 000 habitants.) Il y avait une
petite classe moyenne d’artisans, de commerçants et même une poignée
d’ouvriers, mais les gens politiquement et économiquement puissants
étaient relativement peu nombreux – des gros commerçants et des
propriétaires fonciers – qui faisaient également fonction de banquiers.
L’Amérique
n’était pas vraiment une société féodale, mais elle y ressemblait. Les
gens du commun ne passaient pas par la porte principale des riches mais
étaient reçus par celle de derrière. La plupart des États avaient des
religions officielles, certaines avec fréquentation obligatoire de
l’église et amendes en cas d’absence. L’échange était la monnaie
courante de la grande majorité. Les endettés étaient emprisonnés. Les
parents vendaient leurs enfants en servitude. Ce n’est pourtant pas ce
à quoi pensent la plupart des gens quand ils entendent « Yankee
Doodle Dandy ».
Dans
tous les États le vote était restreint aux hommes qui possédaient une
quantité requise de biens, alors que la majorité, les femmes non
veuves, les serviteurs et les locataires ne possédaient aucun bien. En
outre, la plupart des États avaient des exigences de propriété pour
être éligible, et dans certains les fonctions supérieures étaient
réservées à ceux qui possédaient le plus de biens. De telles
restrictions ont discriminé la sous-classe urbaine et les agriculteurs
depuis le début de la colonisation américaine.
Personne
à cette époque ne qualifiait de « démocratie » cette
terre de maîtres et de serviteurs. En effet, la classe dirigeante
considérait la « démocratie » comme
un synonyme de « maitrise
de la foule ». Mais tout le monde n’était pas heureux de cette « vertu
républicaine » dans l’Amérique de
l’après-révolution, encore moins les esclaves des « vertueux ».
La
révolution a bien provoqué des envies de liberté sociale et économique
parmi la classe inférieure, mais lorsque la guerre a pris fin, rien n’a
changé. En fait, cette guerre s’est révélée ne pas être une révolution,
mais une simple alternance entre des seigneurs britanniques et des
seigneurs américains. Edmund Morgan, considéré comme le doyen de
l’histoire américaine à l’époque coloniale, a caractérisé la « guerre
non révolutionnaire »de cette façon :
« Le
fait que les rangs inférieurs étaient impliqués dans le combat ne
devrait pas obscurcir l’autre fait que cette guerre était surtout une
lutte pour le pouvoir et les hautes fonctions politiques entre des
membres de la classe supérieure : la nouvelle contre celle
établie. »
Environ
1 % de la population américaine est morte dans cette guerre menée, leur
a-t-on dit, pour la « liberté ».
(Comparez : si les États-Unis perdaient la même proportion de sa
population dans une guerre aujourd’hui, le résultat serait de plus de
trois millions de morts américains.) Pourtant, après la guerre, la
liberté économique n’était nulle part en vue.
De
plus, le concept même de « liberté » signifiait
une chose pour un fermier et autre chose pour son riche propriétaire ou
un commerçant. La liberté pour le fermier – qui était généralement un
agriculteur de subsistance ne cultivant pas pour faire de l’argent,
mais plutôt pour nourrir sa famille – signifiait rester hors de toute
dette. La liberté pour les commerçants et les propriétaires – pour qui
il s’agissait de faire des bénéfices financiers – signifiait conserver
la capacité de prêter ou de louer à d’autres et d’accéder au pouvoir
gouvernemental afin de faire respecter les remboursements des débiteurs
et les loyers des locataires.
Tout
comme les Indiens d’Amérique qui possédaient auparavant la terre
occupée maintenant par les agriculteurs de subsistance américains, les
fermiers endettés faisaient face à la perspective impensable de perdre
leur capacité à nourrir leurs familles (et leur droit de voter) si
leurs terres étaient confisquées pour des impôts ou des dettes non
payés. [Voir Consortiumnews.com, Comment
la dette a conquis l’Amérique.]
La
perte de ses terres condamnait un propriétaire à une vie de locataire.
Et la servitude des locataires et des esclaves n’était surtout qu’une
question de fer ou de papier : les esclaves étaient enchainés par
le fer, les locataires étaient enchainés par les dettes. Mais le fer
comme le papier étaient tous deux soutenus par la loi.
À
la fin de la guerre révolutionnaire, près d’un tiers des fermiers
américains possédaient leur propre terre. Lorsque les élites urbaines
ont commencé à faire payer les dettes et à augmenter les impôts des
agriculteurs de subsistance – dont beaucoup avaient combattu une longue
et terrible guerre pour assurer leur « liberté » –
cela constitua un assaut direct contre le dernier bastion de
l’indépendance économique des Américains.
La
première grande récession
Après
la guerre, les commerçants et les banques britanniques ne faisaient
plus crédit aux Américains. En outre, la Grande-Bretagne a refusé
d’autoriser les Américains à commercer avec leurs colonies des Indes
occidentales. Et, pour aggraver les choses, la marine britannique ne
protégeait plus les navires américains des pirates nord-africains, leur
interdisant effectivement le commerce méditerranéen. Parallèlement, la
marine américaine ne pouvait pas protéger les convois maritimes
américains, en Méditerranée ou ailleurs, parce que l’Amérique ne
possédait pas de marine militaire.
Dans
le passé, les marchands américains commerçaient avec leurs fournisseurs
britanniques en bénéficiant de délais de paiement. Trop d’Américains
ayant refusé de payer leurs traites après la Révolution, les
Britanniques ont donc demandé « à
être payés au comptoir », avec pièces d’or
et d’argent, avant que leurs marchandises ne soient livrées en Amérique.
Comme
toujours, les Américains avaient un nombre de pièces limité pour payer
ces achats. Au fur et à mesure que la crise du crédit a pris de
l’ampleur, les grossistes ont exigé un paiement en espèces auprès des
détaillants, les détaillants ont demandé la même chose à leurs clients.
Les commerçants ont commencé à récupérer leurs prêts qu’ils avaient
consentis aux fermiers, remboursables en pièces de monnaie. Les
fermiers sans pièces de monnaie ont été forcés de vendre leurs biens,
leur bétail ou leurs terres durement gagnés pour réunir l’argent afin
d’éviter une saisie imposée par le tribunal, qui comprenait non
seulement la saisie et la vente de leurs biens, mais aussi un
emprisonnement pour dettes non payées.
Le
résultat le plus visible de la guerre américaine pour la « liberté
» s’est avéré être une récession économique qui
a duré une décennie. Malgré cela, la récession n’aurait pas posé de
problème pour les agriculteurs de subsistance qui possédaient des
terres, qui vivaient dans des sociétés rurales et autonomes,
matériellement autosuffisantes. Mais lorsque les gouvernements des
États ont commencé à augmenter les taxes sur les fermiers, taxes
payables seulement en pièces d’or et d’argent, fort peu disponibles,
même les agriculteurs « autosuffisants » se
sont retrouvés soumis au risque de perdre la capacité de nourrir leurs
familles.
Dette,
spéculation et l’État profond
Le
Congrès a bien tenté de payer sa guerre contre la Grande-Bretagne en
imprimant du papier-monnaie. Les Britanniques ont affaibli ces dollars « continentaux »,
non seulement en poussant les marchands américains à payer en or et en
argent, mais aussi en imprimant des millions de faux dollars
continentaux et en les mettant en circulation. Le résultat global a été
une dévaluation catastrophique du dollar continental, qui, à la fin de
la guerre, était sans valeur.
En
attendant, le Congrès et les gouvernements des États avaient emprunté
pour payer leur « liberté ». À
la fin de la guerre, la dette s’élevait à 73 millions de dollars, dont
60 millions étaient dus aux créanciers nationaux. C’était une somme
d’argent énorme. Dans son chef-d’œuvre consciencieusement ignoré, «An
Economic Interpretation of the Constitution of the United States »,
l’historien Charles A. Beard a montré que la dette de guerre détenue à
l’étranger équivalait à 10% de la valeur de toutes les exploitations
recensées (y compris les maisons) dans tous les États-Unis de l’époque.
Il
fallait aussi, bien sûr, payer les intérêts de cette dette ; ce
qui pose problème si vous êtes endetté, mais est une bonne chose si
elle vous est due. Non seulement la « liberté
n’était pas gratuite », mais elle fut
accompagnée de dividendes pour les investisseurs de l’État profond.
Cela devrait vous paraitre au moins vaguement familier de nos jours.
Comme
le papier-monnaie continental avait perdu de sa valeur, le Congrès et
les gouvernements des États ont continué à payer pour leur « liberté » avec
des pièces empruntées avec intérêts. Quand elles ont manqué, le
gouvernement n’a payé qu’avec des promesses de paiement à une date
ultérieure – de simples morceaux de papier promettant de payer en
pièces de monnaie (ou en terre) à un moment indéterminé après que la
guerre serait gagnée.
C’est
ainsi que le gouvernement a approvisionné les troupes (chaque fois
qu’il a pu le faire) et qu’il a payé ses salaires. Dans la pratique,
cependant, le Congrès ne payait souvent rien aux troupes, même pas avec
des promesses de papier, n’offrant que la promesse verbale de les payer
à la fin de la guerre.
Mais
la guerre n’est jamais une entreprise lucrative pour un gouvernement,
et lorsqu’elle s’est terminée, les finances du gouvernement étaient
encore plus à sec que jamais. Alors, il a écrit ses promesses verbales
sur des morceaux de papier et les a remis à ses troupes démobilisées
avec un chaleureux « bonne
chance avec ça ! ». Même ainsi, le Congrès a payé les
soldats avec des obligations qui ne payaient qu’une fraction du temps
que la plupart avaient servi, promettant (encore !) de payer le
solde plus tard – ce qu’il ne fit jamais.
Des
milliers de soldats ont été abandonnés de cette façon. La plupart n’ont
pas été payés avant des années (quand ils l’ont été), et beaucoup
étaient à des centaines de kilomètres de leurs maisons – malades,
blessés et affamés – comme ils l’étaient depuis des mois et des années.
D’autres étaient habillés uniquement de chiffons. Certains portaient
des promesses en papier pour être payés en argent, d’autres en terres
géographiquement éloignées – dont aucune ne serait disponible avant des
années, voire pas du tout.
L’ancien
combattant de la guerre révolutionnaire de sept ans, Philip Mead, a
décrit son sort dans des mémoires amères intitulées «A
Narrative of Some of the Adventures, Dangers and Sufferings of a
Revolutionary Soldier » (Le récit de
quelques aventures, dangers et souffrances d’un soldat révolutionnaire)
:
« Nous
étions absolument affamés. Je déclare solennellement que je n’ai pas
mis un seul morceau de nourriture dans ma bouche pendant quatre jours
et autant de nuits, à l’exception d’une petite écorce de boule noire
que j’ai obtenu en mâchant
un bâton de bois, si on peut appeler cela de la nourriture. J’ai vu
plusieurs hommes rôtir leurs vieilles chaussures et les manger … .
Quand
le pays a pressé la dernière goutte de travail qu’il pouvait obtenir
des pauvres soldats, ils étaient laissé à la dérive comme de vieux
chevaux fatigués, et rien n’était dit au sujet des terres qu’ils
pourraient cultiver. »
C’était
cela la liberté ? Pour les anciens combattants appauvris, la « liberté » semblait
sinistre, en effet. Pour les spéculateurs sur les obligations d’État,
la liberté prenait l’apparence d’une opportunité en or, littéralement
parlant.
Les
vautours possédaient des pièces de monnaie et achetaient des
obligations d’État valant un dollar, pour juste un nickel. Les
spéculateurs se sont enrichis non seulement grâce aux promesses faites
aux anciens combattants désespérés (dont beaucoup ont vendu leurs
promesses simplement pour obtenir de la nourriture et des vêtements sur
leur longue route de retour à la maison), mais aussi à celles d’une
foule de personnes dont les biens ou les services avaient été payés
avec des lettres de créance.
Les
spéculateurs optimistes s’accaparaient des obligations des spéculateurs
pessimistes. Plus les gens devenaient désespérés pendant la récession,
plus ils vendaient leurs promesses à bas prix à ceux qui ne l’étaient
pas.
Les
spéculateurs s’attendaient à ce que leurs investissements, même ceux
consistant en du papier-monnaie sans valeur, soient payés en pièces
d’or ou d’argent. De plus, les « initiés » s’attendaient
à ce que toutes ces promesses gouvernementales soient éventuellement
converties – discrètement si possible – en des emprunts avec intérêt,
grâce à une autorité fiscale unique et puissante. Tout l’État profond
avait besoin maintenant d’un gouvernement national pour sécuriser ce
plan d’investissement. Un homme nommé Daniel Shays a involontairement
aidé à répondre à ce besoin.
Rébellion
et répression
Thomas
Jefferson a écrit la phrase célèbre : «L’arbre
de la liberté doit être rafraîchi de temps en temps avec le sang des
patriotes et des tyrans. » Il ne faisait
pas référence à d’héroïques patriotes américains chargeant Bunker Hill
contre les baïonnettes britanniques. Il se référait plutôt aux fermiers
américains – dont beaucoup avaient été les soldats affamés dans cette
guerre pour une liberté illusoire – prenant leur vie en main pour
s’opposer aux politiques fiscales du gouvernement du Massachusetts en
1787. Le principal chef de cette révolte était un fermier et vétéran de
guerre, Daniel Shays.
En
un sens, l’aspect le plus intéressant dans la rébellion de Shays est
que ce n’était pas un événement unique.
Le
premier exemple notable de révolte agraire a été la Rébellion de Bacon,
en 1676 en Virginie, lorsque les agriculteurs ont marché vers les
riches demeures des propriétaires de plantations de Jamestown, les ont
complètement brûlées, ont publié leur « Déclaration
du Peuple » démocratique et ont menacé de
pendre chaque tyran inscrit sur leur liste d’élites – certains étant
les ancêtres des Pères Fondateurs de l’Amérique.
L’historien
Gary Nash nous rappelle que la Rébellion de Bacon a eu des échos dans
l’histoire américaine : «Des
explosions de désordre ont marqué le dernier quart du XVIIe siècle,
renversant les gouvernements établis dans le Massachusetts, New York,
le Maryland, la Virginie et la Caroline du Nord. » Jimmy
Carter, dans «The
Hornet’s Nest » (La boite de Pandore), le
seul roman jamais publié par un président américain, raconte l’histoire
similaire de l’agonie des agriculteurs dépossédés en Géorgie, un siècle
plus tard.
D’autres
fermiers se sont rebellés dans le New Jersey dans les années
1740 ; dans la guerre des loyers de la New
York Hudson Valley, dans les années 1750 et 1760, et simultanément
au Vermont par les Green
Mountain Boys d’Ethan Allen ; pendant une
décennie, en Caroline du Nord, dans les années 1760, où des vigiles,
appelés Régulateurs, ont lutté contre le gouvernement de l’élite
urbaine ; et en Virginie dans les années 1770. De même, les villes
américaines ont connu des scènes d’émeutes de travailleurs, de
manifestations et de grèves pendant un siècle. La lutte des classes
américaine, apparemment inconnue de la plupart des professeurs
d’histoire américains, était plutôt la règle que l’exception.
La
victoire dans la guerre contre l’Angleterre n’a fait qu’intensifier le
conflit entre ceux qui considéraient la « liberté » comme
une condition nécessaire pour vivre sans dettes et ceux qui
considéraient que la « liberté » était
leur privilège de classe de s’enrichir des dettes que les autres leur
devaient. Howard Zinn, dans son ouvrage, «A
People’s History of the United States », décrit les réalités
économiques de l’Amérique du XVIIIe siècle :
« Les
colonies, en revanche, étaient des sociétés de classes en lutte – un
fait obscurci par l’emphase mise, dans l’histoire traditionnelle, sur
la lutte contre l’ennemi extérieur qu’était l’Angleterre et l’unité des
colons dans la Révolution. Le pays n’était donc pas ‘né libre’ mais né
esclave/libre, serviteur/maître, locataire/propriétaire,
pauvre/riche. »
Bien
que la rébellion de Shays n’a pas été unique, il s’agissait d’un
événement énorme qui arriva à un moment où les riches devaient recevoir
beaucoup d’argent de la part des gouvernements appauvris. Pressuré par
les riches détenteurs d’obligations et les spéculateurs, le
gouvernement du Massachusetts a dûment augmenté les taxes sur les
fermiers. Pour rendre les choses encore pires, les taxes ne pouvaient
être payées qu’en or ou en argent – ce qui était complètement hors de
question pour la plupart des fermiers, qui n’avaient aucun moyen
d’obtenir de l’argent métal.
Lorsque
ceux-ci se sont plaints, leurs doléances ont été ignorées. Lorsque
qu’ils ont demandé au gouvernement d’émettre du papier-monnaie et de
l’accepter comme paiement des dettes et taxes, le gouvernement a refusé
leur demande. Lorsque qu’ils ont plaidé pour l’adoption de « lois
sur les devises à
cours légal » qui leur permettraient de
régler leurs dettes ou leurs impôts avec leur travail, ils ont été
repoussés.
Et
lorsque les fermiers ne pouvaient pas payer ce qu’ils n’avaient pas,
les tribunaux du Massachusetts ordonnaient la saisie de leurs terres et
leur mise aux enchères. Finalement, les fermiers ont compris l’effet
pratique, sinon l’intention spécifique, de la taxe : la
confiscation de leurs biens et leur transfert aux riches, à qui le
gouvernement devait sa dette et les intérêts. Le gouvernement était
devenu une agence de recouvrement armée.
Au
grand désarroi des anciens fiers patriotes anti-impôts, les fermiers se
sont mis aussi à se rebeller. Les rebelles Shaysites ont fermé de force
les tribunaux fiscaux qui les condamnaient à la servitude. Les riches
ont répondu en prêtant plus d’argent au gouvernement démuni (avec
intérêt) afin qu’il puisse payer une milice suffisante pour s’opposer
aux rebelles.
À
ce stade, les rebelles anti-impôt ont abandonné les demandes de réforme
pour une révolution radicale et, en un écho retentissant de la
centenaire «Declaration
of the People » de Nathaniel Bacon, ont
promis de marcher sur Boston et de raser la ville. Ce n’était pas du
vandalisme à la Tea Party, géré par des Bostoniens aisés comme Samuel
Adams. C’était la révolution agraire, populaire et explosive, du siècle
à venir.
La
classe marchande urbaine et possédant les obligations, de Boston et
d’ailleurs, commença à paniquer. Et personne ne panique plus qu’un
spéculateur sur les obligations qui comprend intimement que les
rebelles sont en train de menacer leur « vertueuse
liberté » républicaine de tirer profit des
autres. L’historien Woody Holton expose l’étonnante insensibilité de
l’un des principaux détenteurs d’obligations américain dans son écrit
nationalement applaudi «Unruly
Americans and the Origin of the Constitution »(Les Américains
indisciplinés et l’origine de la Constitution) :
« En
tant que détenteur d’obligations, Abigail Adams profiterait énormément
si ses compatriotes du Massachusetts (payaient la taxe) prélevée par la
législature en mars 1786, mais elle considérait que s’y conformer était
un devoir sacré. Si les contribuables du Massachusetts avaient ‘plus de
difficultés à payer les charges publiques qu’autrefois, a-t-elle écrit,
ils devraient considérer cela comme étant le prix de leur liberté’. »
Cette
future Première Dame, Abigail Adams, n’était pas seule à penser que la
liberté venait avec des dividendes payables sur son compte. L’historien
David Szatmary nous rappelle dans son «Shays
Rebellion ; the Makings of an Agrarian Insurrection » que
l’ancienne direction patriote, en particulier les membres de la classe
marchande, a été parmi les premiers à défendre l’utilisation de la
violence contre cette rébellion démocratique.
On
lit dans un texte publié à l’époque : « Lorsque
nous avions d’autres dirigeants, les comités et les conventions du
peuple étaient licites, ils étaient alors nécessaires. Mais depuis que
je suis devenu moi-même souverain, ils cessent d’être licites, les gens
n’ont aucun droit d’examiner ma conduite. »
Le
patriote et spéculateur en obligations Samuel Adams – ancien maitre
d’œuvre du Boston
Tea Party et propagandiste contre les injustes
impôts britanniques (ainsi que le cousin du mari d’Abigail, John Adams)
– ont parrainé une loi du Massachusetts qui autorisait les shérifs à
tuer les manifestants anti impôts.
Un
autre riche titulaire d’obligations, un ex-guerrier de la révolution,
le général Henry Knox (l’homonyme de Fort Knox, le fameux dépôt de
lingots d’or) a écrit une lettre d’alarme à son ancien commandant,
George Washington, accusant les rebelles Shays d’être des «levelers » (ce
qui était le terme, alors existant, le plus proche de communistes).
Il a informé Washington que le pays avait besoin d’un gouvernement
beaucoup plus fort (et militaire) pour empêcher tout défi grave à
l’élite. Son message n’a pas été boudé par le général Washington, le
propriétaire d’esclaves le plus riche d’Amérique.
En
fin de compte, le Congrès, en vertu des articles de la Confédération,
ne pouvait pas utiliser l’argent des États pour fournir une armée, mais
la milice à but lucratif, à financement privé, a vaincu avec succès les
rebelles Shays. Mais la peur, quasi hystérique, d’une révolution
économique démocratique avait été instillée dans l’esprit des maîtres.
La Révolte de Shays s’est révélée être la dernière goutte pour les
spéculateurs en obligations dont les profits pouvaient être compromis
par la démocratie.
Pire
encore, les gouvernements de nombreux autres États commençaient à plier
sous la forte pression démocratique des débiteurs rebelles. Certains
États ont même pensé à des lois qui empêcheraient la saisie de biens
pour dette ; D’autres à créer du papier-monnaie afin de briser le
monopole de l’or et de l’argent. Rhode Island a non seulement voté pour
un système de monnaie, mais a aussi menacé de socialiser toutes les
entreprises commerciales de l’État.
En
réponse à la menace du populisme, l’élite « vertueuse » a
réagi de manière décisive – pas pour remédier au sort des débiteurs,
bien sûr – mais pour en tirer profit. En conséquence, en 1786, cinq
États ont envoyé des délégués pour se réunir à Annapolis, dans le
Maryland, alors que la révolte de Shays tournait à la révolution. Cette
minorité non élue a demandé au Congrès d’autoriser qu’une convention se
tienne à Philadelphie l’année suivante « dans
la seule et urgente intention de réviser des articles de loi de la
Confédération ». Les articles ne seront jamais « révisés ».
Ils seront tout simplement retirés par l’État profond.
L’État
profond conspire
Grâce
au livre de Charles A. Beard, «An
Economic Interpretation of the Constitution of the United States », nous
en savons beaucoup sur le statut des 55 hommes qui ont conspiré pour
rédiger la Constitution. Mais la première chose que nous devons savoir,
c’est qu’ils n’étaient pas autorisés par «Nous
le peuple » simplement parce que personne
n’avait voté pour eux ; Tous étaient des suppléants politiques.
Ce
n’était même pas un échantillon représentatif du peuple. Aucune
personne dans la salle de la Convention ne « travaillait
pour gagner sa vie », pas de femme, ni de personne de
couleur. Un seul prétendait être un « fermier »,
l’occupation d’environ 90% de la population de l’époque. La plupart
étaient des avocats. Vous imaginez.
Si
ces délégués représentaient quelqu’un, c’était l’élite
économique : 80% étaient des détenteurs d’obligations ; 44 %
des prêteurs d’argent ; 27% des propriétaires d’esclaves ; et
25 % des spéculateurs immobiliers. Sur le plan démographique, les 39
qui ont finalement signé le projet final de Constitution constituaient
0,001% de la population américaine déclarée au recensement de 1790.
George Washington, qui la présidait, était probablement l’homme le plus
riche du pays. Tous des joueurs de l’État profond.
Et
les enjeux étaient élevés. Rappelons que la valeur nominale des
obligations d’État en vigueur en 1787 était de 60 millions de dollars,
ce qui équivalait à 10 % de la valeur totale des terres du pays. Mais
ces obligations, pour la plupart, avaient été obtenues par les
spéculateurs à une fraction de leur valeur nominale. Beard a estimé
très prudemment que le profit des spéculateurs – si l’obligation était
rachetée à sa valeur nominale – aurait été d’environ 40 millions de
dollars. Exprimé en proportion de la valeur totale des terres au moment
des Fondateurs, le bénéfice estimé des emprunts d’État détenus serait
égal à au moins 3 mille milliards de dollars d’aujourd’hui. Sans impôts.
Nous
ne savons toujours pas tout ce qui s’est passé à la convention.
Personne n’a été chargé de garder un compte rendu de ce qui a été
discuté. Selon les informations, même les fenêtres de la salle de
réunion ont été clouées pour empêcher les écoutes – bien qu’il y ait eu
des « fuites ».
En raison de son secret et de sa nature non autorisée, certains
historiens ont appelé cette convention « la
deuxième Révolution américaine ». Mais les révolutions sont
des évènements publics, extrêmement participatifs. C’était plutôt un
coup d’État perpétré à l’abri de portes verrouillées.
La
plupart des délégués ont vraisemblablement compris que le but non
divulgué de cette convention était de jeter l’ensemble du système
confédéré (qui avait coûté 25 000 vies américaines à sécuriser) à la
poubelle. Ils n’avaient manifestement pas l’intention d’obéir à leurs
instructions « de
simplement réviser » certains articles
puisqu’un certain nombre d’entre eux se sont présentés à la convention
avec des projets déjà en main pour une nouvelle Constitution.
Le
but ultime des conspirateurs était de remplacer la Confédération par ce
qu’ils ont ensuite évoqué comme « une
union plus parfaite » – conçue dès le
départ pour protéger leurs intérêts de classe et pour s’assurer que le
nouveau gouvernement possédait tout le pouvoir nécessaire pour
perpétuer l’oligarchie existante.
À
la Convention, Alexander Hamilton a capté le sentiment dominant : «Toutes
les communautés se divisent entre quelques-uns d’un côté et la masse de
l’autre. Les premiers sont les riches et les biens nés ; les
autres, la masse des gens […] turbulente et changeante, qui juge ou
analyse rarement bien. Il faut donc donner à la haute classe une part
distincte et permanente dans le gouvernement. […] Seul un corps
permanent peut compenser l’imprudence de la démocratie. »
Hamilton
a en outre proposé que le Président et le Sénat soient nommés (non
élus) à vie. Sa vision n’était qu’une sorte de monarchie. Bien qu’il ne
soit pas un délégué à la Convention, John Jay, l’allié politique de
Hamilton, propriétaire d’esclaves et premier juge à la Cour suprême, a
annoncé l’objectif du « républicanisme » avec
une franchise brutale : « Les
gens qui possèdent le pays doivent le gouverner. »
Les
Fondateurs n’avaient jamais envisagé de « gouvernement
limité », à moins que ce soit dans le sens où le pouvoir du
gouvernement soit limité à leur propre classe économique. [Voir
Consortiumnews.com The
Right’s Made-up Constitution].
Dans
son livre intitulé «Towards
an American Revolution : Exposing the Constitution & Other
Illusions », l’historien Jerry Fresia résume succinctement le
point de vues des Fondateurs : « La
vision des Fondateurs, même celle de Franklin et Jefferson qui
craignaient moins la politique des gens ordinaires que la plupart,
était celle d’un État central fort, une nation dont le commerce
s’étendrait de par le monde. En un mot, la vision était celle d’un
empire où les propriétaires terriens se gouverneraient eux-mêmes. »
Un
gouvernement par, et pour le peuple devait rester définitivement hors
de question. L’État profond devait se gouverner lui-même. «Nous,
le peuple », une phrase hypocritement lancée par
l’ultra-aristocrate Gouverneur Morris, digne d’un canular orwellien.
La
tâche délicate des délégués soigneusement sélectionnés était de
produire un nouveau système de gouvernement radical qui ressemblerait
superficiellement à une république démocratique, mais qui
fonctionnerait comme une oligarchie.
L’excellent
livre « Founding
Finance » de William Hogeland, raconte la
véhémence antidémocratique exprimée à la Convention : Le premier
jour de cette réunion qui deviendra connue sous le nom de Convention
constitutionnelle des États-Unis, Edmund Randolph, de Virginie, a
entamé la procédure […]
« Notre principal danger, a déclaré
Randolph, vient
des chapitres démocratiques de notre constitution. […] Aucune
de nos constitutions – il veut dire celles des
différents États – n’a
fourni de contrôles suffisants face à la démocratie. »
Pas
étonnant qu’ils se soient réunis en secret. Il n’est pas surprenant non
plus que le mot « démocratie » n’apparaisse
pas une seule fois dans l’intégralité de la Constitution des États-Unis
ou l’une de ses modifications, y compris le Bill
of Rights. En conséquence, la Constitution ne se réfère jamais non
plus au vote populaire et n’a pas garanti le droit de vote jusqu’à
l’adoption du 15e amendement
en 1870, plus de 80 ans après la ratification. Le Préambule mis à part,
les Fondateurs n’ont utilisé l’expression « le
Peuple » qu’une seule fois (dans l’article
premier, section 2).
Il
a été suggéré que le mot « démocratie » pouvait
avoir une signification différente de ce qu’elle est maintenant. Ce
n’est pas le cas. Pour les délégués de la Convention le mot « démocratie » signifiait
la même chose qu’aujourd’hui : « gouverné
par le peuple ». C’est pourquoi ils détestaient ce concept.
Les délégués se considéraient comme les patriarches du « républicanisme »,
l’idéologie qui a rejeté la participation au gouvernement par des gens
comme les femmes, les serviteurs, les locataires, les esclaves et
toutes classes inférieures non propriétaires. Sans aucun doute, les
délégués étaient en désaccord sur de nombreuses choses, mais la « peur
et le dégoût » de la démocratie les
réunissait. À l’époque comme maintenant.
Les
objectifs spécifiques de l’État profond
Intégré
dans l’agenda largement antidémocratique des Fondateurs, on discerne
quatre objectifs spécifiques. Il ne s’agissait pas d’une liste
d’éléments annoncés à l’avance, mais ils ont été obtenus par consensus
de groupe et reconnus comme étant les exigences minimales nécessaires
pour atteindre l’objectif ultime de l’État profond.
Pour
camoufler le nationalisme oligarchique flagrant que ces mesures
visaient, les Fondateurs se sont hypocritement qualifiés de « fédéralistes ».
Mais aucune de ces mesures ne concernait une « fédération » d’États
souverains ; prises ensemble, elles étaient destinés à démolir la
confédération existante «perpétuelle »,
pas à en recréer une plus efficace.
Un
gouvernement national avec une participation citoyenne limitée. De
toutes les mesures nécessaires pour parvenir à une oligarchie
nationale, c’était la plus redoutable. Elle a été réalisée grâce à un
large éventail de décisions.
Le Collège électoral. Le président et le vice-président
ne sont pas élus par un vote populaire, mais par des Grands électeurs,
à l’époque comme maintenant. Par exemple, lorsque George Washington a
été élu président, la population américaine était de 3,9 millions.
Combien de ces personnes ont pu voter pour George ? Exactement 69
personnes – c’était le nombre total de grands électeurs votant à
l’époque. (Art. I, section 3)
Un Congrès Bicaméral. Le congrès est bicaméral, composé
de deux « chambres » –
la Chambre des représentants et le Sénat. En vertu de la Constitution
originelle, les députés de la Chambre représentent les personnes qui
votent pour eux, alors que le Sénat représente les États et non les
personnes, et n’est donc pas un organe démocratique. On s’attend
généralement à ce que le Sénat «vérifie » le
vote démocratique de la Chambre des représentants. En effet, c’est
l’unique objectif du bicaméralisme partout où il existe. (Article
premier, articles 1 et 2).
Nomination des sénateurs par l’État. Les sénateurs
étaient, à l’origine, nommés par les législatures des États (jusqu’au 17e amendement
en 1913). On s’attendait à ce que le Sénat fonctionne au Congrès comme
la Chambre des Lords fonctionnait au Parlement anglais : la voix de
l’aristocratie. Bien que les sénateurs soient maintenant élus par le
peuple, il est toujours difficile de défier un titulaire en raison du
coût de campagne prohibitif à l’échelle d’un État. (Art. I,
section 3)
Nomination de la magistrature. Tous les juges fédéraux
sont nommés à perpétuité par le président et confirmés par le Sénat (à
l’origine antidémocratique). (Article III, section 1).
Pauvreté de représentation. La mesure la plus
antidémocratique de toutes était l’extrême faiblesse du nombre total de
représentants à la Chambre. À l’origine, la Chambre était composée de
seulement 65 membres, soit un membre pour 60 000 personnes.
Aujourd’hui, il y a 435 membres, représentant chacun environ
700 000 personnes. Ainsi, la représentation actuelle du public à
la Chambre est 12 fois moins démocratique que lorsque la Constitution a
été écrite – alors qu’elle était déjà plutôt médiocre.
Comparez :
la veille de la ratification de cette Constitution, les peuples des 13
États Unis étaient représentés par environ 2 000 représentants,
démocratiquement élus, dans leurs différentes législatures d’État
(rapport de 1 : 1950). Le lendemain de la ratification, le
même nombre de personnes étaient représenté par seulement 65
représentants au gouvernement national (1 : 60 000). En
termes quantitatifs, cela représente une réduction de plus de
3 000 % de la représentation démocratique pour le peuple
américain. (Art. I, section 2).
Absence de districts au Congrès. Bien que les députés de
la Chambre soient maintenant élus par des circonscriptions de
population égale, les districts ont été créés par le Congrès et non par
la Constitution. Jusqu’aux années 1960, certains membres de la Chambre
ont été élus hors district (comme les sénateurs). Cela favorisait les
candidats les plus riches et les plus connus. (Non mentionné dans la
Constitution).
Absence de possibilités d’appels, d’initiatives et de
référendum. La Constitution ne permet pas aux gens de voter pour
destituer un membre du Congrès, de faire des propositions de vote au
Congrès (proposer une initiative) ou de voter directement, par
référendum, sur n’importe quel problème (démocratie directe). (Non
mentionné dans la Constitution).
Absence de processus d’amendement indépendant. L’une des
raisons pour lesquelles les Américains ont maintenant des politiciens
professionnels est que la Constitution ne permet pas aux « individus » de
la modifier sans la coopération requise d’un membre du Congrès en
place. Lors de la convention constitutionnelle, Edmund Randolph, de
Virginie a (étonnamment) proposé que les gens aient le moyen de
modifier la Constitution sans la participation du Congrès. Cette
excellente idée, cependant, n’a pas été adoptée. (Article V).
L’Autorité au niveau national d’imposer directement les
citoyens. (Article 1, article 8, 16eamendement).
La monopolisation nationale du pouvoir militaire. (Art.
I, Sec. 8, articles 12, 13, 14, 15, 16).
Interdiction aux États d’émettre du papier-monnaie ou
d’alléger les créances d’un débiteur. (Art. I, Sec. 10, article 1,
section 8, article 4).
Toutes
ces dispositions étaient complètement nouvelles pour les Américains.
Pendant 150 ans ou plus, la participation des citoyens au gouvernement,
aux milices indépendantes et à la délivrance de papier-monnaie avait
été la prérogative des diverses colonies / États indépendants, et ils
résistaient tous de manière vigoureuse contre la taxation directe par
l’Angleterre. Lorsque la Couronne britannique avait menacé de réprimer
les prérogatives coloniales, les mêmes hommes qui conspirent maintenant
pour le pouvoir sur la nation ont alimenté la rébellion armée.
L’hypocrisie était étonnante. Et la population le voyait bien.
Le
consentement de la minorité
L’un
de ceux qui a pris des notes, Robert Yates, un délégué de New York à la
Convention, est sorti en signe de protestation. Peu de temps après,
Yates (qui ne possédait aucun lien avec le gouvernement) a déclaré son
objection à la nouvelle Constitution : « Ce
gouvernement va acquérir un pouvoir absolu, incontrôlable, aux niveaux
législatif, exécutif et judiciaire qui touchera tous les domaines
auxquels il s’étend […] ».
« Le
gouvernement, aussi loin qu’il s’étend, est total. […] Il
a le pouvoir de faire des lois qui affecteront les vies, la liberté et
la propriété de chaque homme aux États-Unis ; ni la constitution
ni les lois d’aucun État ne peuvent empêcher ou entraver l’exécution
totale et complète de tous ces pouvoirs donnés. »
Au
moins la moitié de la population américaine (appelée collectivement « anti-fédéraliste »)
pensait que la Constitution était une très mauvaise idée. Bien sûr, les
anti-fédéralistes actifs comme Yates n’étaient pas des fermiers
surtaxés, et leurs objections reposaient souvent sur la défense des
droits des États et non sur les droits économiques de la population.
Cependant, la plupart des anti-fédéralistes semblaient alarmés que la
Constitution n’affiche aucune garantie des droits politiques
fondamentaux auxquels ils avaient accès sous l’Empire britannique, tels
que la liberté d’expression ou un procès tenu par un jury populaire.
Le
débat entre les partisans et les critiques de la Constitution a duré
pendant un an où les journaux partisans publiaient des articles pour ou
contre. Un recueil de 85 articles «pour » est
connu maintenant sous le nom de «The
Federalist Papers », articles écrits par Alexander Hamilton,
James Madison et John Jay. Bien que ces articles aient été étudiés
presque comme des reliques religieuses par les historiens, ils ne nous
disent pas « ce
que signifie vraiment la Constitution ».
La
Constitution signifie ce qu’elle dit. Les Federalist
Papers sont l’équivalent d’une brochure
publicitaire écrit par des avocats qui tentent d’inciter les autres à « acheter » la
Constitution. On peut en dire autant sur un recueil similaire d’Anti-federalist
Papers d’où la citation de Yates, ci-dessus, a
été tirée. En tout état de cause, il appartient aux tribunaux
d’interpréter la Constitution, pas à des avocats intéressés.
En
temps voulu, les anti-fédéralistes ont glissé leur pied collectif dans
la porte. Il n’y aurait eu aucun espoir de ratification sans
amendements garantissant des droits politiques fondamentaux – mais pas
économiques. Bien que Hamilton ait soutenu qu’une garantie des droits
serait «dangereuse »,
James Madison a convaincu les fédéralistes qu’accepter de garantir une
future Bill
of Rights serait beaucoup plus sûr que de trop
s’ingérer dans le texte du document actuel, ce qui pourrait finir par
révéler son agenda nationaliste fondamental et anti-démocratique. Et
ainsi, un accord a pu être trouvé.
Malgré
cela, la bataille pour la ratification de la Constitution n’a
finalement pas été menée par le peuple du pays. Bien que les gens des
nombreux États n’aient pas voté pour autoriser la tenue de la
Convention, ou le document qui en est sorti, les Fondateurs ont été
incroyablement arrogants, voire même sournois. Non seulement ils ont
présenté ce document non autorisé aux États comme à prendre ou à
laisser (aucune modification permise), mais le document lui-même
exigeait que seule une «convention » spéciale
puisse le ratifier, et non pas un vote populaire majoritaire.
La
ratification par une convention signifiait que les gens voteraient pour
les délégués à la convention, qui eux voteraient pour la ratification.
Cela équivaut à transformer la ratification en un concours de
popularité entre les délégués à la convention, plutôt qu’un vote
démocratique direct sur le document lui-même. En outre, la ratification
par convention présente la possibilité qu’une minorité de personnes
dans un état (ceux en faveur de la Constitution) puisse «bourrer » la
convention de délégués qui approuveraient un document établissant un
gouvernement pour tous.
Les
manipulations électorales n’étaient pas qu’une vision de l’esprit. À
Philadelphie, par exemple, une foule a enlevé des législateurs élus qui
boycottaient un vote de la convention, les a trainé physiquement
jusqu’au parlement et les a ligotés à leurs chaises afin de forcer un
vote de la convention. D’autres méthodes de manipulation plus subtiles
ont eu lieu ailleurs, notamment la privation du droit de vote de
certains électeurs par des combines sur le droit de propriété.
Il
y a plus d’une centaine d’années, Charles A. Beard a terminé son étude
exhaustive sur la Constitution et a confirmé qu’elle a probablement été
ratifiée par la majorité… d’une minorité de personnes.
L’une
des conclusions de Beard dit :
« La
Constitution a été ratifiée par le vote de probablement un sixième des
hommes adultes […] Les dirigeants qui ont soutenu la Constitution dans
les conventions de ratification représentaient les mêmes groupes
économiques que les membres de la Convention de Philadelphie […] La
Constitution n’a pas été créée par ‘l’ensemble du peuple’ comme l’ont
dit les juristes [juges] ; ni même créée par ‘les États’, comme
l’ont longtemps prétendu les séparatistes Sudistes ; ce fut le
travail d’un groupe bien solidaire dont les intérêts ne connaissaient
aucune frontière d’État et qui étaient vraiment nationaux dans leur
champ d’application. »
L’État
profond, en d’autres termes. Il était bien sûr approprié qu’un document
dont le but principal était de casser un régime démocratique soit mis
en vigueur sans un vote populaire majoritaire.
En
1788, neuf des 13 États de la convention ont ratifié la Constitution
(comme spécifié dans l’article VII de la Constitution) et le document
est devenu la loi suprême du pays pour ces neuf États. En 1789, même le
bastion démocratique du Rhode Island a fini par suivre l’exemple. Et,
depuis, les écoliers américains sont amenés à croire que la
Constitution est un document sacré, inspiré et ordonné par la
bienveillance publique des Pères fondateurs.
Mais
cela avait été prédit. C’était une pénible évidence pour Jean-Jacques
Rousseau, philosophe politique genevois du XVIIIe siècle,
le fait que le gouvernement constitutionnel était une invention de
l’État profond, son bénéficiaire désigné.
Débordant
de sarcasmes, son virtuose «Discours
sur l’origine de l’inégalité » explique :
« [l’homme
riche] a finalement conçu le projet le plus profond qui ait pénétré
l’esprit humain : il s’agit d’employer en sa faveur les forces
mêmes qui l’ont attaqué, de faire des alliés de ses ennemis […]
En
un mot, au lieu de retourner nos forces contre nous-mêmes,
rassemblons-les en une puissance souveraine, qui peut nous gouverner
par des lois sages, protéger et défendre tous les membres de
l’association, repousser les ennemis communs et maintenir une concorde
perpétuelle et l’harmonie parmi nous. »
Rousseau
a écrit ces mots en 1754, 33 ans avant que Gouverneur Morris ne
supervise la rédaction du même argument de vente que constitue le
Préambule à la Constitution des États-Unis : « Nous,
le peuple des États-Unis, afin de former une Union plus parfaite,
établir la justice, assurer la tranquillité domestique, prévoir la
défense commune, promouvoir le bien-être général et sécuriser les
Bénédictions de la Liberté dont nous bénéficions et pour notre postérité,
ordonnons et établissons cette Constitution pour les États-Unis
d’Amérique. »
Rousseau
conclut : «Tous
ont offert leur cou au joug dans l’espoir de garantir leur liberté.
Car, bien qu’ils aient eu le bon sens de percevoir les avantages d’une
constitution politique, ils n’avaient pas l’expérience pour anticiper
les dangers. Ceux qui parmi eux étaient les mieux qualifiés pour
prévoir les abus, étaient précisément ceux qui s’attendaient à en
bénéficier […]. »
L’État
profond pose-t-il aujourd’hui une menace existentielle à la démocratie
américaine ? Réalisez, les gars – rien de nouveau sous le soleil.
Jada
Thacker est l’auteur de «Dissecting
American History : A Theme-Based Narrative ». Il
enseigne l’histoire et la politique dans une grande école du Texas
Traduit
par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone.
A propos du financement de la création de l’Europe par la CIA, Historia censure Historia
A propos du financement de la création de l’Europe par la CIA, Historia censure Historia
pardoctorix lundi 20 mars 2017
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/a-propos-du-financement-de-la-190880
La
réécriture de l'Histoire est à la mode. Je pense que cette auto-censure
va faire plus de mal que de bien aux négationnistes de l'origine de
l'Europe. Comme dans beaucoup de sujets, nier avec trop de véhémence
équivaut à un aveu. Et je ne suis pas mécontent qu'on mette enfin le
sujet sur la table. Les Fahrenheit 451 n'ont jamais empêché les livres
de circuler sous le boisseau, et bientôt, on nous dira que pffff....
tout le monde le savait, et que cela va sans dire.
Mais tout de même, ça va mieux en le disant tout de suite.
Par une mise en demeure du 17 mars 2017, l’avocat de Sophia Publications, la société éditrice du magazine Historia,
a exigé que nous retirions du site Internet de l’UPR la reproduction de
l’article « Quand la CIA finançait la construction européenne » de Rémi
Kauffer, figurant dans le numéro 675 (mars 2003), que François
Asselineau a montré en direct dans le journal de 20h de TF1 du 13 mars.
La loi nous oblige à obtempérer.
Nous
signalons que ce texte était vieux de 14 ans (édition de mars 2003) et
qu’il figurait depuis plusieurs années sur le site Internet d’Historia, auquel notre article renvoyait.
Nous signalons que ce dossier de Rémi Kauffer n’est plus disponible sur le site d’Historia et cela prétendument « pour des raisons techniques ». Le lien est ici : http://www.historia.fr/parution/mensuel-675
==
HISTORIA CENSURE HISTORIA == La direction du magazine Historia a retiré
de son site en ligne le dossier CIA de mars 2003 qui y figurait
pourtant depuis des années. Le motif invoqué pour cette soudaine censure
est que ce dossier n’est plus disponible « pour des raisons
techniques ». La présentation ce dossier encore en ligne continue
cependant à préciser que « Entre 1949 et 1959, les États-Unis vont
s’efforcer de contrer les Soviétiques en finançant largement la
construction européenne »…
Nous
signalons que notre article qui en assurait la promotion et la
reproduction figurait sur notre site upr.fr depuis le 13 mars 2014, il y
a donc plus de 2 ans.
Si l’avocat de la société éditrice du magazine Historia nous
demande soudain de le supprimer après tant d’années de mise en ligne,
c’est parce que François Asselineau, alors que démarre la campagne pour
l’élection présidentielle, a commencé à faire naître un débat aussi
salutaire que nécessaire sur le rôle de la communauté du renseignement
américain dans la construction européenne et sur la proximité de
certains « pères fondateurs » avec l’administration américaine.
Il
mérite d’être précisé ici qu’un « agent de la CIA » n’est pas la même
chose qu’un « employé de la CIA » ; certains journalistes ne semblent
pas conscients de cette différence.
Dans un éditorial, la rédaction d’Historia a tenu à se désolidariser de façon alambiquée du contenu même du texte de Rémi Kauffer (sans même citer le nom du journaliste).
Nous
continuerons à informer les Français sur ce sujet important, qui permet
de comprendre les origines et objectifs de la construction européenne.
Nous allons d’ailleurs prochainement publier de nouvelles sources.
Pour finir, il est utile de préciser que le propriétaire de la société Sophia Publications (et donc d’Historia) est, depuis juin 2016, l’industriel et homme de presse Claude Perdriel, soutien officiel de la candidature d’Emmanuel Macron.
(Fawkes : Oser y voir de la malveillance ? Oh le complotiste ! ;)
L'intervenant "Agent Ananas" avait sauvegardé le texte-à-censurer, et nous l'a fait parvenir par morceaux :
N’étant
pas personnellement mis en demeure, je me permets à titre personnel de
reproduire le texte incriminé que j’avais sauvegardé l’an dernier. A
titre d’information, je ne suis pas adhérent de l’UPR (ni d’aucun
parti). Mon geste étant avant tout mon grain de sable contre la censure.
Voici
la copie de cette excellente enquête de Rémi Kauffer que l’on veut vous
cacher. (faites une copie avant qu’elle disparaisse)
-----------------
Quand la CIA finançait la construction européenne.
De
1949 à 1959, en pleine guerre froide, les Américains, par
l’intermédiaire de leurs services secrets et du Comité pour l’Europe
unie, versent l’équivalent de 50 millions de dollars actuels à tous les
mouvements pro-européens, parmi lesquels ceux du Britannique Winston
Churchill ou du Français Henri Frenay. Leur but, contenir la poussée
soviétique…
A
82 ans, Henri Frenay, le pionnier de la Résistance intérieure,
fondateur du mouvement Combat, arbore une forme intellectuelle
éblouissante malgré sa surdité de l’oreille droite et sa récente
opération de l’estomac. Pourtant, il n’a plus que trois mois à vivre.
En ces jours de mai 1988, il me parle de l’Europe dans son appartement
de Boulogne-sur-Seine. De cette Europe fédérale dont il a révé en vain
entre 1948-1954. De la dette aussi que, en cas de succès, le Vieux
Continent aurait contracté envers les Américains, ceux notamment du ”
Comité “. Et d’insister une fois, deux fois, dix fois, tandis que moi,
je m’interroge : pourquoi diable ce mystérieux ” Comité ” revient-il à
une telle fréquence dans nos conversations ? Pourquoi ? Mais parce que
Frenay me confie, avec il est vrai d’infinies précautions de langage,
son ultime secret : l’aide financière occulte de la CIA via l’American
Committee for United Europe – le Comité – à l’Union européenne des
fédéralistes dont il a été le président. Pour reconstituer cette
filière inédite, il me faudra une quinzaine d’années. Un jeu qui en
valait la chandelle puisqu’il me permet d’ouvrir, pour les lecteurs d’
Historia, la porte d’un des compartiments les plus secrets de la guerre
froide…
Tout
commence à l’automne 1948. Déjà coupée en deux, l’Europe vit sous la
menace d’une invasion totale par l’armée rouge. Au ” coup de Prague ”
en février, vient de succéder en juin le blocus de Berlin. Un petit
cénacle de personnalités de l’ombre jette alors les bases de l’American
Committee for United Europe, l’ACUE – son existence sera officialisée
le 5 janvier 1949 à la maison de la Fondation Woodrow-Wilson de New
York. Politiques, juristes, banquiers, syndicalistes vont se méler au
sein de son conseil de direction. De hautes figures gouvernementales
aussi comme Robert Paterson, le secrétaire à la Guerre ; James Webb, le
directeur du budget ; Paul Hoffman, le chef de l’administration du plan
Marshall ; ou Lucius Clay, le ” proconsul ” de la zone d’occupation
américaine en Allemagne.
Bien
tranquilles, ces Américains-là ? Non, car la véritable ossature de
l’ACUE est constituée d’hommes des services secrets. Prenez son
président, William Donovan. Né en 1883 à Buffalo, cet avocat
irlando-américain au physique de bouledogue, surnommé ” Wild Bill ” par
ses amis, connaît bien l’Europe. En 1915, il y remplissait déjà une
mission humanitaire pour le compte de la Fondation Rockefeller. Deux
ans plus tard, Donovan retrouvait le Vieux Continent pour y faire,
cette fois, une Grande Guerre magnifique. Redevenu civil, ” Wild Bill ”
va se muer en missus dominicus du gouvernement américain. Ses pas
d’émissaire officieux le portent vers l’Europe pour des rencontres
parfois imprévues. En janvier 1923, alors qu’ils goà »tent un repos
bien mérité, sa femme Ruth et lui devront ainsi subir une soirée
entière les vociférations d’un autre habitué de la pension Moritz de
Berchtesgaden. Dix-sept ans plus tard, l’agité, un certain Adolf
Hitler, s’est rendu maître de la partie continentale de l’Europe, et
c’est ” Wild Bill ” que Franklin Roosevelt, inquiet, dépéche à Londres
s’enquérir auprès de Winston Churchill du potentiel britannique face à
l’avancée nazie.
En
juin 1942, Donovan, homme de confiance du président démocrate pour les
affaires spéciales, crée l’Office of Strategic Services (OSS), le
service secret américain du temps de la Seconde Guerre mondiale dont il
devient le chef et qu’il quittera à sa dissolution, en septembre 1945,
sans perdre le contact avec l’univers du renseignement : ” Wild Bill ”
tisse des liens privilégiés avec la Central Intelligence Agency, la
CIA, créée officiellement le 15 septembre 1947 par une loi sur la
sécurité nationale signée par le successeur de Roosevelt, Harry Truman.
Prenez
le vice-président de l’ACUE Walter Bedell Smith, ancien chef
d’état-major d’Eisenhower pendant la Seconde Guerre mondiale puis
ambassadeur des Etats-Unis à Moscou. A partir d’octobre 1950, celui que
ses amis surnomment le ” Scarabée ” ( beetle en anglais) va prendre les
commandes de la CIA. 1950, c’est justement l’année o๠des
universitaires comme Frederick Burkhardt et surtout William Langer,
historien à Harvard, lancent la section culturelle de l’ACUE. Ces deux
proches de Donovan ont servi autrefois dans les rangs de l’OSS. Langer
en a dirigé le service Recherche et Analyse et, excellent connaisseur
de la politique française, a méme commis après-guerre un ouvrage savant
qui s’efforçait de dédouaner Le Jeu américain à Vichy (Plon, 1948).
Prenez
surtout Allen Dulles. A l’été 1948, c’est lui qui a ” inventé ” le
Comité avec Duncan Sandys, le gendre de Churchill, et George Franklin,
un diplomate américain. Principal associé du cabinet de juristes
Sullivan & Cromwell, Dulles n’impressionne guère de prime abord
avec ses fines lunettes, ses éternelles pipes de bruyère et ses vestes
en tweed. Sauf qu’avec ce quinquagénaire, un maître espion entre dans
la danse.
Retour
à la case Seconde Guerre mondiale. Chef de l’OSS à Berne, Dulles noue
en février 1943 des contacts avec la délégation de Combat en Suisse. Un
temps, il assurera méme le financement du mouvement clandestin. ” Coup
de poignard dans le dos du général de Gaulle “, s’insurge Jean Moulin
au nom de la France libre. ” Survie de la Résistance intérieure menacée
d’étranglement financier “, rétorque Frenay. Pensant d’abord à ses
camarades dénués de moyens, aux maquisards en danger, il ne voit pas
pourquoi Combat devrait se priver d’un argent allié versé, c’est
convenu, sans contrepartie politique. Cette ” affaire suisse ” va
empoisonner un peu plus encore ses rapports avec Moulin.
En
1946, Dulles démissionne des services secrets… pour en devenir aussitôt
l’éminence grise, prenant une part prépondérante à la rédaction du
texte de loi présidentiel sur la sécurité nationale. Cofondateur à ce
titre de la CIA (pour les initiés : l’Agence ou mieux, la Compagnie),
Dulles pense qu’en matière d’action clandestine, privé et public
doivent conjuguer leurs forces. C’est lui qui a déjà inspiré, par
l’intermédiaire de ses amis du Brook Club de New York, le versement des
subsides de grosses sociétés américaines à la démocratie chrétienne
italienne menacée par un parti communiste surpuissant. En 1950, il va
reprendre officiellement du service comme bras droit du Scarabée
d’abord, comme son successeur à la téte de la CIA ensuite – de février
1953 à septembre 1961. Record de longévité d’autant plus impressionnant
que son frère aîné John Forster Dulles, restera, lui, ministre des
Affaires étrangères de 1953 à sa mort de maladie en mai 1959.
Etonnant
creuset que l’ACUE, o๠des personnalités de la haute société et/ou de
la CIA côtoient les dirigeants de la puissante centrale syndicale
American Federation of Labor, l’AFL, dont ils partagent l’aversion du
communisme. Exemples : David Dubinsky, né en 1892 à Brest-Litovsk, en
Russie, dirige le Syndicat international de la confection pour dames
(ILGWU) : 45 000 adhérents à son arrivée en 1932, 200 000 à la fin des
années 1940 ! Ennemi acharné des nazis hier (les syndicalistes proches
de l’ACUE sont presque tous juifs), c’est aux commies , les ” cocos “,
qu’il en veut dorénavant. Jay Lovestone aussi. Conseiller politique de
l’AFL, ce Lituanien d’origine sait de quoi il parle : avant sa brutale
exclusion puis sa lente rupture avec le marxisme, il fut, entre 1925 et
1929, le secrétaire général du PC américain ! Autre recrue de choix du
Comité, Arthur Goldberg, le meilleur juriste de l’AFL. Futur secrétaire
au Travail du président Kennedy puis juge à la Cour supréme, Goldberg,
né en 1908, a dirigé l’aile syndicale de l’OSS. A ce titre, il fut en
son temps le supérieur hiérarchique d’Irving Brown, son cadet de deux
ans. Brown, représentant de l’AFL pour l’Europe et grand dispensateur
de dollars aux syndicalistes modérés du Vieux Continent. Puisant dans
les fonds secrets de la toute jeune CIA, laquelle finance depuis 1946
toutes les opérations anticommunistes de l’AFL, ce dur à cuire ne
ménage pas, par exemple, son soutien à Force ouvrière, la centrale
syndicale née fin 1947 de la scission de la CGT (lire ” Derrière Force
ouvrière, Brown, l’ami américain ” dans Historia n° 621 de décembre
1997). Pure et dure, la ligne Brown contraste d’ailleurs avec celle,
plus nuancée, de la CIA. A la Compagnie, on aurait préféré que les
non-communistes restent dans le giron de la CGT, méme contrôlée par le
PCF…
C’est
qu’au-delà des hommes, il y a la stratégie d’ensemble. Face à l’Union
soviétique, Washington développe deux concepts clés : le containment
(l’endiguement) et plan Marshall. L’idée du containment , revient à un
diplomate russophone, George Kennan, qui la développe dès juillet 1947
dans un article de la revue Foreign Affairs : ” L’élément majeur de la
politique des Etats-Unis en direction de l’Union soviétique doit étre
celui d’un endiguement à long terme, patient mais ferme, des tendances
expansionnistes russes. “
Le
plan Marshall, lui, porte la marque de son inventeur le général George
Marshall, chef d’état-major de l’US Army pendant la guerre, et
désormais ministre des Affaires étrangères du président Truman. En
apportant une aide massive aux pays d’Europe ruinés, les Etats-Unis
doivent, selon lui, faire coup double : un, couper l’herbe sous le pied
des partis communistes par une hausse rapide du niveau de vie dans les
pays concernés ; deux, empécher leur propre industrie de sombrer dans
la dépression en lui ouvrant de nouveaux marchés.
Pour
le tandem Marshall-Kennan, pas de meilleur outil que la CIA (lire
l’interview d’Alexis Debat, page 51). Et c’est naturellement un autre
ancien de l’OSS, Franck Wisner Jr, qu’on charge de mettre sur pied un
département autonome spécialisé dans la guerre psychologique,
intellectuelle et idéologique, l’Office of Policy Coordination ! Si ce
bon vieux ” Wiz ” ne fait pas partie du Comité, ses hommes vont lui
fournir toute la logistique nécessaire. Mais chut ! c’est top secret…
L’ACUE
allie sans complexe une certaine forme de messianisme américain avec le
souci de la défense bien comprise des intéréts des Etats-Unis.
Messianique, cette volonté bien ancrée de mettre le Vieux Continent à
l’école du Nouveau Monde. Phare de la liberté menacée, l’Amérique a
trouvé, la première, la voie d’une fédération d’Etats, succès si
resplendissant que l’Europe n’a plus qu’à l’imiter… Cet européanisme
made in Washington comporte sa part de sincérité : ” Ils m’appellent le
père du renseignement centralisé, mais je préférerais qu’on se
souvienne de moi à cause de ma contribution à l’unification de l’Europe
“, soupire ainsi Donovan en octobre 1952.
De
sa part de calcul aussi. Car en décembre 1956, trois mois avant sa
mort, le méme Donovan présentera l’Europe unie comme ” un rempart
contre les menées agressives du monde communiste “. En d’autres termes,
un atout supplémentaire de la stratégie américaine conçue par Marshall,
Kennan et leurs successeurs : construire l’Europe, c’est remplir un
vide continental qui ne profite qu’à Staline, donc, en dernier ressort,
protéger les Etats-Unis.
Ajoutons
une troisième dimension. Dans l’esprit des hommes de la Compagnie, rien
de plus noble qu’une action clandestine au service de la liberté. Tout
officier de la CIA le sait : les Etats-Unis sont nés pour une bonne
part du soutien des agents de Louis XVI, Beaumarchais en téte, aux
insurgés nord-américains. Ainsi l’opération American Committee, la plus
importante, et de loin menée, par l’Agence en Europe pendant la guerre
froide, se trouve-t-elle justifiée par l’Histoire.
Pour
chaleureuse qu’elle soit, l’amitié franco-américaine ne saurait
toutefois distendre le ” lien spécial ” entre Grande-Bretagne et
Etats-Unis. En foi de quoi, Comité et Compagnie tournent d’abord leur
regard vers Londres. Hélas ! Churchill, battu aux législatives de 1945,
ronge ses griffes dans l’opposition. Le nouveau secrétaire d’Etat
britannique aux Affaires étrangères, Ernest Bevin, a bien proclamé le 2
janvier 1948 aux Communes : ” Les nations libres d’Europe doivent
maintenant se réunir. ” N’empéche que ses collègues du cabinet
travailliste et lui repoussent avec horreur la perspective d’une
véritable intégration continentale. Non pas que Bevin craigne de
s’affronter aux communistes : deux jours après son discours de janvier,
il créait un organisme clandestin de guerre idéologique, l’Information
Research Department. Ce méme IRD qui, jugeant La Ferme des animaux et
1984 plus efficaces que mille brochures de propagande, va contribuer à
diffuser partout dans le monde les oeuvres de George Orwell. Mais la
carte Europe unie, alors là , non !
Cette
carte, Churchill la joue-t-il de son côté par conviction profonde ou
par aversion pour ses rivaux politiques de gauche ? Le fait est que le
19 septembre 1946 à Zurich, le Vieux Lion appelle à un axe
anglo-franco-allemand, élément majeur selon lui d’une ” espèce d’Etats
unis d’Europe “. Qu’en mai 1948, Duncan Sandys, taille aux mesures de
son homme d’Etat de beau-père le Congrès européaniste de La Haye. Qu’en
octobre 1948, Churchill crée l’United European Movement – le Mouvement
européen. Qu’il en devient président d’honneur aux côtés de deux
démocrates-chrétiens, l’Italien Alcide De Gasperi et l’Allemand Konrad
Adenauer, et de deux socialistes, le Français Léon Blum et le Belge
Paul-Henri Spaak. Malheureusement pour les ” amis américains “, cette
tendance ” unioniste ” ne propose, à l’exception notable de Spaak, que
des objectifs européens limités. Reconstruction économique et politique
sur une base démocratique, d’accord, mais sans transfert, méme partiel,
de souveraineté.
Le
Comité et la tendance ” fédéraliste “, dont Henri Frenay émerge comme
la figure emblématique, veulent, eux, aller beaucoup plus loin. Aux
heures les plus noires de la Seconde Guerre mondiale, Frenay, patriote
mondialiste, a conçu l’idée d’un Vieux Continent unifié sur une base
supranationale. En novembre 1942, révélera quarante ans plus tard
Robert Belot dans le remarquable travail sur Frenay qui vient de lui
valoir l’habilitation à diriger des recherches à l’Université, le chef
de Combat écrivait au général de Gaulle qu’il faudrait dépasser l’idée
d’Etat-Nation, se réconcilier avec l’Allemagne après-guerre et
construire une Europe fédérale. Logique avec lui-méme, Frenay se jette
dès 1946 dans cette croisade européaniste aux côtés d’Alexandre Marc.
Né Lipiansky à Odessa en 1904, ce théoricien du fédéralisme a croisé la
trajectoire de Frenay à Lyon en 1941, puis après-guerre. A rebours de
l’européanisme de droite inspiré des thèses monarchistes maurrassiennes
ou du catholicisme social, les deux amis s’efforcent de gauchir le
fédéralisme français alors fort de ” plusieurs dizaines de milliers
d’adhérents “, ainsi que me l’assurera l’ancien chef de Combat en 1988.
Orientée
à gauche, l’Union européenne des fédéralistes, l’UEF, est créée fin
1946. Elle va tenir son propre congrès à Rome en septembre 1948. Frenay
en devient le président du bureau exécutif, flanqué de l’ex-communiste
italien Altiero Spinelli, prisonnier de Mussolini entre 1927 et 1937
puis assigné à résidence, et de l’Autrichien Eugen Kogon, victime, lui,
du système concentrationnaire nazi qu’il décortiquera dans L’Etat SS
(Le Seuil, rééd. 1993). A ces trois dirigeants d’atténuer le profond
malaise né de la participation de nombreux membres de l’UEF au congrès
de La Haye, o๠Churchill et son gendre Sandys les ont littéralement
roulés dans leur farine ” unioniste “.
Faut-il
choisir entre le Vieux Lion et le pionnier de la Résistance intérieure
française à l’internationalisme si radical ? Perplexité au Comité, donc
à la CIA. Pour Churchill, sa stature d’homme d’Etat, d’allié de la
guerre, sa préférence affichée pour le ” grand large “, les
Etats-Unis ; contre, son refus acharné du modèle fédéraliste si cher
aux européanistes américains et bientôt, ses violentes querelles avec
le très atlantiste Spaak. En mars 1949, Churchill rencontre Donovan à
Washington. En juin, il lui écrit pour solliciter le versement de fonds
d’urgence (très riche à titre personnel, l’ancien Premier ministre
britannique n’entend pas puiser dans sa propre bourse). Quelques jours
plus tard, Sandys appuie par courrier la demande de son beau-père : de
l’argent, vite, sinon le Mouvement européen de Churchill s’effondre.
Comité et CIA, la principale bailleuse de fonds, débloquent alors une
première tranche équivalant à un peu moins de 2 millions de nos euros.
Elle permettra de ” préparer ” les premières réunions du Conseil de
l’Europe de Strasbourg, qui associe une assemblée consultative sans
pouvoir réel à un comité des ministres statuant, lui, à l’unanimité.
Pour
soutenir leurs partenaires du Vieux Continent, ACUE et CIA montent dès
lors des circuits financiers complexes. Les dollars de l’oncle Sam –
l’équivalent de 5 millions d’euros entre 1949 et 1951, le méme montant
annuel par la suite – proviennent pour l’essentiel de fonds alloués
spécialement à la CIA par le Département d’Etat. Ils seront d’abord
répartis sous le manteau par les chefs du Mouvement européen :
Churchill, son gendre, le secrétaire général Joseph Retinger, et le
trésorier Edward Beddington-Behrens. En octobre 1951, le retour de
Churchill à Downing Street, résidence des premiers ministres anglais,
ne tarira pas ce flot : entre 1949 et 1953, la CIA va en effet verser
aux unionistes l’équivalent de plus de 15 millions d’euros, à charge
pour eux d’en redistribuer une partie à leurs rivaux de la Fédération,
la tendance de droite du fédéralisme français, laquelle reverse ensuite
sa quote-part à l’UEF. Sommes substantielles mais sans commune mesure
avec la manne que l’appareil stalinien international, le Kominform,
investit au méme moment dans le financement souterrain des PC nationaux
et des innombrables ” fronts de masse ” : Fédération syndicale mondiale
de Prague, Mouvement de la paix, mouvements de jeunes, d’étudiants, de
femmes…
Pour
Frenay, c’est clair : l’Europe fédérale constitue désormais le seul
bouclier efficace contre l’expansionnisme communiste. Mais comment
aller de l’avant quand le nerf de la guerre manque si cruellement ?
L’UEF n’est pas riche. Son président encore moins, dont la probité est
reconnue de tous – après son passage au ministère des Prisonniers,
Déportés et Réfugiés, Frenay, ancien officier de carrière sans fortune
personnelle, a quitté l’armée au titre de la loi Diethelm de dégagement
des cadres. Comme au temps de ” l’affaire suisse “, le salut financier
viendra-t-il de l’allié américain ? Oui, assurent dès l’été 1950 les
hommes de l’ACUE à un représentant français de l’UEF en visite à New
York. Conforme à la position officielle du gouvernement américain en
faveur de l’intégration européenne, leur aide ne sera soumise à aucune
contrepartie politique ou autre, condition sine qua non aux yeux
d’Henri Frenay. Et de fait, à partir de novembre 1950, l’ACUE va
financer secrètement à hauteur de 600 000 euros l’une des initiatives
majeures de Frenay et des fédéralistes de gauche : la création à
Strasbourg, en parallèle du très officiel Conseil de l’Europe, d’un
Congrès des peuples européens, aussi appelé Comité européen de
vigilance.
S’associeront
à ce projet des socialistes (Edouard Depreux), des religieux (le père
Chaillet, fondateur de Témoignage chrétien ), des syndicalistes, des
militants du secteur coopératif, des représentants du patronat et méme…
des gaullistes tels Michel Debré ou Jacques Chaban-Delmas. Mal conçue
médiatiquement, l’affaire échoue de peu. Raison de plus pour accentuer
le soutien financier, oeuvre du secrétaire général de l’ACUE, Thomas
Braden. Connu pour ses opinions libérales, cet ami du peintre Jackson
Pollock, n’a pas hésité quand Donovan, son ancien patron à l’OSS, lui a
demandé de quitter la direction du musée d’Art moderne de New York.
En
juillet 1951, Frenay effectue à son tour le voyage des Etats-Unis sous
les auspices du Congrès pour la liberté de la culture – une
organisation que nous retrouverons bientôt. L’occasion de rencontrer
les dirigeants du Comité et ceux de la Fondation Ford (mais pas ceux de
la CIA avec lesquels il n’entretiendra jamais de rapports directs) pour
leur faire part des besoins matériels des fédéralistes. Message reçu ”
5 sur 5 ” par les Américains…
A
cette date, Braden ne figure plus parmi les dirigeants officiels de
l’ACUE. En vertu du principe des vases communicants, l’agent secret
esthète vient en effet de rejoindre Dulles à la CIA. Les deux hommes
partagent cette idée de bon sens : face aux communistes, ce ne sont pas
les milieux conservateurs qu’il faut convaincre, mais la gauche
antistalinienne européenne, dont Frenay constitue un des meilleurs
représentants. Braden va plus loin : ” Comme l’adversaire rassemblé au
sein du Kominform, structurons-nous au plan mondial par grands secteurs
d’activité : intellectuels, jeunes, syndicalistes réformistes, gauche
modérée… “, plaide-t-il. D’accord, répond Dulles. Naît ainsi la
Division des organisations internationales de la CIA. Dirigée par
Braden, cette direction centralise, entre autres, l’aide de la
Compagnie via l’ACUE aux fédéralistes européens. En 1952, l’American
Committee for United Europe finance ainsi l’éphémère Comité
d’initiative pour l’assemblée constituante européenne, dont Spaak sera
président et Frenay, le secrétaire général.
Brouillés
avec la ” Fédération “, leur rivale de droite qui servait jusque-là
d’intermédiaire pour le versement des fonds CIA-ACUE par le truchement
du mouvement churchillien, les amis de Frenay sont très vite au bord de
l’asphyxie. Pour parer à l’urgence, Braden, virtuose du financement
souterrain au travers de fondations privées plus ou moins bidon, va,
cette fois, mettre en place une procédure de versements directs aux
fédéralistes de gauche par des antennes para-gouvernementales
américaines. A Paris, plaque tournante des opérations de la CIA en
Europe avec Francfort, on opérera par le biais de l’Office of Special
Representative, conçu à l’origine pour servir d’interface avec la toute
jeune Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), ou de l’US
Information Service (USIS). Par la suite, un bureau ACUE proprement dit
sera ouvert.
Jean Monnet : des liens troubles avec les services américains
Comme
Jean Monnet, président de la Ceca, Frenay caresse, en cette année 1952,
l’idée d’une armée européenne, pas décisif vers l’Europe politique
selon lui. L’ACUE approuve chaudement. Prévue par le traité de Londres
de mars 1952, cette Communauté européenne de défense comprendrait –
c’est le point le plus épineux -, des contingents allemands. Reste à
faire ratifier le traité par les parlements nationaux. Frenay s’engage
avec enthousiasme dans ce nouveau combat. Pour se heurter, une fois
encore, à de Gaulle, qui refuse la CED au nom de la souveraineté
nationale et, déjà , du projet ultrasecret de force atomique française,
ainsi qu’aux communistes, hostiles par principe à tout ce qui contrarie
Moscou. D’après les éléments recueillis par Robert Belot – dont la
biographie du chef de Combat devrait sortir ce printemps au Seuil -,
Frenay demandera méme à l’ACUE de financer l’édition d’une brochure
réfutant… les thèses gaullistes sur la CED.
Staline
meurt en mars 1953. L’année suivante, Cord Meyer Jr, un proche de la
famille Kennedy, remplace Braden à la téte de la Division des
organisations internationales de la CIA. Mais 1954 verra surtout cet
échec cuisant des européanistes : l’enterrement définitif de la CED.
Découragé, Frenay abandonne alors la présidence de l’Union européenne
des fédéralistes. A partir d’octobre 1955, les ” amis américains ”
reportent donc leurs espoirs sur un nouveau venu, le Comité d’action
pour les Etats-Unis d’Europe de Jean Monnet. Lié à Donovan et surtout à
l’ambassadeur américain à Paris, David Bruce, un proche de Franck
Wisner, Monnet est trop fin connaisseur du monde anglo-saxon pour
accepter directement les dollars de la CIA. Compte tenu de sa prudence
de Sioux, l’aide américaine à son courant européaniste devra emprunter
d’autres voies. En 1956, Monnet se voit ainsi proposer l’équivalent de
150 000 euros par la Fondation Ford. Une offre qu’il décline, préférant
que cet argent soit versé au professeur Henri Rieben, un économiste et
universitaire suisse pro-européen qui vient d’étre nommé chargé de
mission aux Hautes Etudes commerciales de Lausanne. Rieben utilisera
ces fonds en toute transparence financière pour créer un Centre de
recherches européen.
En
1958, le retour du général de Gaulle, radicalement hostile aux thèses
fédéralistes, annihile les derniers espoirs de l’UEF et de ses amis
américains. Dissolution de l’ACUE dès mai 1960 puis cessation des
financements
occultes par la CIA s’ensuivent. En douze ans, la Compagnie aura quand
méme versé aux européanistes de toutes tendances l’équivalent de 50
millions d’euros sans étre jamais prise la main dans le sac ! Mais
pourra-t-on préserver longtemps le grand secret ?
La
première alerte éclate dès 1962. Trop précise sur les financements
américains, une thèse universitaire sur les mouvements européanistes
doit étre ” enterrée ” d’urgence en Angleterre. Ce remarquable travail
est l’oeuvre du fils d’un camarade de résistance de Frenay, Georges
Rebattet, créateur en avril 1943 du Service national maquis. Georges
Rebattet, le successeur en 1952 de Joseph Retinger comme secrétaire
général d’un Mouvement européen dont il a d’ailleurs assaini pour une
bonne part le financement.
Deuxième
secousse au milieu des années 1960. L’étau de la presse américaine (le
New York Times et la revue gauchiste Ramparts ) se resserre sur une des
filiales du ” trust ” Braden-Meyer, le Congrès pour la liberté de la
culture o๠se côtoyaient des intellectuels antitotalitaires européens
de haute volée – Denis de Rougemont, Manhès Sperber, Franz Borkenau,
Ignazio Silone, Arthur Koestler ou, par éclipses, Malraux et Raymond
Aron. Financé par la CIA au travers de la Fondation Fairfield, le
Congrès édite en français l’une de ses revues les plus prestigieuses,
Preuves . Jouant la transparence, Braden jette alors son pavé dans la
mare. ” Je suis fier que la CIA soit immorale “, déclare-t-il en 1967
au journal britannique Saturday Evening Post , auquel il confie des
révélations sensationnelles sur le financement occulte par la CIA du
Congrès pour la liberté et sur le rôle d’Irving Brown dans les milieux
syndicaux. Silence radio, en revanche, sur le soutien aux mouvements
européanistes, le secret des secrets…
Ultime
rebondissement à partir de juin 1970, quand le conservateur anglais
pro-européen Edward Heath arrive à Downing Street. A sa demande,
l’Information Research Department lance une vaste campagne pour
populariser sous le manteau l’européanisme dans les médias et les
milieux politiques britanniques. En 1973, l’Angleterre fait son entrée
dans le Marché commun ; le 5 juin 1975, 67,2 % des électeurs
britanniques ratifient la décision par référendum. Dans ce renversement
de tendance en faveur de l’Europe, un homme s’est jeté à corps perdu :
nul autre que le chef de la station de la CIA de Londres, Cord Meyer
Jr. Ce bon vieux Cord qui remplaçait vingt ans plus tôt son copain
Braden à la téte de la Division des organisations internationales de la
Compagnie.
Fin de citation.
Un autre intervenant cite une source britannique :
Euro-federalists financed by US spy chiefs.
« The Telegraph »
By Ambrose Evans-Pritchard in Brussels - 19 Sep 2000
DECLASSIFIED
American government documents show that the US intelligence community
ran a campaign in the Fifties and Sixties to build momentum for a
united Europe. It funded and directed the European federalist movement.
[…]
The
leaders of the European Movement - Retinger, the visionary Robert
Schuman and the former Belgian prime minister Paul-Henri Spaak - were
all treated as hired hands by their American sponsors. The US role was
handled as a covert operation. ACUE’s funding came from the Ford and
Rockefeller foundations as well as business groups with close ties to
the US government. […] The State Department also played a role.
A
memo from the European section, dated June 11, 1965, advises the
vice-president of the European Economic Community, Robert Marjolin, to
pursue monetary union by stealth.
It recommends suppressing debate until the point at which « adoption of such proposals would become virtually inescapable ».
La boucle est bouclée, refaisons vite l’ histoire !
Fin de citations.
Ressentiment personnel : Claude Perdriel dirigeait le NObs du temps que
j'y étais abonné, et je ne leur pardonne pas l'intox qu'il nous ont
livrée.Enregistrer
Si
vous ne connaissez pas Paul Gogo, l’équipe de DONi a réalisé une
enquête sur ce journaliste français, trop souvent à l’assaut du Donbass
et au cœur d’une propagande qu’il développe librement dans les plus
grandes officines médiatiques de France.
C’est
à travers l’analyse complète de son Twitter que nous sommes en mesure
de montrer, à travers lui, comment les journalistes français abordent le
Donbass et traitent les enjeux de cette guerre. Paul Gogo, caricature à
lui seul de toute une profession.
Georges Soros le « philanthrope ».
Au
milieu de quantité de déclarations frisant la haine et la russophobie,
sans parler de l’annonce de soirées avec bonne pitance et force bières,
Paul Gogo a affiché cet article duMonde, pour des raisons bien particulières.
Correspondant « indépendant » travaillant entre autre pour le journalLibération, Gogo s’est attaqué à l’agence DONi, notamment à travers la plate-formeStreetPress,
dans des articles mensongers et diffamatoires, pratique hélas répandue
dans ce média, sur lequel nous reviendrons bientôt.
Ce
média compte parmi ses financiers les plus importants, l’Open Society
Foundations (OSF), organisation fondée en 1979, par le milliardaire
américain Soros, dont l’objectif est dixit : «de promouvoir la gouvernance démocratique, les droits de l’Homme, et des réformes économiques, sociales et légales».
Installée
après la chute du mur de Berlin dans les pays de l’Est et de l’ancien
espace soviétique, Soros n’a jamais caché que l’OSF avait le désir de
faire émerger une nouvelle génération de politiciens, en clair, de faire
de l’ingérence dans tous les pays du Monde (cf les révolutions
colorées).
En
qualifiant ce personnage de « philanthrope », le public avisé
comprendra bien qui Paul Gogo sert, sans parler de l’utilisation de ce
mot dont nous redonnons la définition : «Personne qui œuvre pour le bien de ses semblables, pour l’amélioration de leur sort». Avec Paul Gogo, la caricature décidément se rencontre à chaque instant.
L’affaire Graham Phillips, du mépris à la haine
Correspondant
français installé quelques temps à Donetsk avant la guerre, Paul Gogo
est un jeune couteau de la presse française. Dans cette nouvelle
génération qui n’a pas passé la trentaine, le respect des collègues ou
des opinions contraires à leurs pensées, ne fait pas partie des règles
évidentes de neutralité, prudence et objectivité.
Dans
cette déclaration et d’autres que Paul Gogo a publié, il s’attaque
vulgairement au célèbre journaliste britannique Graham Phillips «le tocard en chef».
Nous n’aurons pas la prétention de présenter le travail énorme de
Graham dans la réinformation dans le Donbass, son courage également sur
le front et les risques importants qu’il prit pour donner un peu de
vérité au grand public.
Paul
Gogo quant à lui, démontre un glissement de cette nouvelle génération
journalistique, prête à toutes les vulgarités, mensonges et
manipulations, jusqu’à l’absurdité des insultes. Pétris en principe de
Démocratie, ce nouveau style de journalistes débridés monte à l’assaut
des lecteurs sans aucune conscience, ni politique, ni morale.
Ceci
est bien connu, les insultes sont la force des faibles, lorsqu’à court
d’arguments, ils sont incapables de débattre, et démontrent bien
jusqu’où va cette « Démocratie » qu’ils défendent.
L’affaire Laurent Brayard, comment s’attaquer aux enfants d’un père de famille… pour le faire taire
Laurent
Brayard est un collaborateur de l’agence DONi, fondateur du service
français, qui a plusieurs reprises a mis en défaut Paul Gogo dans son
travail sur l’Ukraine. A son propos, ce dernier déclarait : «il nous a tous insulté».
Gogo
ayant passé la ligne rouge vertement, le journaliste de DONi ne fit que
son devoir, notamment parce que Paul Gogo reçu la médaille de la ville
de Saint-Lô… dont le dernier récipiendaire fut «un héros de la Seconde Guerre mondiale».
Cocasse situation d’une récompense donnée à un soutien de l’Ukraine
fortement entachée de néonazisme, derrière un valeureux combattant qui
lutta contre l’Allemagne nazie.
Depuis
ce jour, comme dans le cas de Graham Phillips, Paul Gogo n’a cherché
qu’une simple vengeance, motivant bientôt une série d’articles
diffamatoires présentant Brayard comme «un facho», qui se retrouvèrent bientôt sur la table d’un tribunal de Grande Instance, juge aux affaires familiales.
En
effet, en février 2016, alors que les épinglages de Brayard à propos de
Paul Gogo étaient déjà publiés, une procédure judiciaire fut lancée en
France contre le premier par son ex-femme. L’attaque visait à supprimer
l’autorité parentale sur ses enfants, avec suppression de son droit de
visite, le doublement de la pension alimentaire, une amende de 2 000
euros, le paiement au dépend de toute la procédure judiciaire.
Cette
bataille judiciaire menée notre collaborateur Laurent Brayard s’est
déroulée en quatre temps, en mai, septembre, novembre 2016, et février
2017.
Mais donnons-lui la parole : «Ce
sont mes parents et ma sœur qui sont venus à mon secours, j’étais dans
le Donbass quasiment durant toute la période et sans moyens financiers
pour me défendre. Qu’il y ait eut contact direct ou non avec mon
ex-épouse, les articles de Paul Gogo, se sont retrouvés, fournis par la
partie adverse, sur le bureau du juge, en septembre dernier. Le procès
est alors devenu politique, il y était dit que j’étais un richissime
agent de la Russie, fasciste notoire et d’autres affabulations. J’ai
pris très au sérieux cette attaque, j’étais le seul père de famille
français, engagé dans le Donbass, il est logique que je fus attaqué à
travers mes enfants, rappelons qu’en France les attaques contre la
famille sont à la mode. J’ai décidé de disparaître médiatiquement sous
mon nom, ceci explique « ma disparition » contrairement aux
affabulations écrites à mon sujet, pour protéger mes enfants et le droit
à les voir. Mais je travaille toujours en sous-marin, après avoir fait
table rase, je ne cherchais pas la notoriété, ni les honneurs, mes
enfants étant dans la balance, je n’ai pas hésité. Paul Gogo s’est
simplement un type bête et méchant, comme il s’en trouve tellement dans
le milieu du journalisme, je le plains, je suis croyant, la vengeance ne
fait pas partie de mes options, son travail a toujours été scandaleux
et orienté, j’ai fait mon devoir, je le referai».
Cette
attaque judiciaire s’est soldée par une victoire complète devant le
juge aux affaires familiales. Dans l’intérêt des enfants, alors qu’il
reste une justice en France, aucune des demandes de la partie adverse ne
furent avalisées. Laurent Brayard pourra revoir ses enfants.
Selon
ses déclarations, les propos de Paul Gogo et d’autres journalistes ou
personnages de la guerre de l’information dans le Donbass à son
encontre, étaient si absurdes et si éloignés de la vérité, qu’il n’a pas
cru que la justice française puisse le frapper à travers ses enfants.
Il
indique qu’il continue anonymement le combat, convaincu par cette
procédure d’avoir lutté pour la bonne cause face à un système prêt à
tout pour détruire ceux qui se mettent en travers de sa route.
Paul Gogo, l’homme qui s’ostracise lui-même
Dans
les plaintes continuelles présentes dans ses déclarations sur son
incapacité, lui et ses amis, de venir dans le Donbass, Paul Gogo fait
ici preuve d’une grande naïveté et d’une aussi grande mauvaise foi.
Dans
un pays en guerre comme le Donbass, lui et d’autres sont venus au début
du conflit sur place. Cette situation a duré de 2014 à 2015, ils eurent
le loisir de rencontrer les civils dans les caves, d’interviewer les
combattants, les survivants des massacres et des tortures des bataillons
spéciaux ukrainiens, les évadés ou échangés des prisons politiques du
SBU, les témoins des atrocités, des bombardements ciblés de civils.
Bien
que se déclarant « neutre », les articles de Paul Gogo prouvent sans
ambiguïté, qu’il fait œuvre de propagande contre le Donbass et contre la
Russie. Ce journaliste oublie par ailleurs qu’il existe des causes à
servir, Gogo ne sert ici que des penchants vengeurs, des opinions
extrémistes en flouant au pied la déontologie de sa profession.
Imaginons
un journaliste suisse en 1944, ayant des accréditations pour venir
faire son métier sur le front, suivant les armées soviétique,
américaine, anglaise ou française, puis revenant dans son pays pour
défendre dans ses articles l’Allemagne nazie, de l’avis des lecteurs,
les pays concernés auraient le devoir de lui redonner la chance de
revenir sur le front ? Le parallèle est criant.
Mais donnons la parole encore une fois à Laurent Brayard qu’il accuse de l’ostraciser sur place lui et ses amis : «Du
pur Gogo (rires), sa liste noire des journalistes est sortie de son
cerveau, il s’oublie ici, car les deux républiques ont compris que ces
gens-là sont venus les combattre par la plume. Paul Gogo d’une certaine
manière est un criminel de l’information, des gens meurent dans le
Donbass de sa propagande, il ne s’agit pas ici de venir faire un
reportage animalier dans le Périgord. C’est une guerre ! Paul Gogo n’est
pas neutre, il sert l’Ukraine de Kiev, il l’a démontré par ses appels
pour l’armée ukrainienne, qu’espère-t-il donc après le mal qu’il fait,
en brandissant une liberté de la presse qui n’existe pas en France. Avonsnous
eu la parole nous chez DONi dans un média français ? Bien sûr que non.
Gogo oublie que nous avons fait venir quantité de collègues journalistes
européens, des dizaines que nous avons fixés, plusieurs fois pour
certains, citons Shaun Walker (The Guardian, GB), Kim Segunpa
(indépendant Inde), Philippe Warwick (RFI,France),
Stéphane Aubouard (L’Humanité, France), Philippe Migault (ancien du
Figaro, Valeurs actuelles France), Guillaume Chauvin (photographe
indépendant, prix Paris-Match 2009, France), et je pourrais en citer une
bonne quarantaine d’autres, d’Allemagne, de Belgique, de Finlande,
d’Espagne, du Pays Basque, des Pays-Bas, d’Italie, la liste est très
longue. Il est vrai par contre que selon les règles édictées par les
deux républiques elles-mêmes, j’aide à faire le tri, pour que des gens
comme Gogo, ne puisse plus dire en étant venu dans le Donbass « j’y
étais », puis écrire sans fin des absurdités sur le Donbass, ils ne sont
de toute façon pas des journalistes, seulement dirons-nous « des
serviteurs ». Ils servent une carrière, ils servent ce que j’appelle le
IVe Reich européen, ce sont déjà des hommes du passé, ceux d’une cause
perdue, ils seront vaincus et Gogo et bien d’autres diront alors qu’ils
ne savaient pas…».
L’affaire Christelle Néant etDONi, comment tenter de faire entrer des pièces incompatibles dans un puzzle bancal
Pour finir une déjà longue enquête, nous évoquerons l’acharnement de Paul Gogo, à traversStreetPresset d’autres plate-formes, à vouloir à tout prix faire des supports français du Donbass «des fachos» (combattants, humanitaires, journalistes).
Le
parcours de Brayard a été public, il vient de la CNT, syndicat
libertaire de l’extrême-gauche, étant passé à l’UPR parti sans couleur
qui prône la sortie de l’UE et de l’Euro. Après sa disparition publique
de la scène, Gogo et ses amis, notamment Mathieu Mollard et d’autres, se
sont lancés dans une campagne diffamatoire contre Christelle Néant etDONi.
Les accusations, en partie alimentée par la « petite guerre des trolls », sont toujours les mêmes, toute l’équipe deDONiserait fasciste, toutes les personnalités passant parDONile serait aussi, notamment lors de la venue du groupeLes Brigandes.
Janus
Putkonen n’a jamais caché avoir des opinions plutôt communistes, et
laissons à Christelle Néant le soin de répondre elle-même : «Sur le plan politique, je suis clairementcommuniste,
et je l'ai explicitement dit à M. Mollard lorsqu'il m'a interviewé pour
cet article sur StreetPress (en me cachant d'ailleurs au passage le
fait que son article serait fait avec Paul Gogo). Cette partie
dérangeait trop dans la narration que Gogo voulait imposer à son
article, alors elle a été zappée. Tout comme le fait que je lui avait
clairement dit qu'un certain nombre de volontaire français étaient
politiquement à gauche, voire très à gauche. C'est cela que lui et M.
Mollard appellent être « objectifs ». Si cela ne colle pas à leur
accusation, hop on enlève. Ils ont enlevé mes années d'activisme de
défense des droits de l'homme quand j'étais en France et en Belgique.
Ils n'ont gardé que mon passage à l'Unef-ID en le qualifiant de syndicat
de centre-gauche pour essayer d'édulcorer mon engagement politique très
à gauche qui ne cadrait pas avec la narration qu'ils voulaient donner à
leur article. Le plus incroyable a été leur tentative de m'interviewer
une deuxième fois après la venue du groupe de visiteurs français, en
envoyant un autre journaliste. Je lui ai demandé s'ils me prenaient pour
une idiote après ce qu'ils avaient fait de ma première interview, et
s'ils croyaient vraiment que j'allais de nouveau leur en accorder une
pour qu'elle soit de nouveau déformée, tronquée, comme le fut la
première. Comme le dit le dicton populaire : « Qui me trompe une fois,
honte à lui ; qui me trompe deux fois, honte à moi ». Tout comme les
républiques populaires, je leur avait accordé une chance de montrer
qu'ils étaient des journalistes objectifs, et ils ont montré qu'ils ne
sont que des propagandistes qui ne méritent même pas que l'on perde du
temps avec eux.»
Cette
enquête montre hélas l’état piteux et dramatique de la profession de
journaliste en France. Si Paul Gogo reste un épouvantail aux travers
antidémocratiques qui ne trompent pas, il est l’un des nombreux «
journalistes » qui dans le futur dirigeront les plus grands médias
français.
Ils
seront à la tête des rédactions, ils violent déjà toutes les règles,
Paul Gogo n’hésitant pas à déclarer publiquement que pour tromper les
populations du Donbass, il avait porté un ruban de Saint-Georges,
symbole des patriotes russophones et russes.
Le
travail de telles personnes ne tend qu’à tromper le public français, le
cocktail étant toujours le même : travaux sur commandes (pas de liberté
réelle de publication de leurs articles), écrire dans le sens des
puissants, des gouvernants, des lobbyings, mépris du public et des
collègues non impliqués dans le système, carrière, jouissances et
honneurs (médailles, Légion d’honneur etc.).
L’information
entre les mains de personnes comme Paul Gogo, devient un danger pour la
Nation française, est partisane mais se cache derrière une neutralité,
défend des causes contraires aux intérêts du Peuple et détruit la
presse, la liberté de la presse et le peu de démocratie qu’il reste
encore dans les mains des populations. Dans l’histoire, que dira-t-on de
ces hommes-là ?